Symbole de modernité pendant la majeure partie du XXe siècle, la cigarette est depuis une trentaine d’années la cible d’interventions croissantes visant à réduire sa consommation. La lutte contre le tabac bénéficie d’un dispositif sans précédent qui fait office de cas d’école en santé publique, par son ampleur et par l’adhésion qu’il suscite. L’intérêt d’étudier cet objet réside ainsi dans la propriété essentielle de la lutte anti-tabac de relier un dispositif institutionnel et des motivations subjectives. Le dispositif anti-tabac (DAT) a en effet vocation à faire converger les prescriptions normatives d’un ensemble d’institutions et les désirs individuels, et y parvient manifestement dans une certaine mesure. Il permet dès lors d’aborder à la fois un travail sur les sociétés et un travail sur soi.
Cette thèse entreprend une analyse sociologique du dispositif anti-tabac au Québec et vise à interroger les modalités et les fins de ce contrôle public de la consommation de tabac, en mettant au jour ses dimensions culturelles, symboliques et politiques. La santé publique apparaissant de nos jours comme lieu central de l’espace politique et social dans les sociétés contemporaines (Fassin et Dozon, 2001 :7), l’utopie d’un « monde sans fumée » se révèle selon nous tout à fait typique des enjeux qui caractérisent la modernité avancée ou « société du risque » (Beck, 2001, [1986]).
Après avoir présenté le rapport historiquement ambivalent des pays occidentaux au tabac et ses enjeux, puis problématisé la question de la consommation de substances psychotropes dans le cadre d’une production et d’une construction sociale et culturelle (Fassin, 2005a), nous inscrivons le DAT dans le cadre d’une biopolitique de la population (Foucault, 1976; 1997; 2004b). À l’aune des enseignements de Michel Foucault, cette thèse consiste ainsi en l’analyse de discours croisée du dispositif institutionnel anti-tabac et de témoignages d’individus désirant arrêter de fumer, au regard du contexte social et politique de la société moderne avancée.
Le DAT illustre les transformations à l’œuvre dans le champ de la santé publique, elles-mêmes caractéristiques d’une reconfiguration des modes de gouvernement des sociétés modernes avancées. La nouvelle biopolitique s’adresse en effet à des sujets libres et entreprend de produire des citoyens responsables de leur devenir biologique, des sujets de l’optimisation de leurs conditions biologiques. Elle s’appuie sur une culpabilité de type « néo-chrétien » (Quéval, 2008) qui caractérise notamment un des leviers fondamentaux du DAT. Ce dernier se caractérise par une lutte contre les fumeurs plus que contre le tabac. Il construit la figure du non-fumeur comme celle d’un individu autonome, proactif et performant et fait simultanément de l’arrêt du tabac une obligation morale. Par ce biais, il engage son public à se subjectiver comme citoyen biologique, entrepreneur de sa santé. L’analyse du DAT au Québec révèle ainsi une (re)moralisation intensive des questions de santé, par le biais d’une biomédicalisation des risques (Clarke et al., 2003; 2010), particulièrement représentative d’un nouveau mode d’exercice de l’autorité et de régulation des conduites dans les sociétés contemporaines, assimilée à une gouvernementalité néolibérale.
Enfin, l’analyse de témoignages d’individus engagés dans une démarche d’arrêt du tabac révèle la centralité de la santé dans le processus contemporain d’individuation. La santé publique apparait alors comme une institution socialisatrice produisant un certain « type d’homme » centré sur sa santé et adapté aux exigences de performance et d’autonomie prévalant, ces éléments constituant désormais de manière croissante des clés d’intégration et de reconnaissance sociale. / Symbol of modernity for most of the twentieth century, smoking has been for the last thirty years the target of increasing interventions to reduce its consumption. Tobacco control benefits from an unprecedented device that acts as a case study in public health, by its scope and the awareness it raises. The interest to study this object then lies in the essential property of tobacco control to bind an institutional device with subjective motivations. The anti-smoking apparatus (ASA) was indeed intended to get the prescriptive requirements of a set of institutions to converge with individual desires, and obviously succeeds to some extent. It thus allows us to address both work on societies and work on oneself.
This thesis undertakes a sociological analysis of the anti-smoking apparatus in Quebec and aims at questioning the modalities and purposes of tobacco control by uncovering its cultural, symbolic and political dimensions. Public Health appearing today as the central place of the political and social space in contemporary societies (Fassin and Dozon, 2001: 7), the “smoke-free world” utopia proves to be in our opinion quite typical of the stakes which characterize late modernity or “risk society” (Beck, 2001, [1986]).
Having presented the historically ambivalent attitude of Western countries toward tobacco and its stakes, and problematized the issue of substance use within the framework of socio-cultural production and construction (Fassin, 2005a), we situate the ASA in the framework of a biopolitics of the population (Foucault, 1976; 1997; 2004b). In the light of the teachings of Michel Foucault, this thesis thereby consists of the crossed analysis of institutional tobacco control discourse and of testimonies of individuals wishing to quit smoking, with regard to the social and political context of late modernity.
The ASA shows the changes at work in the field of public health, themselves characteristics of a reconfiguration of the modes of government of societies. The new biopolitics is indeed aimed at free subjects and undertakes to produce citizens responsible of their biological future, subjects of their own biological conditions optimization. It leans on a “neo-Christian” guilt type (Quéval, 2008) which characterizes such a fundamental levers of the ASA. It is characterized by a struggle against smokers more than against tobacco. It builds the figure of the non-smoker as that of an autonomous, proactive and efficient individual and makes simultaneously quitting smoking a moral obligation. Through this, it engages its audience to subjectify as biological citizens, entrepreneurs of their own health. The ASA in Quebec analysis reveals an intensive (re)moralization of health issues through a biomedicalization of risks (Clarke et al., 2003; 2010), particularly representative of a new way of exercising authority and regulate behaviors in contemporary societies, regarded as a neoliberal governmentality.
Finally, the analysis of testimonies of individuals engaged in a process of smoking cessation reveals the centrality of health in the contemporary process of individuation. Public health then appears as a socializing institution producing a certain “type of man” centered on his health and adapted to the performance and autonomy requirements prevailing, these elements now increasingly constituting key-elements of integration and social recognition .
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/11147 |
Date | 12 1900 |
Creators | Guis, Fany |
Contributors | Lafontaine, Céline |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Thèse ou Mémoire numérique / Electronic Thesis or Dissertation |
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