Bien que la sexualité soit au cœur du travail du sexe, la recherche s'est peu intéressée à l'expérience qu'en font les personnes travailleuses du sexe. C'est donc à partir d'arguments idéologiques que se confrontent différents discours concernant les conséquences morales, émotionnelles et sexuelles découlant de la vente de services sexuels, certains soutenant qu'il y a nécessairement aliénation, d'autres que non. Cette étude a eu pour but de mieux comprendre, à partir des témoignages de femmes offrant ou ayant offert des services d'escorte, comment se construit et s'organise l'expérience qu'elles font de la sexualité. J'ai ainsi rencontré 16 participantes dans le cadre de deux entrevues semi-dirigées afin d'explorer les représentations et l'expérience émotionnelle qu'elles ont de la sexualité. La première entrevue s'est centrée sur la perception et l'expérience que les participantes ont de la sexualité dans le cadre de prestations sexuelles rémunérées ainsi que lors de relations sexuelles personnelles. La deuxième entrevue a permis d'approfondir ces thèmes en explorant leur expérience de l'érotisme dans ses composantes génitale et fusionnelle, leur sentiment de féminité et, finalement, leur manière d'interagir au quotidien avec les hommes et les femmes. L'analyse des données s'est réalisée à l'aide de la méthodologie de théorisation ancrée. L'échantillon est surtout composé de femmes recherchant ou acceptant le plaisir sexuel lors de la performance rémunérée de sexualité, tout en incluant quelques participantes qui évitent de ressentir du plaisir sexuel dans ce cadre. Les participantes de cet échantillon ont choisi, parmi différentes possibilités d'emploi qui s'offraient à elles, de s'engager dans l'industrie du sexe. De plus, la plupart d'entre elles offrent leurs services de manière indépendante, exerçant ainsi un plus grand contrôle sur leurs conditions de travail que celles travaillant en tant qu'employées. Les résultats montrent que l'expérience émotionnelle ressentie lors d'une performance rémunérée de sexualité est liée au type de représentations de la sexualité que soutient la travailleuse. Celles qui recherchent ou acceptent le plaisir sexuel partagent un ensemble de représentations dans lequel la sexualité est perçue comme pouvant être saine, nourrissante et satisfaisante lorsqu'elle est exprimée en dehors du couple amoureux et dans le cadre d'un service rémunéré. Elles croient en la légitimité de leurs services et souhaitent faire du bien aux clients qu'elles rencontrent. Faisant un travail de deep acting sur les émotions (Hochschild, 1983) et créant un espace professionnel d'authenticité limitée (Bernstein, 2007), elles mettent l'accent sur la création d'un contact empathique envers le client, investissent une part d'elles-mêmes dans ce contact et se sentent à l'aise devant la montée d'excitation se produisant chez le client de même qu'à en ressentir une elles-mêmes. Ce faisant, elles retirent différents types de plaisir dans le cadre de leur travail (quant au travail bien fait; lié à la performance sexuelle; ressenti de plaisir sexuel) ainsi qu'un sentiment de satisfaction personnelle, voire d'accomplissement de soi à travers le travail. De leur côté, les participantes qui évitent le plaisir sexuel partagent un autre ensemble de représentations dans lequel la sexualité est perçue comme devant être exprimée uniquement dans un cadre amoureux afin de demeurer morale et normale. Elles s'engagent dans le travail du sexe dans le but d'en obtenir un revenu intéressant mais, afin de maintenir une signification de la sexualité comme expression du lien amoureux, elles doivent faire en sorte que la sexualité au travail soit vidée de toute ressemblance avec la sexualité amoureuse. Le travail qu'elles font sur les émotions diffère totalement du premier groupe. Elles jouent un rôle en surface – surface acting (Hochschild, 1983) – en faisant semblant d'être sexuellement intéressées par le client tout en évitant tout ressenti sexuel ainsi que tout contact émotionnel avec celui-ci. Elles se dissocient du rôle mais cette distanciation ne les protège pas contre la honte et le dégoût, et la rencontre avec le client est vécue comme stressante et déplaisante. Elles ressentent ainsi leur travail comme étant aliénant même s'il apporte des revenus intéressants. Bref, cette étude a identifié deux ensembles différents de représentations personnelles de la sexualité et du travail du sexe, lesquels sont liés à deux processus différents de travail sur les émotions qui, à leur tour, conduisent à deux types différents d'expérience quant au travail, soit de plaisir et de satisfaction personnelle ou de déplaisir et d'aliénation. / Even though sexuality is at the heart of sex work, research