La présente thèse porte sur la fragmentation comme écriture du sujet aux prises avec la violence du réel dans les œuvres d'Hubert Aquin et de Marguerite Duras. La rencontre des corpus de ces écrivains marquants du XXe siècle - malgré le fait qu'Aquin soit moins connu en dehors du Québec - peut paraître à la fois étonnante et insolite. Les poétiques de ces deux œuvres semblent s'opposer là où la prose aquinienne s'écrit dans un débordement de la parole alors que celle de Duras procède plutôt d'un dépouillement de la langue. Lire conjointement ces deux œuvres permet de prendre en considération différents effets d'une fragmentation dont la source, la cause, est précisément ce que la thèse vise à déterminer. Afin de rendre compte de cette fragmentation dans un corps d'écriture, c'est le rapport du sujet au réel et à sa violence d'effraction qu'il convient d'analyser. On verra, de là, à quel point les poétiques de ces deux écrivains empruntent des voies étonnamment communes. La première partie de la thèse s'interroge sur le statut du sujet en question, et cherche à construire les rapports entre ce que la psychanalyse (Freud et Lacan) a révélé de sa division par l'Autre, dans ce qu'il infère sur le plan pulsionnel, et le sujet tel qu'il est mis en acte dans l'écriture. Cette réflexion se divise en deux chapitres. Le premier porte d'abord sur la représentation du « je » tentée par les textes pararomanesques qui réfléchissent sur l'acte même d'écrire. Il s'agit ensuite de mettre en lumière la mosaïque kaléidoscopique de certains moi imaginaires - personnages-narrateurs -, qui construisent le sujet fictif. Le deuxième chapitre travaille à montrer, à partir de Neige noire (Aquin) et Les yeux bleus cheveux noirs (Duras), deux textes qui convoquent le scénique dans le romanesque, l'obsession du voir et la présence d'une pulsion scopique déterminante. On parvient dès lors à rendre compte d'un sujet divisé par un désir et une jouissance dont le corps poétique est la manifestation singulière. La deuxième partie se consacre au rapport à l'Autre entendu selon ses multiples acceptions, c'est-à-dire l'autre imaginaire, l'Autre symbolique, mais aussi et surtout l'Autre réel. La notion d'Autre telle qu'elle nous vient de Lacan permet d'éclairer avec concrétude comment se joue la fragmentation d'un sujet aux prises avec l'impossible. Car le réel tel que l'entend cette thèse n'est pas conçu comme un synonyme de réalité, mais bien comme ce qui existe au-delà du symbolisable, « lieu » structurant et déstructurant qui fait retour dans le corps textuel des deux auteurs, Aquin et Duras. L'impossible frappe l'écriture, produit des effets d'éclatement, surmultipliant les fractures, et rouvre des trous dans la représentation comme dans la langue; trous que chacune de ces œuvres éprouve et rejoue de manière différente. Ce rapport à l'Autre réel est lisible à partir de certaines figures importantes et centrales pour Aquin et pour Duras : le maternel/féminin, l'Histoire et Dieu. Le troisième chapitre travaille donc à dégager la figure du féminin/maternel, alors que le quatrième et dernier chapitre de la thèse analyse conjointement Dieu et l'Histoire, montrant ainsi que si le réel est, pour ces deux œuvres, le registre central qui permet d'inscrire la force d'une même déliaison, Aquin et Duras entretiennent avec ce réel des rapports bien différents. La thèse révèle que la fragmentation est l'effraction du réel dans l'écriture. Certains sujets en font l'expérience violente au cœur même de ce qui fait écrire. Le sujet dont il est question, celui de l'énonciation et de la poétique, est d'abord et avant tout une construction de l'écriture, que ce soit celle des récits ou de certains textes pararomanesques qui appartiennent à des genres différents. Cette dimension du sujet convoque donc le registre de la jouissance. C'est sur le plan de la jouissance que les œuvres d'Aquin et de Duras nous engagent à les lire, une jouissance problématique qui questionne les fondements mêmes d'une culture traversée par la violence de la haine. Ainsi, par leur écriture, Aquin et Duras mettent à l'avant-scène une vérité universelle et la nécessité de dire la puissance mortifère qui opère. C'est parce que les textes s'en font la transmission qu'ils relèvent d'une éthique singulière. Par un parcours qui emprunte des voies multiples, mais essentielles, la thèse veut éclairer l'éthique d'une écriture qui est finalement transgressive. Sans pouvoir résoudre de manière morale et conceptuelle le problème de la violence et de la jouissance que les œuvres dégagent, c'est au contraire l'ambivalence sur laquelle elles se fondent qui se doit d'être à la fin reconvoquée. La fragmentation qui devient corps dans et par l'écriture est le lieu d'une lucidité qui fait la malédiction des grands écrivains. En cela, Hubert Aquin et Marguerite Duras dialoguent avec plusieurs auteurs et penseurs incontournables de la modernité littéraire.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : fragmentation, psychanalyse, réel, violence, sujet de l'énonciation, modernité, écriture, pulsion scopique, Autre, maternel, féminin, Histoire, Dieu, éthique, malédiction
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.5536 |
Date | 05 1900 |
Creators | Proulx, Caroline |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse acceptée, NonPeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://www.archipel.uqam.ca/5536/ |
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