L'oeuvre de Jean Genet (1910-1986) est hantée par la question du regard. Depuis Notre-Dame-des-Fleurs, en 1944, jusqu'à la publication posthume du Captif amoureux, en 1986, il suffit d'ouvrir n'importe quel roman, ou pièce de théâtre, et à tout prendre il suffit d'ouvrir l'oeuvre de Genet à peu près n'importe où, y compris les textes se rapportant à son engagement politique, pour constater que le visible est en question, que l'image est le site d'une interrogation incessante et que le regard est au centre d'un procès qui est le procès du visible, de l'image et du regard. La littérature, le théâtre, voire le cinéma peuvent-ils en rendre compte? Sans doute. Mais comment? Les questions reviennent et se multiplient. Tantôt les images auront la force de l'icône, tantôt elles ne seront plus que surfaces plates, idoles creuses ou vains reflets; tantôt elles seront assomption du visible et seuil de fascination, tantôt elles seront l'objet d'un drame visuel qui les révèle comme simulacres trompeurs et sans consistance; tantôt elles seront prétextes à une apologie du fantasme et des fonctions de l'apparence, tantôt elles actualiseront la rencontre du réel et de la mort. À partir des enseignements de la psychanalyse (Freud, Lacan), qui nous permettent de distinguer regard et image au sein d'une théorie du sujet, cette thèse propose de démontrer comment le procès du regard se tient autour de deux dimensions étrangement nouées l'une à l'autre dans les rapports que Genet entretient avec le visuel, à savoir le motif de l'écran et la figure de la mère. Suivant cette hypothèse, il se peut que la réalité des images soit à penser à partir d'une structure d'écran dont l'écrivain n'a cessé d'avoir l'intuition poétique, jusqu'à ce que la figure de la mère y soit convoquée au lieu de l'image. Tel est, du moins, le champ qu'il s'agit d'ouvrir pour décrire, commenter et interroger le procès du visible, de l'image et du regard dans l'oeuvre de Genet. La première partie accorde une place prépondérante à la question du cinéma, au moment où Genet tourne Un chant d'amour, alors qu'il prétend avoir renoncé à la littérature. Par conséquent, le cinéma sera ici l'occasion de ressaisir une esthétique, voire une hantise de la question même de l'écran, dans les rapports que l'écrivain entretient avec le monde des images (conditions d'apparition, conditions du regard, conditions de l'écran de cinéma lui-même, etc.) Débuter une réflexion sur le cinéma chez Genet, revient d'abord à tenter d'interroger la matrice esthétique d'un univers carcéral, représentatif de l'oeuvre de Genet (de la cellule comme condition même de l'image et du fantasme) en même temps que les images se présentent dans le champ de la pulsion scopique qui voit dans les images fétichisées, détaillées sur fond d'écran noir des images-objets posées sur le vide où rien n'est à voir, sinon l'image, sinon l'écran lui-même. Mais cela revient aussi à dire que le cinéma convie l'écrivain à la matérialisation extérieure, à l'effectivité au dehors des images. À ce titre, le théâtre ne fait-il que prolonger une même disposition, à cette différence près que le corps des acteurs, la représentation elle-même, n'a plus lieu sous l'aspect d'images filmées, aplaties à la surface de l'écran, mais visibles ici sur la scène, dans un même espace physique que le spectateur partage en partie avec la représentation? La question peut se poser, mais elle risque de nous écarter du théâtre lui-même. Sur un plan strictement esthétique, le théâtre de Genet introduit une rupture avec le cinéma, tout autant qu'avec les romans qui précèdent. Non seulement parce que la réalité matérielle des images doit être posée tout autrement, mais parce que la scène introduit d'elle-même un rapport différent à la spécularité que la représentation théâtrale doit rendre sensible sur le mode de la comédie. Cette thèse propose donc une réflexion critique sur deux axes dont il s'agit de tirer les conséquences: l) d'une part, que la question du lieu des images lieu scripturaire des images du fantasme, lieu cinématographique ou lieu théâtral -fut pour Genet un problème réel, qui outrepasse les enjeux calculés d'une esthétique, mais se traduit par une préoccupation essentielle qui, cependant, reconduit une esthétique. Passer de la scène intérieure de l'écriture à la scène extérieure du monde, cela revenait à envisager un autre lieu pour les images. 2) D'autre part, qu'au lieu des images, c'est toujours le regard qui est en question. Et d'abord le regard de « Jean Genet », le regard du sujet Genet, tel que les fictions romanesques en donnaient déjà les conditions. Ce regard, il est possible de l'articuler sur différents registres: de la vision de l'écran à la transparence du voile; du paravent crevé à la toile déchirée; mais aussi de la vision d'une surface aveugle, d'une image occlusive, à la vision d'une surface spéculaire, d'une image-miroir. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Jean Genet, Image, Regard, Écran, Cinéma, Littérature, Psychanalyse.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.2522 |
Date | January 2009 |
Creators | Lussier, Alexis |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse acceptée, NonPeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://www.archipel.uqam.ca/2522/ |
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