Cette thèse envisage la relation qui prend forme par le biais du texte littéraire, lors de son écriture et de ses lectures subséquentes, dans la perspective d’une amitié, telle que l’amitié textuelle posthume entre les autrices Clarice Lispector (1920-1977) et Hélène Cixous (1937- ) la donne à penser. Bien que la mort de Lispector soit survenue avant que Cixous ait pu la lire, celle-ci a perçu dans son écriture un appel à l’amitié qui s’est répercuté autant dans sa pensée que dans son écriture et ses enseignements, influençant considérablement sa conception de l’écriture féminine. Il demeure que l’approche qu’a eue Cixous du texte lispectorien a été fortement critiquée parce que jugée trop envahissante, voire déformante, et ce, malgré les multiples invitations à la lectrice que recèle les textes de Lispector. Celle-ci somme sa lectrice à reconnaître non seulement le rôle qu’elle joue dans la constitution du texte, mais aussi à accepter sa part de la responsabilité qu’implique l’autorité du texte. L’étude de certains de ses romans montre que Lispector met de l’avant une manière d’être en relation avec autrui par le biais du texte qui tient de l’amitié. Entre l’approche lispectorienne, qui appelle à une reconnaissance de la subjectivité, ce à quoi Cixous a adhéré pleinement, et celle des critiques de la lecture de Cixous, qui prônent une lecture objective fondée sur la connaissance, il y a donc un conflit portant sur le statut du texte littéraire et sur le rapport que l’on peut entretenir avec lui.
Cette relation inédite entre Lispector et Cixous est une invitation à revoir l’amitié de même que la manière dont on peut concevoir la relation qui prend forme par le biais du texte littéraire. Pour mieux comprendre le malaise que suscite le fait de rapprocher cette relation à une amitié, seront étudiées les définitions que les philosophes de l’Antiquité Platon, Aristote et Cicéron ont données à l’amitié pour mieux cerner, notamment, les enjeux relatifs à la réciprocité et à la vie en commun des amis. Montaigne et Maurice Blanchot ayant écrit au sujet de l’amitié une fois leur ami disparu, ils nous permettent de penser ce lien entre l’amitié et le texte, en ce que ce dernier permet la poursuite de la première après la mort de l’ami, alors que la réciprocité et la vie en commun sont rendues impossibles. Or, si le texte permet à l’amitié de se poursuivre au-delà de la mort, Emmanuel Levinas et Hans-Georg Gadamer considèrent que tout rapport au texte et toute herméneutique impliquent une relation qu’il faut simplement reconnaître. Cette amitié entre Lispector et Cixous s’avère donc un exemple d’amitié textuelle, laquelle est une invitation à revoir la manière dont on entre en relation avec le texte et dont on vit l’amitié en dehors de lui, comme quoi, à l’instar de toute relation, l’amitié et le texte se trouvent modifiés lorsqu’ils sont envisagés dans la perspective de leur relation. / This dissertation examines the relationship that takes shape within the literary text, through writing and reading it, as a friendship. The posthumous textual friendship between authors Clarice Lispector (1920-1977) and Hélène Cixous (1937- ) serves as an example as to how such a relationship can occur through the literary text. While Lispector was already dead when Cixous first read her, the latter heard a calling in the former’s writing, which she perceived as an invitation to be friends. Lispector’s oeuvre had a considerable influence on Cixous’ writing, teaching and thinking, even modifying her conception of écriture féminine. Nonetheless, her reading of Lispector’s texts was harshly criticized, as some found it to be domineering, even though Lispector often directly asks her reader to engage with the text so as not to leave her alone. She also invites her reader to recognize her share of the responsibility that comes with creating the text, suggesting a way to relate to another within the text that is akin to a friendship. This way to engage with the text calls for a recognition of everyone’s —writers’ and readers’— subjectivity, an approach Cixous took to heart. As for the critics, their approach to the literary text is based on knowledge instead of on the relationships to which it gives shape. This clash explains why they deemed Cixous’ reading as utterly unacceptable, these conflicting visions being irreconcilable.
Lispector’s and Cixous’ uncanny friendship reads as an invitation to envision friendship as a new way to engage with the literary text. To better understand the reluctance to define any relationship taking place within the literary text as a friendship, we will examine how friendship has been defined philosophically since Antiquity through the works of Plato, Aristotle and Cicero, in which the questions of reciprocity and proximity arise. Then, Montaigne and Maurice Blanchot, who wrote texts about their respective deceased friend, will help us to consider the relationship between friendship and the text, as the latter serves to keep the friendship alive after their friend’s death, when reciprocity and proximity are no longer possible in the living world. Since the text allows for friendship to be carried on after one of the friend’s passing, it can also be envisioned as the place for friendships to take place. Emmanuel Levinas and Hans-Georg Gadamer both consider that any relation to the text and hermeneutics as a whole implies a relationship that requires to be recognized as such. Therefore, the relationship between Lispector and Cixous is considered an example of textual friendship that allows us to rethink how we engage with the text but also how we experience friendship. Just like friends both impact one another, friendship and the literary text also affect one another when viewed through the lens of relationship.
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/27781 |
Date | 08 1900 |
Creators | Côté, Julie |
Contributors | Cochran, Terry |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | fra |
Detected Language | French |
Type | thesis, thèse |
Format | application/pdf |
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