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Jeunes femmes portant plainte ou témoignant contre leurs proxénètes : leur expérience au sein du processus pénal québécois

La présente étude porte sur l’expérience pénale de jeunes femmes ayant porté plainte ou témoigné contre un proxénète. En effectuant notre recherche, notre intention était de comprendre le vécu de ces jeunes femmes lors de leur relation avec le proxénète ainsi que de mieux saisir leurs motivations et attentes en recourant au système pénal. Nous avions également pour objectif de cerner les effets de leur expérience judiciaire sur leur vie en général.
Afin de recueillir le point de vue des jeunes femmes et de rendre compte du sens qu’elles donnent à leur expérience au sein du processus pénal, nous avons effectué dix entretiens à tendance non-directive avec des jeunes femmes ayant fait cette expérience.
L’analyse montre, dans un premier temps, qu’une fragilité émotionnelle conjuguée à une situation financière précaire constituent un facteur de risque de tomber sous l’emprise d’un proxénète. Malgré la présence d’une vulnérabilité les prédisposant à s’investir dans une relation d’abus, une majorité de jeunes femmes démontrent une ouverture face au monde prostitutionnel avant de faire la connaissance d’un proxénète. L’entrée dans le domaine de la prostitution ne peut donc être uniquement attribuable à l’influence d’un proxénète et constitue plutôt le corollaire d’un amalgame de facteurs. Au début de la relation, la manipulation du proxénète vise essentiellement à renforcer un intérêt à se prostituer déjà présent chez plusieurs jeunes femmes. Dans le cas de celles qui n’ont jamais envisagé de s’adonner à des activités de prostitution, c’est une dépendance affective préexistante qui les amènera à se laisser convaincre de s’engager dans cette avenue.
Que la nature de la relation avec le proxénète soit professionnelle ou amoureuse, toutes les jeunes femmes que nous avons rencontrées sont rapidement confrontées à des stratégies de manipulation et font les frais de manifestations de violence visant à les assujettir. L’amorce d’une prise de conscience de la situation d’abus qui leur est imposée constitue l’élément-clé qui les amène à prendre la décision de quitter leur proxénète et à accepter de coopérer avec les policiers. Celles qui entretiennent une relation de travail avec le proxénète amorceront cette réflexion avant celles en relation de couple. Ce constat s’explique par l’amour que celles qui se considèrent en relation de couple ressentent à l’égard du proxénète qui, non seulement les rend plus vulnérables à sa manipulation, mais freine également toute tentative d’autonomisation face à lui.
Le recours à l’aide des policiers ne va pas de soi pour toutes les jeunes femmes sous le joug d’un proxénète. Bien que l’influence d’une personne bienveillante joue souvent un rôle significatif sur leur décision de porter plainte, le choix de collaborer avec les intervenants judiciaires découle essentiellement de leur propre réflexion psychologique vis-à-vis de leur situation. En portant plainte, elles souhaitent généralement être délivrées de l’emprise du proxénète et être protégées par le système pénal afin d’avoir le temps nécessaire pour prendre des décisions quant à la réorganisation de leur vie. Pendant les procédures judiciaires, les jeunes femmes se disent pour la plupart anxieuses à l’idée de rendre témoignage. Leurs appréhensions sont essentiellement liées à la crainte de revoir le proxénète ainsi qu’à la peur de ne pas être crue par le juge. Les principales motivations qui poussent les interviewées à maintenir leur plainte sont le désir de démontrer au proxénète qu’il n’a plus d’emprise sur elles et de mettre un terme à cette expérience de vie. La représentation qu’elles se font du traitement reçu dans le cadre des procédures pénales est généralement positive pour peu que l’attitude des intervenants judiciaires à leur endroit ait été empreinte d’empathie et qu’elles aient été impliquées dans le dossier. Ainsi, qu’elles aient initié ou pas la démarche pénale, les jeunes femmes qui se sentent soutenues par les policiers et les intervenants judiciaires seront plus enclines à maintenir leur plainte jusqu’à la fin des procédures pénales.
Suite à leur relation avec le proxénète, les jeunes femmes sont aux prises avec de multiples conséquences qui affectent différentes sphères de leur vie. Malgré leurs nombreuses séquelles psychologiques, physiques et sociales, peu sont celles qui s’impliquent jusqu'au bout d’une démarche thérapeutique. Plusieurs estiment ne pas être prêtes à se lancer dans une telle démarche, alors que d’autres ont l’impression que personne ne peut réellement les aider et préfèrent s’en remettre à leur résilience ou utiliser des moyens alternatifs pour passer au travers de cette épreuve de vie. Les jeunes femmes qui reçoivent l’aide de leurs proches et/ou d’organismes professionnels sont celles qui perçoivent le plus rapidement les effets bénéfiques de leur implication pénale.
Il ressort de notre analyse que l’expérience pénale vient renforcer une autonomisation déjà amorcée par la jeune femme lors de la rupture avec le proxénète. Les impacts de l’implication pénale sont doubles : elle permet aux jeunes femmes d’augmenter l’estime qu’elles ont d’elles-mêmes, et de couper définitivement tous contacts avec le souteneur. Le système pénal comporte cependant des limites puisqu’il n’a aucun effet sur le contexte de vie des jeunes femmes et, par le fait même, sur leurs activités prostitutionnelles. Ainsi, bon nombre de jeunes femmes retournent dans leur milieu d’origine après la démarche pénale et doivent continuer à composer avec les conditions associées à leur mode de vie antérieur. Qui plus est, l’effet déstabilisant lié à l’expérience pénale a pour conséquence de retarder leur rétablissement psychologique et la réorganisation de leur existence. Celles qui arrivent à réorienter le plus rapidement leur vie sont les jeunes femmes qui reçoivent le soutien de leurs proches ainsi que celles qui n’entretenaient pas de relation amoureuse avec le proxénète.

