Jean-Luc Marion dans son Phénomène érotique (2003) est à la recherche d’un concept, d’une description philosophique de l’amour humain. Selon la méthode phénoménologique qu’il suit, définir l’amour comme phénomène veut dire montrer comment l’amour apparaît pour un « je ». Il s’agit de voir comment on en vient à aimer. Marion décrit la situation où l’amour est donné en s’intéressant à la disposition humaine propice à l’amour. Nous soutenons que la liberté est pour Marion cette disposition essentielle à l’amour. La thèse apparait tout au long de l’oeuvre. Dans notre mémoire, nous tâchons de préciser de quelle liberté parle l’auteur.
Une exégèse du Phénomène érotique nous conduit à identifier deux réponses apparemment opposées à cette question du rôle de la liberté dans l’amour.
(1) Au début de l’oeuvre, Marion soutient la thèse que l’amour apparaît lorsque le sujet renonce à sa position autarcique; celle d’un ego qui se certifie lui-même et le monde. L’amour apparait en dépit d’une liberté comprise comme ce pouvoir a priori du sujet. Pour aimer, il faut entrer dans une certaine passivité et accepter de dépendre d’un ailleurs qui ne peut être maîtrisé.
(2) D’autre part, dans la troisième partie du livre, l’auteur montre qu’il n’y a pas d’amour sans une décision d’aimer et une avance vers autrui, indépendante de toute réciprocité. Autrement dit, pour qu’il y ait amour, il faut aimer sans attendre d’être aimé. « Je deviens amoureux parce que je le veux bien, sans aucune contrainte, selon mon seul et nu désir » (PÉ, 149), écrit Marion. Cette thèse de l’oeuvre a surpris en regard des thèses précédentes de Marion, principalement celles d’Étant donné. L’activité de la subjectivité y avait été réduite par l’auteur à la seule réception du donné, afin de laisser les phénomènes se manifester pleinement. Dans le phénomène érotique, la subjectivité semble récupérer de ses pouvoirs. Certains commentateurs ont vu un retour de transcendantalisme dans cette oeuvre et une contradiction de Marion avec lui-même. Nous faisons la lumière sur ces critiques.
La lecture thématique de l’oeuvre à partir de la question de la liberté nous montre que Marion articule deux conditions nécessaires à l’amour : une ouverture à l’égard d’un ailleurs qui dépasse le je et une avancée libre vers cet ailleurs. Prises l’une sans l’autre, ces deux conditions aboutissent à des apories, ce que nous montrons. L’auteur suggère ainsi que l’amour se trouve quelque part au-delà de cette stricte opposition entre passivité et activité. L’amour pour Marion n’est pas synonyme d’une passion où le sujet verrait tous ses pouvoirs submergés, mais il ne découle pas non plus d’un « volontarisme »; il se situe quelque part dans la synthèse de ces deux moments.
Notre thèse est que l’amour pour Marion va de pair avec la liberté. Mais il s’agit d’une liberté que l’auteur travaille à redéfinir. La liberté en amour prend chez Marion la forme d’un consentement à être affecté, synonyme d’abandon ou de disponibilité. Il ne s’agit ni d’une passivité totale, ni d’un pouvoir a priori, mais d’une capacité au sens qu’elle avait avant Descartes dans la notion latine de capacitas, synonyme de disponibilité d’un accueil. Marion analyse cette disposition dans deux textes précédents, ce qui jette un bon éclairage sur le sens de la liberté dans le Phénomène érotique.
Identifer | oai:union.ndltd.org:uottawa.ca/oai:ruor.uottawa.ca:10393/35242 |
Date | January 2016 |
Creators | Guérette Rivard, Youna |
Contributors | Thomas-Fogiel, Isabelle |
Publisher | Université d'Ottawa / University of Ottawa |
Source Sets | Université d’Ottawa |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Thesis |
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