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Entre mémoire vive, connexion et récit-projet : une analyse sociologique du rapport au temps chez les individus « dépressifs »

Ce qu'on désigne aujourd'hui sous le terme de dépression n'est pas chose nouvelle dans le monde occidental. En effet, même si ce trouble mental fut nommé différemment et prit des formes variées selon les époques et les cultures, on peut presque considérer qu'il naquit en même temps que l'être humain. La dépression, entendue ici comme forme de mal-être, fait donc partie de l'histoire occidentale et ses manifestations et traitements se sont développés parallèlement à l'évolution de la pensée médicale, philosophique et religieuse. Si le phénomène de dépression n'est pas apparu d'un coup de baguette magique, il n'en demeure pas moins qu'au cours des 25 dernières années ce trouble mental et ses remèdes médicamenteux sont passés sur le plan épidémiologique d'un quasi anonymat à une diffusion élargie. Sociologiquement parlant, les troubles dépressifs, devenus aujourd'hui «notre principal malheur intime», présentent en outre la caractéristique de désigner l'envers de la normativité sociale. En ce sens, notre travail s'inscrit dans la lignée de ceux d'Ehrenberg, mais aussi de ceux (déjà anciens, mais toujours pertinents) de Bastide, pour qui les névroses demeurent un objet de travail privilégié pour le sociologue. Utiliser les troubles dépressifs pour comprendre, par un jeu de miroir, les injonctions normatives contemporaines constitue le coeur et le fil conducteur de ce travail. Plus précisément, nous nous attarderons sur la question temporelle. En effet, malgré que la sociologie du temps constitue un champ de réflexion relativement ancien, les différentes approches sociologiques et conceptuelles présentent de nombreuses limites. De plus, l'inflation des discours sociaux sur le thème du rapport au temps laisse à penser que cette question a pris une nouvelle dimension et constitue un enjeu des sociétés capitalistes avancées. En nous basant sur le discours des individus présentant des troubles dépressifs, nous avons pu réinterroger le rapport au temps sous un angle novateur et sociologique, c'est-à-dire dans sa totalité. Afin de circonscrire notre objet de recherche, nous avons élaboré un concept opératoire de «rapport au temps dépressif». Il découle, premièrement, d'une analyse chronotopique d'une socio-historique du rapport au temps et, deuxièmement, des caractéristiques du «rapport au temps dépressif» définies classiquement par le champ psychiatrique. Ce concept opératoire fut confronté au «rapport au temps dépressif» empirique, c'est-à-dire ayant émergé de notre terrain. En effet, 20 entrevues furent effectuées dans la région métropolitaine de Montréal avec des hommes et des femmes adultes présentant des troubles dépressifs afin de saisir comment ces derniers se manifestaient concrètement chez eux. De notre collecte de données, quatre dimensions dans leur forme générique furent extraites du «rapport au temps dépressif». La première est celle de rythme, entendu ici comme suite d'événements. Les trois autres catégories sont celles classiquement utilisées pour situer un événement sur la ligne du temps: les rapports au temps passé, présent et futur. À la suite du jeu d'opposition
«conforme»/ «non-conforme», nous nous sommes attardé sur les formes contemporaines du «rapport au temps normal», c'est-à-dire en tant que produit des normes sociales. Trois caractéristiques temporelles principales peuvent y être dégagées. La première résulte du concept de mémoire vive, autrement dit d'un rapport au temps passé instantané et volatile. La seconde est celle de la nécessaire connexion permanente de l'individu avec lui-même ainsi qu'avec son environnement. Enfin, la troisième caractéristique est celle du récit-projet, c'est-à-dire une multiplicité de projets investie subjectivement par l'individu. Nous avons exploré le rapport au temps dans notre étude, mais d'autres éléments d'analyse auraient été possibles. En ce sens, notre travail constitue une illustration de ce que peut apporter une étude du phénomène de la dépression et demeure, par le fait même, une prise de position pour le développement des études sociologiques dans le champ de la santé mentale. Les troubles dépressifs, en tant qu'expérience totale pour l'individu (au sens où ce dernier ne peut prendre congé de son état, ne serait-ce que pour quelques heures), constituent un analyseur social des plus pertinents et ce travail s'est attardé à le montrer. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Santé mentale, Troubles dépressifs, Antidépresseurs, Régulation sociale, Normativité sociale, Individualité contemporaine, rapport au temps.

Identiferoai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.1862
Date January 2009
CreatorsMoreau, Nicolas
Source SetsLibrary and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada
Detected LanguageFrench
TypeThèse acceptée, PeerReviewed
Formatapplication/pdf
Relationhttp://www.archipel.uqam.ca/1862/

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