La mort dans la société occidentale est aujourd’hui interdite. Cette censure fait souffrir l’infirmière qui aborde la fin de vie : doute de soi, peur de la mort, impuissance, détresse ou encore tristesse. Ces souffrances vécues se répercutent alors sur le mourant : les soignantes peinent à communiquer avec lui et l’évitent. L’expérience professionnelle et l’âge des infirmières sembleraient toutefois atténuer le rapport qu’elles entretiennent avec la mort. Nous nous sommes alors intéressées à l’expérience vécue de l’infirmière débutante qui rencontre le mourir et la mort puisqu’il est connu que les jeunes diplômés évitent les milieux de soins où la mort s’invite régulièrement, à cause de l’image négative que leur renvoient ces secteurs de soins. Par voie de conséquence, une pénurie de soignants est attendue dans ces milieux de soins d’ici quelques années. Pour comprendre cette expérience vécue, nous nous sommes inspirées d’une sociologie phénoménologique en acceptant par ailleurs que toute réalité se déploie à partir de structures de sens qui s’insèrent dans une société donnée. Nous avons recueilli à l’aide d’entretiens semi-structurés, les témoignages de 16 infirmières issues de divers milieux (médecine, soins à domicile, urgences, soins intensifs, chirurgie, gériatrie, soins palliatifs, etc.) étant donné que la mort se présente partout. Compte-tenu du fait que nous étions chercheures mais avant tout des êtres humains imprégnés d’une condition sociale, nous avons traité le matériel collecté par une analyse thématique qui postule que tout scientifique ne peut se détacher des référents interprétatifs modulés par la société à laquelle ils se rattachent. Les résultats de notre étude ont montré que les infirmières débutantes qui rencontrent le mourir et la mort vivent une expérience qui se déploie en deux dimensions complémentaires. La première renvoie à un vécu sous la forme de révélation qui relève de perceptions et mobilise divers sens tels que la vue, l’ouïe, le toucher et l’odorat. Ici, l’expérience se tient sous le signe de la découverte, parce que les sensations qui la président ne correspondent à rien dont les soignantes connaissent entre trop bien ou assez bien. Ainsi, aborder la tragédie du mourir et la mort, c’est faire une découverte qui choque par la vision intolérable du cadavre et par l’écoute des râles agoniques du mourant. Rencontrer l’indicible, c’est également vivre une proximité qui dégoûte par les odeurs corporelles du condamné et par les fragrances de la Fin. Les participantes ont vécu aussi l’étrangeté de la mort qui emporte avec elle le vivant de la personne pour y laisser son corps. Enfin, les répondantes ont expérimenté l’épouvante liée à l’idée d’apercevoir un cadavre; une terreur aiguisée par les médias qui est aujourd’hui, fortement ancrée dans l’imaginaire collectif. Le deuxième volet de cette expérience vécue des infirmières concerne des questionnements autour du manque et des capacités à bien agir. Les soignantes se sont senties seules au moment d’aborder la tragédie du mourir; elles se sont culpabilisées en s’imaginant avoir manqué quelque chose lors des décès accidentels; elles se sont rebellées contre le comportement de leurs pairs qui manquaient de respect envers un corps sans vie. Les soignantes ont rencontré aussi un scepticisme désarmant à l’endroit de la gestion des douleurs du mourant et dans leur manière d’évaluer un décès. Les participantes imprégnées par l’atmosphère de la puissance médicale qui repousse toujours davantage les limites de la mort au détriment du bien-être du patient qui n’a plus d’espoir, ont aussi été traversées par des sentiments d’impuissance et de frustration. Enfin, elles ont marqué une satisfaction à l’idée d’avoir pu correctement remplir leur rôle social. À partir de cette mise à découvert de l’expérience vécue, des recommandations ont été émises par les professionnelles à l’endroit de la formation, comme celle de rendre familiers le mourir et la mort en comprenant les processus physiologiques de l’agonie et en sachant comment réaliser une toilette mortuaire. Les soignantes ont exprimé aussi des besoins pour renforcer la solidarité et l’assurance comme par exemple promouvoir l’échange avec l’équipe interdisciplinaire, connaître les dernières volontés du mourant et comprendre la phase palliative, pour les aider à aborder la tragédie de la mort. Mots-clés : mort, infirmière débutante, expérience vécue, phénoménologie, société. / In today's Western society, the subject of death is taboo. The effects of this are suffered by the nurse providing end-of-life care: self-doubt, fear of