has not yet focused on how sex workers experience it. It is therefore from ideological positions that different discourses argue about the moral, emotional and sexual consequences arising from the sale of sexual services, some maintaining that there is necessarily an alienation, others saying this is not the case. The aim of this study was to better understand, through testimonies from women offering or having offered escort services, how their experience of sexuality is constructed and organized. I thus individually met with 16 participants through two semi-directed interviews in order to explore the representations and the emotional experience they have regarding sexuality. The first interview focused on the perception and experience that the participants have regarding sexuality within the frame of paid sexual performances as well as during personal sexual relationships. The second interview gave space for an in-depth exploration of these themes through a discussion of their experience of eroticism in its genital and fusion aspects, of their feeling of femininity and, finally, of the way they interact in their daily life with men and women. Data analysis has been done using grounded theory methodology. The sample is mainly composed of women pursuing or accepting sexual pleasure during the paid performance of sexuality, while also including some participants who avoid feeling sexual pleasure in this circumstance. Participants from this sample chose, among different work possibilities that were offered to them, to engage themselves in the sex industry. Furthermore, most of them offer their services as independents, thus exerting more control over their work conditions than those working as employees. Results show that the emotional experience felt during a paid performance of sexuality is linked to the type of representations regarding sexuality that is being held by the sex worker. Those who pursue or accept sexual pleasure share a set of representations in which sexuality is perceived as holding the possibility of being healthy, nourishing and satisfying when expressed outside love relationships and within the frame of paid services. They believe in the legitimacy of their services and wish to bring wellness to the clients they encounter. Doing emotion work of “deep acting” (Hochschild, 1983) and creating a professional space of “bounded authenticity” (Bernstein, 2007), they put emphasis on the creation of an empathetic contact with the client, investing a part of themselves in this contact and feeling at ease regarding the increase in sexual arousal that is happening for the client as well as regarding the one that they are experiencing within themselves. As a result, they experience different types of pleasure from their work (regarding work well done; related to sexual performance; sexual pleasure) as well as a feeling of personal satisfaction and even of personal self-accomplishment through work. For their part, participants who avoid sexual pleasure share another set of representations in which sexuality is perceived as having to be expressed only within a love relationship in order to remain moral and normal. They engage themselves in sex work for its good income but, in order to maintain the significance of sexuality as an expression of the lovers' bond, they have to ensure that work sex is emptied of all similarities with private sex. The emotion work they perform is completely different from the first group. They do “surface acting” (Hochschild, 1983), playing a role in which they pretend to be sexually interested in the client while avoiding all sexual sensations as well as all emotional contact with him. They dissociate from the role but this distancing does not protect them from shame and disgust, and the encounter becomes stressful and displeasing. They therefore experience their work as being alienating even though it brings good income. In sum, this study identified two different sets of personal representations of sexuality and of sex work, these being linked to two different processes of emotion work which, in turn, lead to two different types of experiences regarding work, whether of pleasure and personal satisfaction or of displeasure and alienation.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LAVAL/oai:corpus.ulaval.ca:20.500.11794/28010 |
Date | 24 April 2018 |
Creators | Comte, Jacqueline |
Contributors | Mensah, Maria Nengeh, St-Onge, Myreille |
Source Sets | Université Laval |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | thèse de doctorat, COAR1_1::Texte::Thèse::Thèse de doctorat |
Format | 1 ressource en ligne (xv, 357 pages), application/pdf |
Rights | http://purl.org/coar/access_right/c_abf2 |
Page generated in 0.0043 seconds