Thèse diffusée initialement dans le cadre d'un projet pilote des Presses de l'Université de Montréal/Centre d'édition numérique UdeM (1997-2008) avec l'autorisation de l'auteur. / Thèse numérisée par la Direction des bibliothèques de l'Université de Montréal. / La littérature sur la formation des stratégies de pouvoir dans le secteur des services humains est relativement inexplorée par rapport à celle qui traite du pouvoir dans le secteur industriel. C’est dans cette optique que la présente recherche examine la formation des stratégies de pouvoir dans une organisation de santé mentale qui vient de vivre une scission mouvementée avec un hôpital psychiatrique.
En effet, l’organisation étudiée était un centre de santé mentale en voie de séparation administrative et organisationnelle complète d’un hôpital psychiatrique. Depuis plusieurs années, l’hôpital faisait face à des pressions de la communauté pour assurer une plus grande présence communautaire. Certains groupes culturels, pour leur part, réclamaient le contrôle des services par leur population. Suite à une proclamation du gouvernement ontarien, une nouvelle organisation a été formée, chacun des groupes culturels ayant son propre conseil consultatif dépendant d’un conseil administratif central.
Les questions centrales de la recherche furent donc les suivantes : quels genres de stratégies émergent quand il y a un tel changement organisationnel ? Comment les employés réagissent-ils à ces événements en termes de stratégies de pouvoir ? En quoi leurs stratégies sont-elles semblables ou différentes? Quels modèles de relations de pouvoir émergent autour des stratégies ? Pour bien comprendre les stratégies de pouvoir, une analyse interdisciplinaire utilisant la perspective des relations et des enjeux de pouvoir est préconisée. La formation des stratégies a lieu à deux niveaux : à un premier niveau, plus évident, où les acteurs manipulent des sources de pouvoir dans leurs relations avec les autres et leurs actions par rapport aux autres, et, à un deuxième niveau, plus profond et subtil, où les stratégies des personnes sont nuancées par leurs valeurs culturelles, leurs croyances et leurs pratiques, qui passent souvent inaperçues dans le fonctionnement organisationnel.
La partie empirique de cette recherche exploratoire s’est basée sur une étude d’employés appartenant à quatre niveaux hiérarchiques de cette organisation. Les quatre groupes avaient en commun la séparation organisationnelle de l’hôpital psychiatrique, un environnement politique mouvementé, et tous travaillaient à l’amélioration des services répondant aux besoins de santé mentale des enfants, des adolescents et des familles de la région. Par contre, des contrastes existaient au niveau des responsabilités et des rôles des groupes, de leur autonomie professionnelle et de leur formation. Nous avons aussi comparé les groupes d’employés selon leur ancienneté (les nouveaux venus et les anciens) dans l’organisation.
Pour la cueillette des données, nous avons utilisé des entrevues semi-structurées, des documents historiques, fait une observation participante limitée, et utilisé notre expérience personnelle dans l’organisation étudiée. Utilisant une approche qualitative, l’analyse des entrevues a comparé les stratégies de pouvoir selon leur appartenance hiérarchique et selon leur ancienneté. Les quatre groupes étaient constitués de trois personnes de la haute direction, de trois chefs d’équipe (cadres intermédiaires), de dix-huit thérapeutes et de trois secrétaires. Il y a eu en tout vingt-huit entrevues. Celles-ci ont révélé que les employés étaient très préoccupés par les enjeux de pouvoir entre les membres de l’organisation. A cet effet, la littérature fait état de huit sources de pouvoir, ignorant la dimension de l’identité culturelle. C’est justement ce dernier point généralement ignoré que cette recherche met en lumière. De même, contrairement aux croyances générales, ceux qui sont au sommet de la hiérarchie n’ont pas toujours un accès plus facile aux sources de pouvoir.
La recherche a exploré douze stratégies au premier niveau (surface level) et quatre stratégies au deuxième niveau (deep level). La répartition inégale des stratégies dans les groupes hiérarchiques relève de l’accès différencié aux sources de pouvoir, du contexte historique, et des valeurs et croyances des personnes impliquées. L’analyse révèle que les membres de la haute direction ont mis l’accent sur le pouvoir formel, notamment sur les politiques et procédures, les lignes de communication formelle, et l’identité culturelle pour justifier certaines pratiques d’embauche. Les chefs d’équipe, pour leur part, se sont décrits comme “coincés” entre les autres niveaux. Ils ont évité les tirs croisés et ont eu tendance à aller chercher des alliances à l’extérieur. Les thérapeutes, quant à eux, ont utilisé le passé pour contrecarrer les efforts de la direction, qui voulait faire croire que seulement ce qui était nouveau était sou-haitable; ils ont aussi entretenu une certaine distance psychologique. Le quatrième groupe, celui des secrétaires, a joué un rôle plus périphérique et a fait preuve de peu d’engagement par rapport aux enjeux de pouvoir. Aucun groupe n’a mis l’accent sur les stratégies comportant des contraintes et des réprimandes. Les résultats ont souligné que la haute direction avait davantage eu recours plus aux stratégies de deuxième niveau que les autres groupes. Les anciens ont profité de leur connaissance approfondie de l’organisation et de son histoire pour imposer leurs stratégies, dimension que les nouveaux venus n’ont pu intégrer dans les leurs. Les directeurs ont essayé d’exercer un contre-pouvoir en promouvant l’idée que tout changement était désirable et qu’il fallait se départir des habitudes et des pratiques du passé. Les données ont démontré que les stratégies de deuxième niveau augmentaient ou renforçaient les sources de pouvoir au premier niveau lorsqu’elles étaient affaiblies, quel que soit la position dans l’hiérarchie. Les valeurs et les croyances à ce niveau ont agi comme catalyseur pour contrecarrer les stratégies de premier niveau. Le modèle d’analyse utilisé a aidé à comprendre le contraste entre les stratégies de la direction, visant le “nouveau”, et celles des thérapeutes qui ont tiré profit de leur connaissance du passé de l’organisation.
