Les échanges entre le carbone de l'atmosphère et les autres réservoirs (océan, biosphère terrestre...) étaient équilibrés jusqu'à l'ère industrielle. Depuis 1850, les activités anthropiques telles que la déforestation, l'élevage intensif et surtout la combustion d'énergies fossiles émettent en grande quantité CO2 et CH4 dans l'atmosphère. L'équilibre rompu provoque une augmentation de la teneur en carbone dans l'atmosphère. Cette augmentation devrait être plus importante mais il semble qu'une partie du carbone rejeté par la combustion de combustibles fossiles est absorbée par certaines régions de l'océan, des zones « puits ».<br />Les échanges de CO2 entre océan et atmosphère sont régis par les lois physicochimiques et répondent à des besoins biologiques. Les processus physicochimiques vont faire tendre les teneurs en carbone de l'océan et de l'atmosphère vers un équilibre variant selon la température et la surface de mélange qui est liée à l'intensité du vent. Des processus biologiques interviennent aussi dans les échanges de carbone entre l'océan et l'atmosphère. La couche de surface océanique reste sous-saturée en carbone car les floraisons algales consomment une partie du carbone dissous, par photosynthèse. Une partie de cette biomasse sédimente et emporte ainsi du carbone vers les couches océaniques profondes. A l'issue de la sédimentation une partie du carbone est séquestrée dans les eaux profondes et une moyenne de 0.3 % du carbone produit en surface est intégrée aux sédiments. C'est le principe de la pompe biologique qui augmente le transfert de CO2 vers l'océan profond.<br />Certaines algues unicellulaires favorisent plus que d'autres la sédimentation du carbone. Ces microalgues peuvent être lestées par des minéraux ou s'intégrer à des particules plus grosses qui sédimentent rapidement. Il existe deux types de ballasts biogéniques, la silice biogénique (BSiO2) principalement formée par les diatomées et le carbonate de calcium (CaCO3) formé majoritairement par les coccolithophoridés. La domination de la production primaire océanique par les diatomées, leur capacité à intégrer de grosses particules ainsi que leur position à la base d'une chaîne alimentaire saine, semblent faire des diatomées le participant majeur de la pompe biologique de carbone. Ceci est en contradiction avec les récentes exploitations des bases de données de flux de particules dans l'océan qui attribuent ce transfert aux coccolithophoridés. Cette incertitude a, en grande partie, motivé le présent travail.<br />Les diatomées ont besoin de l'acide orthosilicique (DSi) pour construire leur frustule, or, la disponibilité de la DSi dans l'océan global dépend essentiellement de la profondeur de recyclage de la BSiO2. A la fin d'un bloom, de nombreuses diatomées sédimentent sous la forme d'agrégats. L'agrégation des diatomées influence non seulement le recyclage de la BSiO2 dans les eaux océaniques de surface, mais aussi la sédimentation et la préservation de la BSiO2 sur le plancher océanique. Les diatomées agrégées sédimentent en effet rapidement le long de la colonne d'eau, ce qui laisse peu de temps à la dissolution. Les expériences en laboratoire présentées dans cette étude, ont exploré l'influence de l'agrégation sur la vitesse de dissolution de la BSiO2. Des agrégats monospécifiques ont été formés à partir de trois espèces différentes de diatomées, des Chaetoceros decipiens, des Skeletonema costatum, et des Thalassiosira weissflogii. Les vitesses de dissolution de la BSiO2 des cellules de diatomées de la même culture ont été mesurées pour des cellules agrégées et libres, puis comparées. Les vitesses de dissolution initiales des frustules de diatomées étaient significativement plus faibles pour les cellules agrégées (4.6 an-1) que pour les cellules libres (14 an-1). Les vitesses de dissolution plus lentes de la BSiO2 des agrégats ont été attribuées (1) aux concentrations élevées en DSi dans les agrégats (entre 9 et 230 µM) comparativement au milieu environnant les cellules libres, (2) à une plus forte viabilité des cellules agrégées et (3) à un nombre de bactéries par diatomées plus faible dans les agrégats. Les variations des vitesses de dissolution entre les différents agrégats semblent s'expliquer par des concentrations en TEP variables selon les agrégats.<br />Les processus biogéochimiques internes des agrégats sont fort peu connus. La diminution de la vitesse de sédimentation observée dans les expériences de laboratoire, pourrait n'être qu'apparente si seule la diffusion de l'acide orthosilicique (DSi) depuis l'intérieur vers l'extérieur de l'agrégat était ralentie. En effet de fortes concentrations en DSi ont été mesurées à l'intérieur des agrégats. Nous présentons un modèle qui décrit la dissolution de la BSiO2 dans un agrégat ainsi que la diffusion de la DSi depuis l'intérieur de l'agrégat vers le milieu environnant. Ce modèle simule l'évolution des concentrations internes en DSi et BSiO2, ainsi que l'accumulation de DSi dans le milieu environnant l'agrégat. La vitesse de dissolution est dépendante de l'écart à l'équilibre, qui décroît avec le temps à mesure que la concentration interne en DSi augmente suite au processus de dissolution, ainsi que de la viabilité des cellules, puisque seules les cellules mortes se dissolvent. Ce modèle permet de montrer que seule la combinaison d'une dissolution réellement ralentie et d'une diffusion également ralentie, permet de reproduire les concentrations internes et externes en DSi. Il est suggéré que le ralentissement de la diffusion pourrait être dû à une association étroite entre la DSi et les TEP. Le ralentissement de la dissolution est quant à lui, attribué pour 16 – 33% à la forte teneur en DSi au sein de l'agrégat et pour 33-66%, à une viabilité plus longue des diatomées agrégées.