Les insectes sociaux représentent le paradigme de la vie coopérative dans le règne animal. Ceci repose sur l’existence d’une division des activités reproductrices entre des individus reproducteurs (les reines et les mâles) et une majorité d’ouvrières sacrifiant leurs propres potentialités reproductives pour assurer l’essentiel des tâches logistiques nécessaires à l’essor des sociétés. Chez les Hyménoptères sociaux, l’analyse comparative des stratégies de reproduction révèle que la structure monogyne (une reine par société) et monandre (un seul accouplement par reine) est l’état ancestral des sociétés. Cette structure favorise une corrélation génétique élevée entre les ouvrières et le couvain qu’elles élèvent et, par conséquent, leur succès reproductif global (inclusive fitness). Cependant, un nombre croissant d’études génétiques montre que la structure des sociétés peut fortement s’éloigner de ce pattern. Ceci est particulièrement manifeste chez les fourmis, lesquelles présentent un très large polymorphisme social se traduisant par une grande variabilité du nombre de femelles reproductrices au sein des sociétés. Les formicidés sont également remarquables par la diversité de leurs modes de reproduction. Cette diversité concerne la fréquence des accouplements (monandrie/polyandrie) ou encore l’exploitation conditionnelle des modes de reproductions sexuée et asexuée. Chez quelques espèces, les futures reines sont en effet produites par parthénogenèse (elles sont des quasi-clones de leur mère), alors que les ouvrières sont issues d'une reproduction sexuée classique. Cette stratégie exceptionnelle permet aux reines d'accroître le taux de transmission de copies de leurs gènes dans la descendance, tout en conservant les bénéfices d'une diversité génétique dans la force ouvrière. Cette grande diversité de structures sociales et de modes de reproduction suggère l’action de nombreuses pressions sélectives. Les travaux réalisés dans le cadre de cette thèse de doctorat visent à déterminer les facteurs responsables du large polymorphisme social et des nombreux modes de reproduction observés chez les fourmis désertiques du genre Cataglyphis. Ils sont articulés autour de deux axes principaux. <p>Les analyses phylogénétiques montrent que la polyandrie est ancestrale au sein du genre Cataglyphis. Le premier axe de ce travail a pour but d’étudier les causes évolutives justifiant le maintien d’un tel système de reproduction au sein de ce genre. Ce travail porte sur les avantages d’une diversité génétique accrue parmi les ouvrières. Une telle diversité génétique permettrait notamment d'accroître le polymorphisme de taille des ouvrières et l'efficacité de la division du travail [Chapitre 1], ou la résistance aux pathogènes de la force ouvrière [Chapitre 2]. [1] Ce premier travail a été réalisé sur Cataglyphis cursor, une espèce strictement monogyne et polyandre. Les résultats de cette étude révèlent une très grande fidélité des ouvrières à la tâche. Ils montrent l’existence d’une association significative entre la tâche réalisée par une ouvrière et sa lignée paternelle, ainsi qu’entre la taille des ouvrières et la tâche effectuée. [2] Le second travail de cette thèse a été réalisé chez C. mauritanica. Nos résultats montrent que la résistance aux pathogènes diffère entre ouvrières issues de différentes lignées paternelles lorsque ces dernières sont isolées. Curieusement, cette différence s’estompe lorsque les lignées paternelles sont regroupées au sein des sociétés polyandres. Dès lors, la polyandrie permettrait d’homogénéiser l’immunité des sociétés. Nos données montrent cependant que la résistance des ouvrières à Metarhizium anisopliae n’est pas corrélée à la diversité génétique de la colonie ou au nombre d’accouplements des reines.<p>Le second axe de ce travail porte sur les stratégies de reproduction remarquables observées chez les espèces de Cataglyphis appartenant au groupe altisquamis :C. velox, C. mauritanica, C. humeya et C. hispanica. Ces espèces partagent une stratégie unique dans le règne animal, appelée hybridogénèse sociale. L’hybridogénèse classique est un système reproductif dans lequel les parents issus de lignées génétiques distinctes s’hybrident. Alors que les génomes maternels et paternels sont exprimés dans la lignée somatique des descendants, le génome paternel est systématiquement écarté de la lignée germinale. En conséquence, seul le génome maternel est transmis aux générations futures. Dans le schéma d’hybridogénèse sociale reporté dans ces travaux, les reines s’accouplent systématiquement avec un mâle originaire d’une lignée génétique distincte. Elles utilisent la reproduction sexuée pour la production d’une caste ouvrière stérile intégralement hybride (analogue à la lignée somatique) et la reproduction asexuée par parthénogénèse pour la production des castes reproductrices mâles et femelles (analogues à la lignée germinale). Dans ce système, bien que les génomes paternels et maternels soient exprimés dans la caste ouvrière, seul le génome maternel est transmis aux descendants reproducteurs [Chapitre 3]. Le groupe altisquamis est représenté par plusieurs espèces au sein desquelles deux lignées génétiques s’hybrident systématiquement pour la production de la caste ouvrière. Le dernier chapitre de cette thèse [4] est une analyse phylogéographique des espèces de ce groupe dans la péninsule ibérique. Les résultats confirment l’existence d’une seule paire de lignées génétiques au sein de chaque espèce. Ces résultats révèlent également une contradiction entre les marqueurs nucléaires et mitochondriaux traduisant la complexité du système reproductif. Ces travaux soulignent l’ambiguïté des relations phylogéniques entre espèces d’un tel système et discutent de son implication dans la spéciation des espèces hybridogénétiques. <p><p><p>Social insects represent the most extreme form of cooperative life in the animal kingdom. This is based on