Résumé : Le vieillissement démographique est statistiquement indiscutable au Québec. Ce singulier trompeur masque les différentes manières de vieillir. Pour ceux qui ne parviennent pas à vieillir en santé, les solidarités familiales, comme les solidarités institutionnelles, c’est à dire publiques viennent en principe compenser ce qu’il est convenu de désigner de perte d’autonomie. Les politiques de santé publique au Québec organisent les services de soutien à domicile sous condition d’avoir estimé la situation de la personne avec l’outil d’évaluation multiclientèle (OEMC). Il est en usage dans l’ensemble du réseau de la santé et des services sociaux, et utilisé par les professionnels dont les travailleuses et les travailleurs sociaux (TS). Or, la gérontologie est peu soutenue dans la formation initiale des TS. Nous nous sommes interrogée sur les savoirs mobilisés par les TS quand ils évaluent. S’agissant des savoirs inscrits dans la pratique, nous avons orienté la recherche dans les théories de l’activité, la didactique professionnelle et le cadre conceptuel de la médiation.
Nous avons étudié l’activité de professionnels en travail social expérimentés afin d’identifier certains des savoirs mobilisés pour les rendre disponibles à la formation des étudiant (e)s en travail social au Québec. Cent-cinquante heures d’observations et vingt-deux entretiens individuels et collectifs ont été réalisés avec des intervenants volontaires du service de soutien à domicile. Les résultats préliminaires de la recherche ont été présentés lors de groupes de discussion avec les TS ayant participé à la recherche, puis avec des enseignants en travail social.
Nos résultats permettent de décrire les procédures de l’évaluation dans l’organisation du service d’aide à domicile et d’en différencier le processus de l’activité par laquelle le TS évalue l’autonomie fonctionnelle de la personne. Nous constatons que les savoirs mobilisés par les TS reposent premièrement sur une connaissance fine du territoire, de l’outil d’évaluation et des institutions. Un deuxième registre de savoir concerne la conceptualisation de l’autonomie fonctionnelle par l’outil OEMC comme objet et domaine d’intervention des TS. Enfin, un troisième registre se réfère aux savoirs mobilisés pour entrer en relation avec les personnes âgées, avec leur entourage. Or, ces trois registres de savoir n’apparaissent pas dans le discours des TS et résultent de notre propre analyse sur leur pratique.
L’évaluation de l’autonomie fonctionnelle analysée par le concept de médiation est révélatrice du rapport aux savoirs du TS. S’agissant de savoirs de la pratique, nous constatons que leur classification entre les catégories usuelles de savoirs théoriques ou pratiques était inopérante. Nous empruntons le vocabulaire de la didactique professionnelle : celui des invariants opératoires reliés à l’autonomie fonctionnelle et celui des schèmes d’activité reliés à l’activité d’évaluation.
C’est ainsi que nous avons identifié deux moments dans l’évaluation. Le premier assemble la collecte des informations et l’analyse des données. L’autonomie fonctionnelle se décline dans des conditions d’existence de la personne sur l’axe allant de la mobilité à la cognition avec comme balises d’intervention la sécurité et l’intégrité de la personne. Dans ce processus itératif, le TS identifie avec la personne ce qui nuit à son quotidien. L’évaluation formule comment résoudre cette incidence, comment la perte d’autonomie pourrait être compensée. La collecte d’information et le raisonnement du TS est alors un mouvement itératif, les deux éléments du processus sont liés et en continu. Le second moment de l’évaluation apparait si, dans le processus itératif, le TS perçoit une dissonance. Il est essentiel d’en identifier la nature pour la prendre en compte et maintenir la finalité de l’activité qui consiste à évaluer l’autonomie fonctionnelle à des fins compensatrices. Le TS doit identifier l’objet de la dissonance pour pouvoir cerner avec la personne le besoin inhérent à la perte d’autonomie et envisager d’y remédier. La prise en compte de cette dissonance vient ralentir le déroulement de l’activité. Le raisonnement qui, jusque-là, était relié à la collecte d’informations s’en dissocie pour analyser ce qui vient faire obstacle à l’activité d’évaluation à partir de la situation.
