Résumé : La reproduction entraîne des dépenses énergétiques importantes chez les femelles mammifères. Ces dépenses sont supposées diminuer l'énergie disponible pour d'autres traits positivement corrélés à l'aptitude phénotypique et augmenter les besoins d'alimentation. Toutefois, des différences individuelles dans la capacité d'acquisition et d'allocation peuvent masquer l'impact négatif de l'effort reproducteur. La manipulation expérimentale de l'effort reproducteur et le contrôle statistique des effets individuels sont deux approches puissantes et complémentaires mises en œuvre dans le cadre de mon étude afin de contrôler pour l'hétérogénéité individuelle. Elles ont permis de montrer clairement un coût de la reproduction chez le kangourou gris de l'Est (Macropus giganteus). Dans un premier temps, nous avons trouvé que le coût de la reproduction affectait le montant d'énergie alloué à certaines fonctions somatiques (CHAPITRE I). L'effort reproducteur diminuait le gain de masse et la croissance des jambes pour des intervalles de capture supérieurs à deux ans. Chez les femelles non manipulées, un effet négatif sur le gain de masse était aussi observable pour un intervalle inférieur à 3 ans. À l'échelle de deux événements successifs de reproduction, le gain de masse et dans une moindre mesure la croissance des bras, mais non des jambes diminuaient avec un effort reproducteur plus important à la précédente reproduction. Ensuite, nous avons démontré qu'il y avait un coût de la reproduction en terme de futur succès reproducteur (CHAPITRE II). Les individus dont l'effort reproducteur avait été diminué expérimentalement produisaient davantage de jeunes qui survivaient au stade 'LPY', âgés approximativement de 7 mois, que les femelles contrôles. Ils diminuaient également davantage leur taux de reproduction en allongeant l'intervalle entre les naissances, mais la survie au sevrage n'était pas affectée. Le CHAPITRE III montre que les femelles adaptaient leur comportement alimentaire en fonction de leur statut reproducteur. En comparaison avec les individus manipulés ou ayant perdu leur jeune, les femelles allaitantes augmentaient leur temps passé à s'alimenter durant la journée, l'intensité de leurs bouchées et de leur mastication sans impliquer de compromis avec la vigilance. Nous avons aussi découvert que la survie au sevrage du jeune précédent menait à une augmentation du taux de bouchées pour l'année en cours.
Les CHAPITRES I et II ont mis en évidence l'effet non négligeable des différences individuelles sur la détection des coûts de la reproduction. En effet, en l'absence de manipulation expérimentale ou de contrôle statistique, aucun compromis n'était détecté autant en terme de croissance que de prochaine reproduction. Au contraire, des corrélations positives entre l'effort reproducteur et les autres traits ont été trouvées. Le CHAPITRE I suggérait notamment que cette variabilité du succès reproducteur était liée à l'hétérogénéité individuelle dans le gain de masse maternelle qui augmentait la survie du jeune. Dans le CHAPITRE II, une corrélation positive entre les probabilités d'avoir un 'LPY' lors de deux événements successifs de reproduction suggérait que certaines femelles étaient capables de mener à bien ou non leur reproduction, mais cela indépendamment de l'effort reproducteur précédent. Enfin dans le dernier CHAPITRE (III), l'effet aléatoire était significatif dans l'analyse de différents comportements d'alimentation, ce qui pourrait être lié aux différences de gain de masse des femelles présentées dans le CHAPITRE I.
Certaines contraintes individuelles affectant le coût de la reproduction ont été identifiées. La masse et la condition corporelle augmentaient le succès reproducteur et diminuaient l'intervalle entre deux naissances successives (CHAPITRES I et II), mais contrairement à de précédentes études le comportement d'alimentation des femelles n'était pas affecté par leur masse (CHAPITRE III). L'âge des individus avait également une influence. Les jeunes femelles croissaient davantage, avaient aussi une prise alimentaire plus importante et subissaient un coût de reproduction supérieur. Ce dernier se traduisait par un taux d'échec plus élevé à la reproduction suivante si les jeunes femelles avaient eu un jeune l'année précédente (CHAPITRES I, II et III).
Des contraintes environnementales fortes influençaient la reproduction des femelles. La croissance, le succès reproducteur, l'intervalle entre les naissances et les comportements d'alimentation variaient suivant le site et l'année d'étude. Le site du Promontory et l'année 2011 apparaissaient particulièrement limitants. En effet en 2011, le gain de masse et le succès reproducteur ont diminué et l'intervalle de naissance et la prise de nourriture pour les femelles allaitantes ont augmenté (CHAPITRE I,II et III).
