Parallèlement à sa vaste production musicale, Franz Liszt (1811-1886) a laissé un certain nombre d'écrits qui permettent de mieux pénétrer sa pensée. La thèse propose d'étudier dans sa musique religieuse, composée principalement entre 1885 et 1886, deux idées qu'il a développées dans des articles au cours des années 1830 : la palingénésie (liée à la régénération) et l'extase. Interroger ces deux points revient à poser la question de la permanence et de l'application de données théoriques et esthétiques : Liszt met-il en pratique après 1855 ce qu'il écrit dans les années 1830 ? . Au seuil de la discussion de ces deux constantes, en partie fondée sur des sources rares et nouvelles, une approche méthodologique et épistémologique des lectures et des écrits de Liszt permet d'éclairer la façon dont le compositeur s'est imprégné de concepts dont on retrouve la trace dans ses œuvres. Jusqu'à présent, les études musicologiques ont presque exclusivement utilisé le terme de "réforme" pour aborder la musique religieuse de Liszt. Cependant, c'est un mot qu'il a très peu, voire jamais employé dans ce contexte. En revanche, en 1835, dans l'avant-dernier article "De la situation des artistes, et de leur condition dans la société", il évoque la "régénération de la musique religieuse". Il s'appuie notamment sur le concept de palingénésie ("renaissance") qui irrigue alors le milieu intellectuel et artistique, particulièrement par le biais des écrits de Ballanche et d'Ortigue. Ce concept, a joué un rôle fondamental dans ses positions esthétiques et dans son langage musical. Étudier la musique religieuse de Liszt sous l'angle de la "régénération" et non de la "réforme" permet donc de soulever de nouvelles perspectives et de mieux cerner le comportement historiciste de Liszt. Selon l'expression de Bülow, la "Missa solennis " de Liszt (1855) avait donné naissance à la "Zukunfts-Kirchenmusik", tournée vers l'avenir. Mais sa musique religieuse plonge également ses racines dans le chant grégorien et dans la musique de la Renaissance : la palingénésie explicite chez Liszt la dialectique entre passé et avenir. Elle explique aussi pourquoi son rapport aux traditions est, à l'inverse par exemple des cécitiens, progressiste et non conservateur. Par le réinvestissement des traditions romaines, Liszt confère à sa musique religieuse une profonde identité catholique. En 1839, Liszt écrit avec la treizième "Lettre d'un bachelier ès-musique" ("La Sainte Cécile de Raphaël") une véritable critique d'art. Il livre alors une lecture originale du tableau, dans lequel il voit une puissante allégorie : sainte Cécile représente "le symbole de la musique à son plus haut degré de puissance" et les quatre personnages qui l'entourent "résument les éléments essentiels de la musique et les effets divers qu'elle produit sur le cœur de l'homme". Mais surtout, il précise que sainte Cécile est en extase alors que les anges de la partie supérieure du tableau chantent "l'éternel "hozannah" [qui] retentit dans l'immensité". Le Hosanna se retrouve ainsi lié aux anges et à l'expression d'une extase contemplative. Contrairement à ce qu'écrivent habituellement les compositeurs, Liszt réserve aux hosannas un traitement particulier, puisqu'à l'instar du tableau de Raphaël, ils sont presque systématiquement doux et éthérés. Comme le montrent leur analyse et leur genèse, les Hosannas et les choeurs d'anges de Liszt expriment la même atmosphère contemplative et mystique que la "Sainte Cécile", rendue par des successions d'harmonies kaléidoscopiques, non fonctionnelles, que le compositeur appelait des "Liszt'sche Progression[s]" et que nous résumons par l'expression "champ transfiguratoire" En 1863, Baudelaire défiait quiconque de "diviser"Liszt. Notre but est enfin de rappeler la diversité de la carrière et de l'œuvre de celui qui ne fut pas seulement "le roi des pianistes". Son identité doit être rendue dans sa variété et, pour reprendre l'expression du poète, dans ses "méandres capricieux". / Among his huge production, Franz Liszt (1811-1886) left a considerable number of writings which allow us to understand his thought. The present dissertation aims at studying in his religious music – composed essentially between 1855 and 1886 – two ideas he developed in different articles during the 1830s: palingenesis (linked to regeneration) and ecstasy. Discussing these two issues means at first asking the question of permanence and the application of theoretical and aesthetical ideas: did Liszt put into practice after 1855 what he wrote in the 1830s? On the threshold of the discussion of these two subjects, partly based on rare and new sources, a methodological and epistemological approach of Liszt’s readings and writings helps us to understand the way the composer was absorbed by the concepts which we can follow through his works. To the present, studies of Liszt’s religious music almost exclusively used the word “reform” and its direct translations. Yet, it is a word the composer seldom used, if ever, in this context. However, in 1835, in the penultimate article of De la situation des artistes, et de leur condition dans la société, he mentioned the « régénération » of religious music. He thus shows himself influenced by the concept of palingenesis, which Liszt primarily accessed through the writings by Ballanche and d’Ortigue, overran intellectual and artistic concerns. This concept, which can be traced throughout his career, played an essential role in his aesthetic views and his musical language. Thus, studying Liszt’s religious music from the “regeneration” point of view as opposed to that of “reform” widens our perspectives on his historicist profile. According to Bülow, Liszt’s Missa solennis (1855) gave birth to the forward-looking “Zukunfts-Kirchenmusik.” However, Liszt’s religious music was firmly rooted in the past – both in the Gregorian Chant repertoire and the music of the Renaissance. With Liszt’s music, it is this very palingenesis that explains why his compositional conception is not conservative but progressive and well explains his opposition to the Cecilian movement. By reinvesting in Roman traditions, Liszt imbues his religious music with a deep catholic identity. In 1839, with the thirteenth “Lettre d’un bachelier ès-musique”, Liszt wrote substantive art criticism. Notably, he fashioned an original reading of Raphael’s powerfully allegorical Saint Cecilia: here the subject represents “a symbol of music at the height of its power” and the four characters surrounding her – (left to right) Saints Paul, John, Augustine and Mary Magdalene – not only embody music’s elements, but also the various effects on human’s soul. Moreover, Liszt pointed out that St Cecilia stands in ecstasy while the angels above her sing “their eternal hosanna”. The hosanna is therefore linked with angels and with expression of contemplative rapture. It is not surprising then that Liszt composed his hosannas in a singular manner, since, as in Raphael’s depiction, they are invariably mild and ethereal. As both studies of the works’ genesis and insightful analyses show, Liszt’s hosannas and angels’ choruses express the same contemplative and mystical atmosphere as Raphael’s Saint Cecilia – an atmosphere created by a succession of kaleidoscopic, non-functional harmonies which the composer himself labelled as “Liszt’sche progression”. In 1863, Baudelaire prophetically challenged anyone to “separate” and “divide” Liszt’s artistic profile. Thus we have to be mindful of Liszt’s versatility, and we cannot consider him only as “le roi des pianistes”, but as a creator characterized, again in Baudelaire’s words, by its “méandres capricieux”.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2008TOUR2002 |
Date | 24 June 2008 |
Creators | Dufetel, Nicolas |
Contributors | Tours, Gosselin, Guy |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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