L'implantation d'une centrale nucléaire ne suscite pas inévitablement la mobilisation. D'une part, l'action collective n'est pas la seule manière de signifier son opposition ; d'autre part, le refus catégorique n'est pas la seule réaction possible à l'installation d'un tel équipement.<br />En 1974, date de la décision de la construction d'une centrale nucléaire, Braud - et - Saint Louis compte 991 habitants qui se consacrent, en majorité, à une agriculture extensive, mise en oeuvre sur de petites exploitations morcelées. La commune se caractérise par un écosystème constitué de deux biotopes complémentaires : le marais et la "terre ferme", une histoire marquée par une grande opération capitalistique : le dessèchement du marais au XVIIème siècle, et par une identité sociale fortement dépendante d'une immigration originelle qui fait des habitants les Gabayes, des étrangers en terre gasconne. Les Braudiers ont repris à leur compte cette identité attribuée par l'extérieur qui en fait des "arriérés", reflet du milieu peu valorisé dans lequel ils vivent. Cependant, ils y ajoutent une identité pour eux-mêmes qui consacre l'entre-soi et suppose un droit inaliénable au territoire. Cet écosystème particulier, basé sur la complémentarité de deux biotopes, influence également des modes de vie, une organisation sociale et une philosophie politique basée sur un consensus apparent. <br />Les Braudiers ne voient dans la centrale nucléaire ni un objet intrinsèquement dangereux, ni le symbole d'une décision étatique arbitraire, mais une élément nouveau qu'il faudra intégrer à leur quotidien. Ils s'attachent davantage à son aspect "centrale" qu'à son aspect "nucléaire". Et c'est sur ce premier point que leurs avis divergent. <br />Les conceptions indigènes de la centrale reposent sur deux discours tenus par deux groupes de locuteurs distincts. Les "Déçus", en majorité des agriculteurs, expriment leur frustration relative, considèrent qu'ils ne sont pas les principaux bénéficiaires de l'implantation, mais qu'ils ont à en subir les perturbations, notamment la circulation. Les "Entrepreneurs", eux, sont des notables. Leurs exploitations sont viables et seront reprises par leurs ascendants. Mais surtout, ils sont membres du conseil municipal et participent à la gestion de cette manne faramineuse que constituent les apports fiscaux (taxe professionnelle et foncier bâti). Ils réalisent ainsi une "oeuvre" qui modifie l'image de la commune et en fait un pôle privilégié dans le Blayais.<br />Cependant, ces deux discours ne sont pas irrémédiablement opposés. Ces deux groupes de locuteurs pensent et agissent en fonction d'un élément culturel commun : leur territoire, défini comme "un espace concret ou abstrait où l'on exerce un droit" (Goffman, 1973). Ce territoire est le support d'un sentiment d'appartenance et constitue, en retour, l'un des éléments forts de la construction identitaire (Dubar, 1992) des individus. Ce sont donc des effets de position c'est-à-dire des effets de perspective, qui expliqueraient pourquoi les acteurs construisent différemment leur réalité, en fonction de la position qu'ils occupent dans la collectivité, mais autour d'un même élément.<br />Ces différentes définitions de la situation donnent lieu à des revendications territoriales et à des processus identitaires différents. Les uns tentent de préserver leur droit à ce territoire (le seul dont ils disposent), alors que les autres, les notables, ont fait de la centrale, un moyen d'accéder à un autre territoire, plus valorisé, la société globale. Ces derniers ne sont plus désormais les notables du "bout du monde" mais peuvent prétendre à une reconnaissance de l'oeuvre qu'ils ont réalisée sur la commune.
Identifer | oai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00286639 |
Date | 12 December 1994 |
Creators | Lafaye, Françoise |
Publisher | Université de Nanterre - Paris X |
Source Sets | CCSD theses-EN-ligne, France |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | PhD thesis |
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