Mots-clés : proxénétisme, prostitution, système pénal, empowerment, stigmatisation. / The present study focuses on the experiences of the criminal justice system by a number of young women, all of whom have pressed charges or testified against a pimp. In carrying out our research, our objective was to understand the experiences of these young women during their relationship with the pimp, as well as gaining a better insight into their reasons and expectations when they turned to the criminal justice system. We also aimed to identify the effects such judicial experiences have had on their lives in general.
In order to gather the young women’s perspectives and faithfully report the meaning they attribute to their experiences of criminal procedure, we carried out ten non-directive interviews with young women who had been through such an experience.
First of all, our analysis shows that emotional fragility combined with a precarious financial situation constitute a risk factor of falling under the control of a pimp. Despite an existing vulnerability predisposing these women to become involved in an abusive relationship, the majority of such young women demonstrate an open-minded approach to the world of prostitution prior to meeting a pimp. Thus, their entrance into prostitution cannot be solely attributed to the influence of a pimp and seems rather to be the outcome of a combination of factors. At the beginning of the relationship, the pimp’s manipulation essentially aims to reinforce this interest in prostitution already present in several of the young women. In the case of those women who had never envisaged engaging in prostitution, a pre-existing affective dependence could lead them to be persuaded to follow this path.
Whether the relationship with the pimp is professional or romantic, all the young women we met were quickly confronted with strategies of manipulation and were exposed to displays of violence aimed at subjugating them. The initial realisation of the abusive situation to which they are being subjected constitutes the key factor leading them to make the decision to leave their pimp and agree to cooperate with the police. Those who had a professional relationship with their pimp came to this decision before those in a romantic relationship with the pimp. This observation can be explained by the love which those who considered themselves to be in a romantic relationship felt for their pimp, which not only made them more vulnerable to his manipulation but also slowed all attempts to empower themselves against him.
Turning to the police for help is not an obvious choice for all young women under a pimp’s control. While the influence of a caring person often plays a significant role in their decision to press charges, the decision to cooperate with criminal justice officials usually arises from their own psychological reflection concerning their situation. By pressing charges, they generally hope to get away from their pimp’s control and be protected by the legal system, giving them the necessary time to make decisions to turn their lives around. During the judicial procedure, most of these young women say they are anxious at the idea of testifying. Their apprehension is essentially linked with the fear of seeing the pimp again, along with fear of not being believed by the judge. The main reasons motivating interviewees to maintain their charges are the desire to show the pimp he no longer has any control over them and also to end this episode of their life. Their representations of the treatment they received during the criminal justice procedure are generally positive if legal officials have shown empathy towards them and if the women have been encouraged to be involved in the legal case. Thus, whether the women initiated the legal procedure themselves or not, those who feel supported by the police and criminal justice officials are more likely to maintain charges to the end of the legal procedure.
Following their relationship with the pimp, the young women struggle with many consequences which affect different areas of their lives. Despite numerous psychological, physical and social repercussions, only a small minority ever follow through with a full course of therapy. Many feel they are not ready to undertake such measures, while others feel that nobody can really help them and prefer to rely on their own resilience or use alternative methods to get past this difficult experience. Those young women who receive help from their friends and family or professional organisations more rapidly perceive the beneficial effects of their involvement with the legal system.
Our analysis finds that the experience of the legal system serves to reinforce a process of empowerment already initiated by a young woman when her relationship with her pimp ended. The impacts of the young women’s judicial involvement are twofold: it allows them to improve their self-esteem while also permanently cutting all contact with the pimp. However, the criminal justice system does have limits, as the experience has no impact on the young women’s life context nor, by this very fact, on their involvement in prostitution. Consequently, many young women return to their original environments once the criminal procedure is over and continue to face the conditions associated with their previous lifestyle. Moreover, the destabilizing effect associated with the judicial experience causes their psychological recovery and reorganisation of their lives to be delayed. Those who do manage to turn their lives around the fastest are those who receive support from people close to them and also those who were not in a romantic relationship with their pimp.

Key words: pimping, prostitution, criminal justice system, empowerment, stigmatisation.

Identiferoai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/8486
Date06 1900
CreatorsDamphousse, Karine
ContributorsJaccoud, Mylène, Gaudreault, Arlène
Source SetsUniversité de Montréal
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
TypeThèse ou Mémoire numérique / Electronic Thesis or Dissertation

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