Le mémoire présenté pour l'habilitation à diriger des recherches s'appuie sur un ensemble de recherches et d'analyses de documents afin d'interroger la médecine comme profession, comme travail et comme pratique, à partir des rapports qu'elle entretient avec d'autres champs (l'État, le droit, le travail, les " profanes "), jusqu'à mettre en question son pouvoir fondateur : guérir. Plusieurs approches y sont mobilisées successivement ou simultanément, puisque la profession médicale n'est pas étudiée ici comme un " tout ", mais à partir de certains de ses aspects structurants : la formation et la sélection des médecins ; la constitution de l'objet du travail médical ; la séparation des espaces professionnels et " profanes " ; l'inscription sociale de la guérison. Ce texte est organisé autour de cinq parties rassemblant onze chapitres. La logique de leur exposition répond à un souci d'intelligibilité des concepts et des approches plus qu'au déroulement linéaire d'une démonstration logique. La première partie est consacrée à la profession médicale comme corps institué. Elle propose trois approches différentes afin de rendre compte de processus de transformation se déroulant à différentes périodes. La première approche mobilise des matériaux historiques pour interroger le monopole de la médecine en France et la structuration professionnelle qui la caractérise. Le deuxième chapitre s'appuie sur les transformations induites par la réforme des études médicales de 1982 pour mettre en évidence les différents leviers à partir desquels les flux médicaux sont contrôlés, mais aussi les paradoxes d'un système reposant sur des formes élitistes revendiquées par les professionnels et permettant à l'État de renforcer son contrôle de la profession. C'est par les femmes et leur installation dans la profession, que se conclue cette première partie, puisque la féminisation de la profession constitue un moyen heuristique pour interroger les évolutions des dispositions étudiantes au moment de leur orientation et de leurs choix d'exercice. La deuxième partie vise à intégrer la médecine dans l'espace plus général, du travail et des activités économiques. Le droit y est largement convoqué, car la réglementation du travail salarié fut à l'origine de l'explosion démographique et économique de la profession médicale, non seulement parce que les médecins ont ensuite pu compter sur une rémunération garantie par les Assurances sociales, mais aussi parce qu'ils ont été placés au cœur d'un système économique inscrivant le corps du salarié comme instrument privilégié de la production de valeur. Un système dont le chapitre V montre qu'il a divisé le corps médical, entre ses représentants défendant la liberté médicale et des praticiens qui, sur le terrain, y voyaient le moyen de gagner leur vie en dispensant leurs soins à une clientèle élargie. La troisième partie part d'une digression visant à définir le concept d'objet du travail, utilisé pour penser celui de profession. Les transformations observées dans la gestion tant symbolique qu'organisationnelle du travail dans deux secteurs, la coiffure et la Marine nationale, autour de la thématique de la professionnalisation, sont l'occasion de définir ce concept d'objet du travail, mobilisé pour saisir les niveaux d'autonomie des acteurs. Le chapitre suivant étudie l'objet du travail médical en formation, défini au cours d'un apprentissage à la fois théorique et hospitalier. Cette troisième partie fait le lien entre les deux premières et les deux suivantes : entre d'une part, la profession médicale et son institutionnalisation et d'autre part, la pratique médicale et ses effets. Le concept de professionnel n'a de sens que s'il peut s'opposer à celui de profane. C'est à cette figure qu'est consacrée la quatrième partie, étudiée à travers des profanes présentant des caractéristiques particulières : les parents d'enfants-malades. Les profanes sont ici des parents revendiquant une responsabilité parentale mise à mal par le traitement médical subi par leur enfant devenu malade. La confrontation de l'autorité parentale au pouvoir médical peut prendre des formes diverses étudiées au chapitre IX, plus ou moins conflictuelles, signalant l'opposition entre deux points de vue : celui d'un savoir et celui d'une expérience, l'un scientifiquement établi et l'autre inscrit dans des liens affectifs. La dernière partie est consacrée à la problématique de la guérison. Au centre de la demande de soins, la guérison symbolise le pouvoir quasi magique de la médecine. Les progrès thérapeutiques renferment pourtant de nombreux pièges et parfois inversent le cours de la rémission. En quoi la problématique de la guérison est-elle contenue dans l'exercice même du pouvoir médical ? Comment, dans une société qui n'a pas abandonné son rêve d'immortalité, la guérison relève-t-elle d'un héritage d'une conception magico-religieuse du pouvoir du médecin ? Penser la lutte contre le cancer en tant qu'objet du travail médical est une manière efficace de faire apparaître les distorsions entre l'idéal thérapeutique et les réalités de la guérison. Celle-ci s'apparente à un non-lieu social qui, faute d'être clairement identifié, fait l'impasse sur le changement d'état induit par l'action de la médecine.
Identifer | oai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00847784 |
Date | 28 June 2010 |
Creators | Hardy, Anne-Chantal |
Publisher | Université de Nantes |
Source Sets | CCSD theses-EN-ligne, France |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | habilitation ࠤiriger des recherches |
Page generated in 0.0017 seconds