death, powerlessness, distress or grief. Her sense of anguish also has repercussions for the dying patient: caregivers struggle to communicate and they avoid contact. The level of professional experience as well as the age of the nurses does seem, however, to soften their relationship with death. We therefore considered the experience of the novice nurse when faced with death and dying, since young graduates are known to avoid care environments where death occurs on a regular basis, due to their negative association with these healthcare settings. As a consequence, there is expected to be a real shortage of healthcare workers in these sectors in a few years' time. In order to gain an understanding of their experience, we were inspired by a phenomenological sociology, acknowledging that any reality is based on frameworks and meanings within a given society. By means of semi-structured interviews, we collected accounts of the experience of 16 nurses working in a variety of environments (medicine, home-based care, A& E, intensive care, surgery, geriatrics, palliative care, etc.), since death is present everywhere. Bearing in mind that we are researchers, but first and foremost human beings imbued with a social origin, we subjected the material collected to a thematic analysis based on the postulate that no scientist can be entirely free of interpretative referents modulated by the society to which they relate. The results of our study have shown that novice nurses who encounter death and dying tend to undergo an experience on two complementary dimensions. The first relates to a somewhat revelatory experience, based on perceptions and stimulating various senses such as sight, hearing, touch and smell. Accordingly, the nature of this experience is one of discovery, since the prevailing sensations are unlike any that the caregivers are already familiar with. As such, dealing with the tragedy of death and dying involves undergoing a shocking encounter, with the intolerable sight of the dead body and the sound of the last dying breaths of the patient. Encountering the unspeakable also involves experiencing a sickening closeness due to the bodily odours of the dying individual and the smell of the end of life. The participants also felt the strangeness of death, carrying with it the life of the person as it releases from the body. Lastly, the respondents experienced the horror associated with the idea of seeing a dead body; a sense of terror heightened by the media, which today is deeply ingrained in our collective imagination. The second aspect of the experience undergone by nurses relates to concerns about failings and the ability to act appropriately. Caregivers felt alone at the moment of dealing with the tragedy of dying; they blamed themselves in cases of accidental death, supposing they had overlooked something; they rebelled against the behaviour of their peers who showed a lack of respect towards a dead body. Caregivers also met with a disarming scepticism about pain management for the dying patient and about the manner in which they evaluate a death. Those participants immersed in a culture of advanced medical science, continuing to push the boundaries of death to the detriment of the hopeless patient's well-being, have also been affected by feelings of helplessness and frustration. Lastly, they noted a certain satisfaction at the idea of having been able to properly fulfil their social function. With light now shed on these experiences, a number of recommendations have been made by professionals in the area of training, such as familiarization with death and dying through an understanding of the physiological stages of the dying process and knowing how to care for the body after death. Caregivers also expressed certain requirements for building solidarity and confidence, for example, by promoting dialogue with the interdisciplinary team, being aware of the patient's last wishes and understanding the palliative care phase, to help them in dealing with the tragedy of death. Keywords: death, novice nurse, experience, phenomenological, society.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LAVAL/oai:corpus.ulaval.ca:20.500.11794/27783 |
Date | 24 April 2018 |
Creators | Laporte, Pauline |
Contributors | Vonarx, Nicolas |
Source Sets | Université Laval |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | thèse de doctorat, COAR1_1::Texte::Thèse::Thèse de doctorat |
Format | 1 ressource en ligne (xx, 269 pages), application/pdf |
Rights | http://purl.org/coar/access_right/c_abf2 |
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