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L’orientation des stratégies de recherche de traces matérielles par les techniciens en identité judiciaire : entre savoirs occupationnels et pouvoir(s) discrétionnaire(s)

Si les développements technologiques dans le domaine de la science forensique améliorent sans contredit les capacités de détection et la précision des appareils et des analyses effectuées, la qualité, l’intégrité, l’efficacité et l’efficience de l’exploitation des traces matérielles à des fins judiciaires et sécuritaires demeurent avant tout tributaires de décisions humaines prises tout au long du processus forensique, de la scène d’incident au tribunal. À ce sujet, bien qu’ils soient désormais reconnus comme des acteurs au premier plan du déploiement des efforts forensiques, les techniciens en identité judiciaire responsables de l’investigation des scènes d’incident n’ont fait l’objet que de très peu d’études empiriques. Pourtant, les quelques études qui sont disponibles mettent en lumière un degré élevé de variabilité dans leurs pratiques et leurs performances en matière de recherche et de collecte de traces matérielles, suggérant ainsi un processus décisionnel sur lequel nous ne savons toujours que très peu de choses. Dès lors, la thèse se propose de mieux comprendre, à travers une lentille théorique inspirée de certains concepts-clés issus de la sociologie de l’expertise et de la sociologie de la police, l’orientation des stratégies de recherche de traces matérielles par les techniciens en identité judiciaire. Plus précisément, elle cherche à approfondir les mécanismes de prise de décision et le système de savoirs occupationnels auquel se réfèrent les techniciens en identité judiciaire pour guider et justifier leurs actions, les processus de construction et d’acquisition de ces savoirs occupationnels ainsi que l’étendue du pouvoir discrétionnaire des techniciens en identité judiciaire et les conditions sous-jacentes à sa reconnaissance. Pour ce faire, la thèse repose sur une enquête de terrain de type ethnographique réalisée auprès de 19 techniciens en scène de crime du Québec entre 2020 et 2022, combinant 18 entretiens semi-directifs (35 heures) et près de 165 heures d’observation participante (au poste et sur de véritables scènes d’incident).

Les résultats de la thèse révèlent, d’une part, que l’orientation de la recherche de traces matérielles par les techniciens en identité judiciaire est dépendante d’un système de savoirs occupationnels tacites largement ambigu, voire contradictoire par endroits, nécessitant l’interprétation des mandats, des normes informelles et des méthodes à privilégier pour prendre ou justifier une décision. D’autre part, ils suggèrent que ces savoirs seraient principalement issus, aux yeux des techniciens en identité judiciaire, de l’expérience pratique (à titre de policier et de technicien en identité judiciaire) et des échanges avec les pairs expérimentés, traduisant un discours soutenant le primat de la socialisation professionnelle informelle sur la formation et l’éducation formalisée. Enfin, les techniciens en identité profiteraient d’un important pouvoir discrétionnaire de facto leur permettant d’exercer plutôt librement leur jugement professionnel et de définir les savoirs qui sont considérés comme légitimes. Mis ensemble, ces constats proposent de comprendre la prise de décisions des techniciens en identité judiciaire en matière de recherche de traces matérielles au prisme de l’interaction entre un pouvoir discrétionnaire dynamique et un système de savoirs occupationnels ambigu et plus ou moins partagé. / While technological developments in the field of forensic science are undoubtedly improving detection capabilities and the accuracy of the equipment and analyses performed, the quality, integrity, effectiveness, and efficiency of the exploitation of material traces for judicial and security purposes remain above all dependent on human decisions made throughout the forensic process, from the crime scene to the courts. In this regard, although they are now recognized as key players in the deployment of forensic resources, crime scene examiners responsible for investigating incident scenes have only been the subject of very few empirical studies. Yet, those that are available highlight a high degree of variability in the practices and performances of crime scene examiners regarding the search for material traces, suggesting a decision-making process about which we still know very little. This thesis therefore aims to gain a better understanding of the orientation of crime scene examiners’ strategies for searching material trace through a theoretical lens inspired by key concepts of the sociology of expertise and the sociology of policing. More specifically, it seeks to investigate the decision-making mechanisms and occupational knowledge system to which crime scene examiners refer, the processes of construction and acquisition of such occupational knowledge, and the extent of crime scene examiners’ discretionary power and the conditions underlying its recognition by other stakeholders. The thesis is based on an ethnographic fieldwork among 19 Quebec crime scene examiners between 2020 and 2022, combining 18 semi-structured interviews (35 hours) and around 165 hours of participant observation (at the office and at actual incident scenes).

The results of the thesis reveal, on the one hand, that the orientation of the search for material traces by crime scene examiners depends on a tacit system of occupational knowledge which is largely ambiguous, even contradictory in places, leaving room for interpretation of mandates, norms, and preferred methods for making or justifying a decision. On the other hand, they suggest that such knowledge is mainly acquired, in the eyes of crime scene examiners, from practical experience (as a police officer and crime scene investigator) and exchanges with experienced peers, reflecting a discourse supporting the primacy of informal professional socialization over formalized training and education. Finally, crime scene examiners would benefit from a significant de facto discretionary power, enabling them to exercise their professional judgment rather freely and to define the knowledge that should be considered legitimate. Taken together, these findings suggest that the decision-making process of crime scene examiners in the search for material traces can be understood through the prism of the interaction between a variable discretionary power and an ambiguous, more or less shared, system of occupational knowledge.

Identiferoai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/33370
Date07 1900
CreatorsMousseau, Vincent
ContributorsBoivin, Rémi
Source SetsUniversité de Montréal
Languagefra
Detected LanguageFrench
Typethesis, thèse
Formatapplication/pdf

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