Toute historiographie se construit sous la forme d’un récit, soutenue par une narration qui, autour d’une intrigue, sélectionne et organise les événements en fonction de leur importance relative à des critères prédéterminés. La période des années 1960, qui est habituellement décrite comme celle de la naissance de la littérature québécoise, est on ne peut plus représentative de cette logique narrative qui sous-tend toute démarche historique. Un événement retenu par cette histoire, la Nuit de la poésie du 27 mars 1970, s’est littéralement élevé au rang de mythe dans l’imaginaire littéraire, mais aussi identitaire des Québécois. Que ce soit à travers les triomphes de Claude Gauvreau et de Michèle Lalonde ou la foule de plusieurs milliers de personnes devant le Gesù qui espérait assister à la soirée, cet événement, mis sur pellicule par Jean-Claude Labrecque et Jean-Pierre Masse, a été conçu par plusieurs comme l’apothéose de « l’âge de la parole ».
Une observation minutieuse de ce happening soulève cependant de nombreuses questions concernant la construction de ce rôle dans l’histoire littéraire québécoise. En effet, tant l’étude des conditions d’organisation de la soirée que l’analyse de son mode de transmission révèlent des motivations archivistiques qui laissent transparaître l’objectif de la Nuit à « faire événement », à produire des traces qui participeront à l’inscription historique de la poésie québécoise. Considérant que l’œuvre filmique de Labrecque et de Masse constitue le seul véritable document témoignant de cet événement et que celui-ci a fait l’objet d’un montage ne présentant qu’une facette de la soirée, les enjeux de représentation et de mise en récit inhérents au cinéma documentaire poussent à questionner le portrait désiré de la poésie de l’époque que l’on voulait créer à travers le long-métrage. Véritable plateau de tournage, le spectacle du 27 mars 1970 appelle à être analysé dans les termes d’une conscience historique qui pousse les acteurs du milieu littéraire de l’époque à ériger les monuments qui seront à la base du canon et de l’institution littéraires québécois.
L’étude, mobilisant les ressources de l’analyse de texte, de la sociologie de la littérature, de la théorie historiographique et de la théorie du cinéma, portera principalement sur le documentaire La Nuit de la poésie 27 mars 1970, considéré comme véritable recueil de textes, mais aussi de façon tout à fait originale sur les archives inédites rejetées du montage final des réalisateurs de l’ONF. Au terme de ce travail, j’approfondirai la réflexion sur le rôle historique d’un événement emblématique de la littérature québécoise en explicitant la construction historique autour de celui-ci. Il s’agira non seulement de relativiser l’événement en tant que tel, mais aussi de réfléchir sur le grand récit espéré par les artistes de l’époque. / Any historiography is constructed on the model of a story, that is, the narration of an underlying plot which conveys the particular choosing and singling out of events based upon their importance according to predefined criteria. The 1960s, which are usually depicted as the period where Quebecois literature came into being, are representative of this narrative logic which underlies the stream of history. "La Nuit de la poésie", which took place on the 27th of March 1970, was one of those events singled out by history and mythologized in Quebec’s collective imagination. As such, the happening, filmed by Jean-Claude Labrecque and Jean-Pierre Masse, was conceived by many as the apex of this fruitful period called the "âge de la parole".
A study of this happening, however, raises many questions about the process of historical construction which took place around the event. The organization of the night, as well as the way it was passed to further generations, both highlight the strong aspiration to create an historical event and to mark Quebec’s literary culture. Given that Labrecque and Masse’s documentary is the only genuine document attesting to the event, and that the film itself has been subjected to a great deal of editing, issues of representation and of creation of narrative need to be addressed in the context of the cultural affirmation Quebec went through in the 1960s. The Night thus should be analyzed as an indication of an emergent historical consciousness, influencing the cultural actors of the 1960s and 1970s and creating a new group of canonical figures in Quebecois literature.
This study, based on text analysis, the sociology of literature, historiography, and film theory, will bear on the documentary La Nuit de la poésie 27 mars 1970, and specifically on the singular work of editing which led to the rejection of many performances from the final documentary. At the end of this analysis, I will deepen the historical role of this iconic event by addressing the cultural and historical construction that surrounded it. The effect of my perspective will be to mitigate the impact of this event alone, but also to draw on the key features that underlined the historical vision characteristic of the literary Quebec of the 1960s.
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/12499 |
Date | 12 1900 |
Creators | A.-Savoie, Olivier |
Contributors | Lapointe, Martine-Emmanuelle |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Thèse ou Mémoire numérique / Electronic Thesis or Dissertation |
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