the existence of a division of reproductive activities between the reproductive individuals (queens and males) and a majority of workers performing all logistical tasks at the expense of their own reproduction. In social Hymenoptera, comparative analysis of reproductive strategies reveals that colonies headed by a single mated queen (monogyny/monoandry) is the ancestral structure of colonies. This structure provides a high genetic correlation between the workers and the brood they raise and, therefore, their overall reproductive success (inclusive fitness). However, an increasing number of genetic studies reveal that the reproductive structure of colonies can strongly differ from this pattern. This is particularly obvious in ants, which have a very large social polymorphism resulting in a large variability in the number of reproductive females within colonies. The Formicidae are also remarkable for the diversity of their modes of reproduction. This diversity relates to mating frequency (monoandry/polyandry) or conditional use of sexual and asexual reproduction. In some species, new queens are produced by parthenogenesis (they are almost clones of their mothers), while the workers arise from a classical sexual reproduction. By using alternative modes of reproduction for queen and worker castes, queens can increase the transmission rate of their genes to their reproductive female offspring while maintaining genetic diversity in the worker population. This high diversity of social structures and modes of reproduction suggests the occurrence of many selective forces. This thesis aimed at determining environmental and genetic factors responsible for the large social polymorphism and the high diversity of reproductive modes display by Cataglyphis desert ants. This thesis is divided into two main parts. <p>Phylogenetic analyses show that polyandry is ancestral across the genus Cataglyphis. The first part of this thesis examines the genetic hypothesis to account for the evolution and maintenance of multiple mating by queen in this genus. This work focuses on the benefits of increased genetic diversity among workers. Such genetic diversity may increase the size polymorphism of the worker force and improve efficiency of the division of labor [Chapter 1] or increase pathogen resistance of the colony [Chapter 2]. In Chapter 1, the genetic hypothesis to enhance efficiency of division of labor was tested on Cataglyphis cursor, a strictly monogynous and polyandrous species. The results reveal a great fidelity in task performance by workers. They reveal a significant association between patriline and task preference: workers belonging to different patrilines differ in their propensity to perform a given task. We also found that worker size is closely associated with task specialization. The second work of this thesis [Chapter 2] was performed in C. mauritanica. Our results show that resistance to pathogens differs between workers from different patrilines when patrilines are raised separately. Surprisingly, this difference disappears when the patrilines are grouped within polyandrous colonies. Therefore, polyandry would standardize the overall resistance of colonies. Consistent with this result, our data show a positive association between the number of matings by the queens and colony resistance to Metarhizium anisopliae. <p>The second part of this thesis expounds the unorthodox reproductive strategies observed in species belonging to the group Cataglyphis altisquamis: C. velox, C. mauritanica, C. hispanica and C. humeya. These species share a unique strategy in the animal kingdom, called social hybridogenesis. Hybridogenesis is a sexual reproductive system, whereby parents from different genetic origin hybridize. Both the maternal and paternal genomes are expressed in somatic tissues, but the paternal genome is systematically excluded from the germ line, which is therefore purely maternal. Consequently, only the maternal genome spread across generations. Here, we report a unique case of hybridogenesis at a social level. Queens mate exclusively with males originating from a different genetic lineage than their own to produce hybrid workers, while they use parthenogenesis to produce the male and female reproductive castes. In consequences, all sterile workers (somatic line) are sexually produced hybridogens, whereas sexual forms (germ line) are clonally produced. Thus, only maternal genes are perpetuated across generations [Chapter 3]. The group C. altisquamis is represented by several hybridogenetic species in which two highly divergent genetic lineages co-occur, despite their constant hybridization. The last chapter of this thesis [Chapter 4] is a phylogeographic analysis of C. altisquamis species in the Iberian Peninsula. Our results confirm the existence of a single pair of genetic lineages within each species. Our results also reveal strong incongruences between nuclear and mitochondrial markers that reflect the reproductive system complexities. These studies reveal phylogenetic ambiguities among these hybridogenetic species and discuss the involvement of such unconventional system in speciation process.<p> / Doctorat en Sciences / info:eu-repo/semantics/nonPublished
Identifer | oai:union.ndltd.org:ulb.ac.be/oai:dipot.ulb.ac.be:2013/209190 |
Date | 21 November 2014 |
Creators | Eyer, Pierre-André |
Contributors | Aron, Serge, Meerts, Pierre, Chapuisat, Michel, Mardulyn, Patrick, Wenseleers, Tom |
Publisher | Universite Libre de Bruxelles, Université libre de Bruxelles, Faculté des Sciences – Sciences biologiques, Bruxelles |
Source Sets | Université libre de Bruxelles |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | info:eu-repo/semantics/doctoralThesis, info:ulb-repo/semantics/doctoralThesis, info:ulb-repo/semantics/openurl/vlink-dissertation |
Format | 1 v. (145 p.), No full-text files |
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