Comment se dire « intellectuelle » lorsque, comme Annie Ernaux, on porte la double illégitimité du transfuge de classe et du sujet féminin, pratiquement absent des figures d’intellectuels en France ? Pourtant, la conception d’Annie Ernaux de l’écriture comme un acte politique et ses prises de position fréquentes dans les médias français la rapprochent de la figure de l’intellectuel. Ce mémoire se propose ainsi de formuler dans un premier temps une définition de l’intellectuelle, à partir de laquelle il sera possible de penser l’engagement de l’auteure et sa présentation de soi dans l’espace public. Par l’étude de l’entretien L’écriture comme un couteau (2003), puis de l’autobiographie impersonnelle Les années (2008), il s’agira dans un second temps de montrer comment Annie Ernaux présente un ethos d’intellectuelle et de voir comment elle dépasse le modèle de l’intellectuelle « qui se mêle de ce qui ne le regarde pas » (Sartre, 1972), grâce à la variété de voix qu’elle adopte dans ses écrits : celles de l’autobiographe, de l’ethnologue, de l’auteure « impliquée », de la transfuge, de la « cheftaine » de famille, de la femme vieillissante. Si elle en dépasse le modèle, n’est-ce pas également parce qu’elle s’identifie d’abord à sa situation de transfuge de classe ? Traversée par les sentiments de culpabilité et de responsabilité propres au transfuge, l’auteure fait de sa position de l’entre-deux classes un moteur d’écriture, pour donner une voix aux dominés au sein de son œuvre auto-socio-biographique. L’analyse de L’écriture comme un couteau esquissera ainsi les bases conceptuelles de son ethos de transfuge intellectuelle, alors que dans Les années, l’étude des voix narratives au « on », au « nous » et au « elle » explorera l’entrelacement de l’intime au social, de l’expérience singulière à la mémoire collective. En somme, par l’attention accordée à l’ethos dans ces deux œuvres, ce mémoire se propose d’étudier comment Annie Ernaux se constitue comme une figure légitime de transfuge et d’intellectuelle au sein de l’espace public de son époque. / How can an author call himself an « intellectual », especially when one, such as Annie Ernaux, cumulates both the illegitimacy of a class-passer and a feminine subject? Yet, her vision of writing as a political activity and her positions in the media do assimilate her to the figure of the intellectual. This dissertation thereby aims to provide a definition of the intellectual woman, to which Annie Ernaux’s example contributes significantly. Studying the author interview L’écriture comme un couteau (2003) and her impersonal autobiography Les années (2008), I intend to show how Annie Ernaux displays the ethos of an intellectual and even moves beyond the model, while she embodies the figures of the autobiographer, the ethnologist, the "involved" writer, the class-passer, the head of family, and the aging woman. If she surpasses that model, isn’t it also because she primarily identifies herself as a class-passer? Driven by the class-passer’s sense of guilt and responsibility, Annie Ernaux uses the sensation of being in-between social classes to enable her writing. Therefore, her auto-socio-biographical works become a literary commitment to the dominated. The study of L’écriture comme un couteau will define the conceptual basis of Annie Ernaux’s ethos as an class-passer intellectual, while in Les années, the analysis of the narrative voices « on », « nous » and « elle » will explore how the intimate intricates itself to the social, the subjective experience to the collective memory. In other words, while studying the ethos in Annie Ernaux’s works, this dissertation examines how the author has shaped an image of herself as a legitimate class-passer intellectual within the public sphere of her time.
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/24205 |
Date | 08 1900 |
Creators | Lefebvre-Côté, Béatrice |
Contributors | Oberhuber, Andrea |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | fra |
Detected Language | French |
Type | thesis, thèse |
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