<br />Au vu de l'importance des diatomées dans les processus de sédimentation de la matière organique (carbone et BSiO2), nous avons utilisé les résultats précédents dans le but d'établir un modèle simplifié des flux de BSiO2 dans la colonne d'eau. Le flux de sédimentation est décrit comme étant majoritairement composé d'agrégats, mais aussi de cellules libres et de pelotes fécales, les résultats expérimentaux de mesures de vitesses de dissolution de la BSiO2 dans les cellules libres, les agrégats et les pelotes fécales sont ainsi combinés avec des mesures in situ de production de BSiO2 et de flux de BSiO2 dans les eaux profondes de neuf provinces biogéochimiques de l'océan. La comparaison des sorties du modèle et des mesures in situ permet de déterminer la composition du flux de sédimentation en qualité (vitesse de sédimentation) et en quantité (répartition de la BSiO2 entre les cellules libres et les grosses particules). Nous déterminons ainsi que 40% à 90% de la BSiO2 produite en surface, se dissout avant la profondeur maximale de la couche de mélange. Le recyclage domine dans tous les sites quelle que soit la vitesse de sédimentation calculée. L'intensité du recyclage en surface est attribuée à la capacité des cellules à rester libres. Indépendamment de leurs ballasts (BSiO2), les diatomées qui ne sédimentent pas sous la forme d'agrégats ou de pelotes fécales de gros brouteurs vont se dissoudre à de faibles profondeurs. Le modèle permet d'obtenir des informations sur la dynamique des particules puisque nous avons pu déterminer que 200 m est une profondeur maximum optimale pour la couche de mélange, à laquelle les processus de terminaison des blooms tels que l'agrégation et le broutage semblent favorisés.<br />Notre aptitude à comprendre et à prévoir le rôle de l'océan dans le cycle global du carbone et sa réponse aux changements climatiques, dépend fortement de notre capacité à modéliser le fonctionnement de la pompe biologique à l'échelle globale. En dépit des nombreux progrès réalisés, les mystères entourant la pompe biologique de carbone sont loin d'être éclaircis. Dans cette thèse, la pompe biologique correspond à l'ensemble des mécanismes qui assurent le transfert d'une partie de la production primaire marine vers des profondeurs excédant la profondeur de la couche de mélange hivernale, de sorte que le carbone ne sera plus échangé avec l'atmosphère avant quelques décennies ou quelques siècles, c'est-à-dire sur des échelles de temps relevant de celle associée au changement climatique.<br />La profondeur de la couche de mélange hivernale se situe, selon les régions, entre 50 et 500 mètres avec quelques pointes vers 800 m (Levitus, 1994). Il s'agit là des profondeurs correspondant à la zone mesopélagique dont nous savons peu de choses puisque les flux de matière in situ sont étudiés à l'aide des pièges à particules qui fonctionnent très mal dans cette zone. Ces incertitudes dans les estimations des flux se reflètent dans les hypothèses sur les mécanismes de la pompe biologique et sur ses variations spatio-temporelles, comme le montre notre démonstration fondée sur les concepts d'export hors de la couche de mélange et d'efficacité de transfert à travers la zone mesopélagique.<br />Dans cette étude, nous avons voulu évaluer le véritable rôle des diatomées dans la pompe biologique de carbone. Toute la question est de savoir à quelle profondeur le carbone transporté par les diatomées est reminéralisé : au dessus ou au dessous de la couche hivernale de mélange ? <br />Récemment, les modèles globaux ont incorporé une description plus mécanistique des flux, en remplaçant les exponentielles décroissantes par une compétition entre la vitesse de chute des particules et leur vitesse de reminéralisation. Nous présentons dans cette thèse, une approche dans laquelle les flux de carbone au bas de la couche hivernale de mélange ont été calculés à partir de la reconstitution des flux de BSiO2 présentée précédemment et d'une relation empirique décrivant l'évolution du rapport Si:C avec la profondeur dans différentes provinces biogéochimiques. En combinant les flux de BSiO2 avec cette équation, il est possible de reconstruire les flux de carbone à n'importe quelle profondeur et de calculer des efficacités d'export ou de transfert à travers la zone mesopélagique. L'idée est simple : l'utilisation des flux de Si comme traceur des flux de C permet de s'affranchir des difficultés liées à la chimie complexe à laquelle est soumis le C. Par ailleurs, s'il s'avère impossible de reconstruire les flux de C à partir des flux de Si dans l'océan moderne, l'utilisation de la BSiO2 des sédiments comme paleotraceur de la productivité passée sera d'autant plus compromise. <br />Les flux reconstruits à partir de cette approche semi-mécanistique sont plus faibles que ceux dérivés des algorithmes précédemment publiés et la proportion de carbone exporté diminue lorsque la productivité augmente. Cette reconstruction rappelle l'importance de la saisonnalité. Elle a des implications pour notre compréhension du fonctionnement de la pompe biologique dans l'océan actuel et pour nos interprétations des enregistrements paléocéanographiques sur son fonctionnement dans l'océan passé. Le rôle attribué aux diatomées ou aux coccolithophoridés dans l'export ou le transfert plus profond de carbone, est fortement dépendant de la façon avec laquelle l'export hors de la couche de surface est estimé.
Identifer | oai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00353481 |
Date | 15 September 2005 |
Creators | Moriceau, Brivaëla |
Publisher | Université de Bretagne occidentale - Brest |
Source Sets | CCSD theses-EN-ligne, France |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | PhD thesis |
Page generated in 0.0043 seconds