Les composantes qui génèrent la dissonance paraissent reliées à la quotidienneté, aux conditions de vie à domicile de la personne (cohérence/incohérence, refus de services, autonégligence, maltraitance, agressivité). La dissonance génère une activité plus complexe pour évaluer la situation. L’autonomie fonctionnelle se décline toujours sur l’axe mobilité/cognition avec comme balises d’intervention la sécurité et l’intégrité de la personne. Or, pour ce faire, les TS raisonnent selon trois schèmes. Dans les situations où, pour décider de la suite du dossier, il faut en référer à une norme (de service, de profession, etc.) le raisonnement est déontologique. Il est aussi des situations où le TS agit au regard de valeurs et de représentations qui relèvent de sa sphère personnelle. Nous désignons ce raisonnement d’instinctuel. Enfin, le TS peut naviguer entre ces deux orientations et choisir la voie du raisonnement clinique que nous qualifions d’éthique et se rapproche alors des pratiques prudentielles qui sont marquées par l’incertitude. / Abstract : It is a known fact that the aging of the population in Quebec has been steadily increasing and statistical figures speak for themselves. The word “aging” in the singular form masks the multiple contexts and processes of aging. For those who are not able to age well, family solidarity, as well as institutional solidarity, that is to say the public ones usually compensate for the loss of autonomy. The Quebec public health policies give structure to home support services following the assessment of the person’s situation with the Multiclientele Assessment Tool (MAT). This tool is used in the entire health and social services network, and by professionals such as social workers (SWs). However, gerontology is rarely taught in the initial training of SWs while these professionals also work with the older population. We reflected on how SWs gained their knowledge when assessing older adults. With regard to knowledge translated into practice, we focused the research on activity theories, occupational didactics and the conceptual framework of mediation.
We examined activities performed by experimented professionals in social work when they were assessing functional autonomy of older adults. This was done to identify some of the knowledge applied in their practice and to make such knowledge available for the training of social work students in Quebec. Over 150 hours of observations and 22 individual and group meetings were conducted with volunteer practitioners working in the home support sector of a health and social services centre. The preliminary results of the research were presented to two focus groups: one with SWs who participated in the research, the other with social work teachers.
Our results help describe the assessment procedures within the home support organization and differentiate the activity process by which SWs assess the person’s functional autonomy. We note that the knowledge acquired by SWs is based primarily on a detailed knowledge of the territory, the assessment tool and institutions. A second category of knowledge is the conceptualization of the functional autonomy by using the MAT tool as the scope and area of intervention of SWs. Finally, a third category of knowledge refers to the knowledge acquired which is used to interact with older adults and those around them. However, these three categories of knowledge are not reflected in the views of SWs but rather result from our own analysis of their practice.
The assessment of functional autonomy is analyzed by the mediation concept. This concept highlights the knowledge acquired by SWs. With regard to knowledge related to practice, we noticed that their classification between the usual categories of theoretical knowledge or practice knowledge was ineffective. We use the occupational didactics vocabulary, such as functional invariants which are related to the assessment of functional autonomy, and activity-based patterns which are related to the assessment itself.
Two key moments were identified in the assessment process. The first one includes the information collection and data analysis. The functional autonomy has an impact on the person’s life conditions. It is divided into two areas: mobility and cognition with intervention areas such as the safety and integrity of the person. In this iterative process, the SW identifies with the person what might affect her/his daily life. The assessment process raises two questions: (a) how to resolve this impact? and (b) how the loss of autonomy could be compensated? The information collection and the SW’s reasoning become then an iterative process, since the two elements of the process are linked and in continuous mode. The second moment of the assessment occurs if, in the current iterative process, the SW feels that there is a dissonance. It is essential to identify its nature in order to take it into account and maintain the objective of the activity which is to assess the functional autonomy for compensation purposes. The SW must identify the reason why there is a dissonance in order to be able to pinpoint with the person the inherent need for the loss of autonomy and what could be considered to address it. Taking into account this dissonance has just slowed down the progress of the activity. The reasoning which was previously related to the information collection has given way to the analysis of what may impede the assessment according to the situation.
The components that generate the dissonance appear to be related to day-to-day activities, life conditions at the person’s home (consistency/inconsistency, refusal of services, self-neglect, mistreatment, aggressiveness). Assessing the situation becomes more complex because of the dissonance. The functional autonomy is still divided into two areas: mobility and cognition with the same areas of intervention which are the safety and the integrity of the person. However, to do so, the SWs’ reasoning is based on three schemes. In situations where a decision must be made on actions to be taken on a case, it must be referred, for instance, to a service or a profession standard. The reasoning then becomes normative. There are also situations where the SW acts according to her/his values and representations. It is called instinctive reasoning. Finally, the SW can explore these two orientations and choose the path of clinical reasoning designated as ethics. It is then similar to prudential practices which are characterized by uncertainty.
Identifer | oai:union.ndltd.org:usherbrooke.ca/oai:savoirs.usherbrooke.ca:11143/9596 |
Date | January 2016 |
Creators | Salles, Mylène |
Contributors | Couturier, Yves, Lenoir, Yves |
Publisher | Université de Sherbrooke |
Source Sets | Université de Sherbrooke |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Thèse |
Rights | © Mylène Salles |
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