À partir du récit autobiographique de Dave Eggers, A Heartbreaking Work of Staggering Genius, notre mémoire entend éclaircir les rapports entre métafiction, écritures de soi et traumatisme. Ce récit publié en 2000 raconte comment, à l'âge de vingt-et-un ans, l'auteur a perdu ses parents, décédés tous deux du cancer à quelques semaines d'intervalle à peine, et relate son expérience de gardien légal de son jeune frère de huit ans. Nous verrons, à l'aide des théories de Patricia Waugh et de Linda Hutcheon, qu'Eggers fait un usage paradoxal de l'autoréférentialité littéraire : si les interventions métafictionnelles au sein de la narration remettent en doute la teneur référentielle de son récit, celles-ci, étrangement, sont conçues de façon à en renforcer la crédibilité. Les écrits de soi entretiennent également certains paradoxes; l'autobiographie, selon Lejeune, ne se définit pas par un rapport de ressemblance à son objet. Au contraire, les inexactitudes du récit constituent la voix autobiographique, c'est-à-dire l'expression personnelle de la vérité subjective de l'auteur; cette voix, qu'investissent entre autres les autofictionnistes se situant dans la lignée de Serge Doubrovsky, est en définitive ce que l'autobiographie offre de plus précieux à la lecture. Le témoignage s'occupe également de la question de la transmission de la vérité. Le témoin, selon Jacques Derrida, se voit dans l'obligation de donner en lieu de son récit une explication de son incapacité à se dire. Mais la transmission n'est pas qu'une question métatextuelle; en effet, comme le souligne Nancy K. Miller, le décès parental implique des questions d'héritage familial. La problématique de la passation ou du rejet de cet héritage constitue généralement le propos du récit de l'orphelin; celui-ci devient un dialogue avec les parents continué par-delà la mort, une consignation à la mémoire de leur apport à sa personnalité en même temps qu'une affirmation de son autonomie. En définitive, si Eggers exploite systématiquement ces caractéristiques de la métafiction et des écritures de soi qui sont propices à nourrir des dynamiques paradoxales, cette obsession prend ultimement racine dans le traumatisme tel que le conçoit la théorie psychanalytique. Eggers écrit à partir d'un incident traumatique, un événement violent et inattendu auquel la conscience n'était pas préparée et qui, selon Freud, la pousse à mettre en œuvre une compulsion de répétition par laquelle la victime se replonge perpétuellement dans des réitérations de l'événement initial afin de comprendre ce qui en est demeuré incompris. Mais le traumatisme ne peut être reproduit que dans sa nature inattendue, qui le définit; la victime n'apprend donc autre chose que l'existence de cette incompréhension même. C'est cette dynamique circulaire propre à l'événement traumatique qui détermine, selon notre analyse, l'usage paradoxal que fait Eggers des procédés littéraires principaux de son récit.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Eggers Dave, A Heartbreaking Work of Staggering Genius, Littérature américaine, Métafiction, Postmodernisme, Autobiographie, Autofiction, Témoignage, Traumatisme, Deuil, Référentialité.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.4249 |
Date | 03 1900 |
Creators | Ladouceur, Moana |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Mémoire accepté, NonPeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://www.archipel.uqam.ca/4249/ |
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