Nous cherchions également à mettre au jour une allocation différentielle des mères suivant le sexe de leur jeune. Si le coût supérieur d'avoir un mâle par rapport à une femelle était évident quant aux taux de bouchées (CHAPITRE III), il s'est avéré plus difficile à détecter sur d'autres traits. À Anglesea, les jeunes mères avaient moins de probabilité d'avoir un jeune qui atteigne le stade 'LPY' après avoir eu un fils qu'une fille (CHAPITRE II). Toutefois, des résultats contraires à nos attentes ont été trouvés, du moins au premier abord, sur la croissance et le succès reproducteur subséquent. Ainsi, les femelles qui avaient eu une fille perdaient davantage de masse (CHAPITRE I) et avaient généralement une probabilité moindre de produire un jeune qui atteigne le stade 'LPY' ou qui soit sevré par la suite (CHAPITRE II). En revanche, l'intervalle de naissance n'était pas différent suivant le sexe du jeune alors qu'il était fortement affecté par le coût de la reproduction démontré grâce à la manipulation, invoquant une autre explication qu'un coût supérieur des filles par rapport aux fils. En effet, les femelles qui étaient en mauvaise condition corporelle gagnaient de la masse quand elles produisaient une fille, mais pas un fils (CHAPITRE I). De surcroît, les jeunes mères avaient moins de chances de sevrer un jeune à l'événement de reproduction suivant si elles avaient eu un fils plutôt qu'une fille, et le succès reproducteur des mères des fils n'était plus différent de celui des mères des filles dans les années plus difficiles (CHAPITRE II). Enfin, les mères des fils augmentaient la quantité de nourriture ingérée si elles avaient sevré un jeune l'année précédente, mais les mères des filles la diminuaient. Ces différents résultats suggéraient fortement qu'un ajustement du sexe-ratio était utilisé quand les ressources individuelles ou environnementales contraignaient davantage la reproduction.
En conclusion, pour limiter le décalage entre les besoins énergétiques et la disponibilité en nourriture, les femelles chez le kangourou gris de l'Est pourraient modifier l'allocation de leurs ressources à la reproduction en reportant la prochaine mise bas et en produisant un jeune du sexe le moins coûteux en accord avec les contraintes individuelles et environnementales. Ces résultats soulignent l'importance d'études avec un suivi individuel sur plusieurs années afin de pouvoir comprendre la variabilité des stratégies de reproduction et leurs conséquences sur la dynamique des populations. // Abstract : Reproduction in living beings, particularly in female mammals that produce milk, is costly, potentially involving trade-offs with life-history traits if resources are limited and an increase in foraging effort. Individual differences may, however, hide the negative effects of this cost on life-history traits. I used two powerful and complementary approaches, to deal with individual heterogeneity: experimental manipulation of reproductive effort and statistical control of individual effect. Using both approaches, I investigated the effect of presence, size and sex of young on growth, subsequent reproduction and individual foraging behaviours of females. I used data of tagged free-ranging eastern grey kangaroos (Macropus giganteus) collected over six years at five study sites in Victoria, Australia. There was a clear cost of reproduction. Reproductive effort decreased mass gain and limb growth for inter-capture intervals greater than two years. Over two successive reproductive events, mass gain and arm growth were reduced but leg growth was independent of reproductive effort (CHAPTER II).In addition, survival to Large Pouch Young ('LPY') stage, about 7 months of age, was higher and birth rate lower in manipulated compared to control females but survival to weaning was not affected (CHAPTER III). CHAPTER IV shows that lactating females cope with current reproductive costs by increasing ivtime spent foraging as well as bite and chewing rates without decreasing vigilance comparedto non lactating ones. Bite rate was also greater for females that weaned a young at the previous reproductive event. My study supports reproductive cost hypothesis while showing substantial individual differences. To limit mismatch between energetic needs and resource availability, females of eastern grey kangaroo could modify resource allocation to reproduction by delaying birth date of subsequent young and producing the less costly sex according to individual and environmental constrains. My thesis shows the importance of experimental approach and individual monitoring over multiple years to understand the diversity of reproductive strategies and their consequences in evolutionary ecology and population dynamic.
Identifer | oai:union.ndltd.org:usherbrooke.ca/oai:savoirs.usherbrooke.ca:11143/87 |
Date | January 2014 |
Creators | Gélin, Uriel |
Contributors | Festa-Bianchet, Marco |
Publisher | Université de Sherbrooke |
Source Sets | Université de Sherbrooke |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Thèse |
Rights | © Uriel Gelin, Attribution - Pas de Modification 2.5 Canada, http://creativecommons.org/licenses/by-nd/2.5/ca/ |
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