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L'imagination morale et l'expérience tragique dans la pensée de Martha C. Nussbaum

« Socrate, dit-on, n’allait pas à la tragédie », écrit Clément Rosset dans son livre Philosophie tragique. Selon la philosophe américaine Martha C. Nussbaum, c’est spécifiquement cette pulsion anti-tragique qui caractériserait la philosophie dès Platon. Au XIXe siècle, le Nietzsche de La naissance de la tragédie avait déjà déclaré le meurtre de la tragédie par la philosophie ; bien que Nussbaum soit généralement en accord avec le diagnostic du philosophe allemand, elle y apporte un élément novateur. De fait, elle voit dans la philosophie aristotélicienne une brèche dans la tradition : un contre-argument à la théorie platonicienne ainsi qu’une continuité de la pensée tragique. Premier penseur de la tragédie, Aristote accordait déjà une part importante à la fortune (tuchè) dans sa théorie éthique. Or, cette vulnérabilité ontologique, c’est-à-dire le fait que l’être humain soit jusqu’à un certain point à la merci de forces qui le dépassent, phénomène que nous tenterons de penser sous le mode de la teneur tragique de l’existence, serait précisément ce qui permettrait, selon notre auteure, de fonder une philosophie contemporaine « pleinement humaine ». Cependant, pour appréhender le tragique, l’être percevant doit présenter une organisation du monde lui permettant de le voir comme tel. Pour Nussbaum, cette reconfiguration du vécu serait possible par l’imagination ; plus spécifiquement, par la littérature. Plus encore, l’imagination morale ici proposée par notre auteur serait à proprement parler cette rencontre avec la composante fondamentalement tragique de la vie. Nous pouvons donc dire que, en s’appuyant sur la méthode aristotélicienne ainsi que sur l’expérience tragique, l’auteure se situe dans la tradition d’un questionnement sur la notion d’imagination morale, et y apporte une contribution riche et particulière. / “Socrates, it is said, did not attend to tragedies,” wrote Clement Rosset in his book Tragic Philosophy. According to the American philosopher Martha C. Nussbaum, it is specifically this anti-tragic impulse that has characterized philosophy since Plato. In the nineteenth century, the Nietzsche of The Birth of Tragedy had already declared the murder of tragedy by philosophy; although Nussbaum generally agrees with the diagnosis of the German philosopher, she adds an innovative element to it. Indeed, she sees in Aristotelian philosophy a breach in tradition: a counterargument to Platonist theory as well as a continuity of tragic thought. Aristotle, the first great thinker of tragedy, had already given an important role to fortune (tuchè) in his ethical theory. However, this ontological vulnerability, that is the fact that human beings are to a certain extent at the mercy of forces beyond their control, a phenomenon that we will try to think of as the tragic content of existence, would be precisely what, according to our author, would make it possible to found a contemporary philosophy that is “fully human”. However, in order to apprehend this tragic component, the perceiving being must present an organization of the world that allows him to see it as such. For Nussbaum, this reconfiguration of experience would be possible through imagination; more specifically, through literature. Moreover, the moral imagination hereby proposed by our author is, specifically, the encounter with life’s fundamentally tragic components. We can therefore say that, by relying on the Aristotelian method as well as on tragic experience, Nussbaum belongs to a tradition that addresses the notion of moral imagination and makes a rich and particular contribution to it.

Identiferoai:union.ndltd.org:LAVAL/oai:corpus.ulaval.ca:20.500.11794/67799
Date10 February 2024
CreatorsJutras, Elizabeth
ContributorsLandes, Donald A.
Source SetsUniversité Laval
LanguageFrench
Detected LanguageEnglish
Typemémoire de maîtrise, COAR1_1::Texte::Thèse::Mémoire de maîtrise
Format1 ressource en ligne (viii, 119 pages), application/pdf
Rightshttp://purl.org/coar/access_right/c_abf2

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