La recherche a mis en évidence que la formation des stratégies se produisait à tous les niveaux de l’organisation. Cela défie la croyance générale selon laquelle la formation des stratégies de pouvoir serait une fonction de la haute direction. L’étude a rassemblé et analysé des données au niveau micro-relationnel de l’organisation et a identifié des indicateurs possibles de problèmes organisationnels. Le modèle d’analyse utilisé a révélé une scission entre le mandat de la haute direction, qui était de mettre sur pied une toute nouvelle organisation, et les efforts et stratégies des autres niveaux pour maintenir les pratiques passées.
En terme de contributions théoriques et méthodologiques, nous reconnaissons qu’il y a une complémentarité entre les différentes approches théoriques des organisations, chacune apportant un éclairage particulier. La littérature sur le changement dans les organisations industrielles cite souvent l’importance de dépasser les questions d’histoire organisationnelle pour amorcer le changement. La présente recherche révèle que des dynamiques semblables existent également dans le secteur des services humains. La littérature du secteur industriel peut être utile comme point de départ pour étudier une organisation tel un centre de santé mentale communautaire.
En conclusion, cette recherche affirme l’importance d’une approche multi-dimensionnelle et interdisciplinaire pour l’étude de la formation des stratégies de pouvoir. L’analyse a démontré que la structure organisationnelle, son contexte, son histoire et son développement, les composantes relationnelles entre les niveaux hiérarchiques, les relations entre les anciens et les nouveaux, et les valeurs et croyances des personnes impliquées interagissent et jouent ainsi un rôle déterminant dans la formation des stratégies de pouvoir. L’analyse des stratégies des premier et deuxième niveaux est essentielle pour comprendre les enjeux de pouvoir dans les organisations. / The literature on strategy formation in the human services sector is relatively unexplored when examined against the backdrop of research on power from the industrial sector. The present research examines power strategy formation of employees in a mental health organization that went through a long separation from a psychiatric hospital. The central questions addressed were: What kinds of strategies emerge when there is turbulent organizational change? How do the employees deal with the turbulent events in terms of power strategies? How are their power strategies similar or different? What relational power pat-terns emerge around the power strategies?
To understand power strategy formation, a perspective using an interdisciplinary power games and relations perspective is advocated. Power strategy formation takes place at the surface level of organizations, where actors manipulate power sources to confront others in order to gain their compliance, to avoid resistance, and to prevent the emergence of con-troversial issues that become dilemmas for them. Strategy formation also occurs on a deeper level, where actions of personnel are coded with cultural values, beliefs, and practices that often are an unperceived part of organizational functioning.
This research relied on semi-structured interviews, historical documents, limited participant observation, and the researcher’s personal experience working in the organization. Using a qualitative research approach, the analysis of the interviews compared staffs from different hierarchical levels as well as their veteran or newcomer status in the organization. Six hundred references to sources of power and nearly one thousand references to power strategies were compiled from transcripts of staff interviews.
The present research provides evidence for including cultural identity as a source of power in organizations. Also, the analysis found that higher-ups do not always have more access to power sources, depending on the historical context and the values and beliefs of other participants.
The research explored twelve surface and four deep level strategies. The uneven distribution of strategies across hierarchical groups is viewed as a reflection of differing access to power sources and of historical context. Senior managers placed more emphasis on deep level strategies than team leaders, therapists, and clerical staffs. Senior managers focused on formal or structural sources of power and strategies and somewhat on cultural identity around issues of hiring. Middle managers, for their part, described themselves as sandwiched between levels and avoided the crossfire or tended to go to outside sources for support. Therapists, for their part, anchored themselves to the past to thwart change efforts and exercised psychological distance. The fourth hierarchical group, clerical staffs, played a more peripheral role and showed little engagement in power games. There was very little reliance on strategies that exert high social pressure such as coercion and reprimands by any of the groups due to the already high levels of turbulence.
Comparisons between newcomers and veteran staffs in the organization showed fewer differences than between hierarchical levels, although newcomers resorted more to deep level strategies. Veterans anchored themselves to the past while newcomers could not invoke the past in their strategies. Senior managers, who tried to break radically with the past engendered a feeling in veteran staffs that their skills and experience were not needed nor wanted.
The data provided evidence that deep level strategies supplemented weakened power bases at all levels, although more evidently in the senior managers and therapists levels. Values and beliefs at the deep level acted as a catalyst to counteract surface level strategies, particularly when there were organizational history and cultural dynamics involved. The model of analysis helped understand the contrast between how senior managers focused on the future and how therapists countered this by anchoring themselves to past history.
The research provided empirical evidence that power strategy formation occurred at every level of the organization, regardless of position or rank. This challenges the traditional notion that strategy formation is for top management only. The study collected detailed in-formation about strategy formation at the micro level in a human service organization, and it identified possible indications of problem spots. The literature from the industrial sector was found to be a valid starting point for study of power strategies in the human services sector.
The research affirms the importance of an interdisciplinary approach to the study of power strategy formation, where power is studied from many sources of information and from different angles. The power relations and games perspective that was used to study power strategies in this research epitomizes the interdisciplinary aspects of the field.
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/6738 |
Date | January 1999 |
Creators | Côté, Daniel |
Contributors | Rinfret-Raynor, Maryse |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | English |
Detected Language | French |
Type | thesis, thèse |
Format | application/pdf |
Page generated in 0.0041 seconds