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L'UNESCO de 1945 à 1974

L'Unesco est une des institutions spécialisées du système des Nations Unies. Elle a été créée en 1945. Dans quelle mesure l'Unesco, au cours de ses trente premières années, a-t-elle répondu à son ambition, qui est de favoriser la paix au moyen de l'éducation, de la science et de la culture ? Quels sont les obstacles qui ont entravé son efficacité ? La présente étude est divisée en deux parties. La première partie traite des problèmes structurels de l'Unesco, la seconde partie porte sur ses réalisations. La gestation de l'Unesco ainsi que le mandat du premier directeur général, Julian Huxley, ont donné lieu à un foisonnement de conceptions diverses. Celui de son successeur Torres Bodet a été caractérisé par un grand idéalisme mais aussi par des premiers éléments de désillusion, ce qui s'est matérialisé avec sa démission. Ses successeurs Luther Evans et Vittorino Veronese ont été moins charismatiques, et durant leurs mandats les conceptions ont été peu renouvelées. En revanche, le " règne " de René Maheu peut être considéré comme une sorte d'âge d'or de l'Unesco : Maheu a engagé un renouvellement des conceptions de l'organisation, et orienté celle-ci vers l'aide au développement économique ainsi que vers un rôle éthique. Grâce à son constant effort de synthèse, il a maintenu l'organisation dans un équilibre entre universalisme et multiculturalisme, entre un rôle d'agence opérationnelle et un rôle de forum de réflexion. Il a communiqué son idéalisme et son enthousiasme à son personnel et même à l'opinion publique. Tout au long de ses trente premières années, l'Unesco, malgré son caractère théoriquement apolitique, a été agitée par des tensions politiques omniprésentes. Plusieurs périodes peuvent être distinguées : de 1945 à 1953, l'organisation a été dominée par les Etats occidentaux ; ceux-ci étaient divisés entre un " clan latin " et un " clan anglo-saxon " rivaux ; des tensions est-ouest et nord-sud ont fait leur apparition dès ces années. A partir de 1954, l'adhésion de l'URSS a changé la donne et a fait s'imposer plus nettement encore les tensions de la guerre froide au sein même de l'organisation. Simultanément, le déchaînement du maccarthysme dans le cadre de l'Unesco a accru ces tensions. En outre, la même année, le changement de statut des membres du conseil exécutif a entraîné une politisation plus marquée encore. Les années 1953-59 ont donc été des années durant lesquelles l'Unesco a été fortement ébranlée, à la fois par la guerre froide et par l'accroissement des revendications des pays du sud. A partir de 1960, une période nouvelle s'est ouverte. L'adhésion de nombreux pays du Tiers Monde et en particulier de pays africains a changé la physionomie de l'organisation : celle-ci est devenue de plus en plus, à l'image de l'ONU, la caisse de résonance des revendications du Tiers Monde. C'est principalement alors d'un affrontement nord-sud qu'elle est devenue le théâtre, entre les pays du Tiers Monde réclamant une assistance technique massive, et les pays riches réticents devant l'augmentation continue du budget et l'orientation croissante de l'action de l'Unesco vers le Tiers Monde. En outre, durant les années 1960-74, des enjeux politiques régionaux se manifestent de plus en plus. Ainsi, les tensions politiques, loin de s'apaiser au fil de la période, se sont déployées au contraire de manière de plus en plus vive. Elles ont aussi connu un déplacement : aux tensions entre " clan latin " et " clan anglo-saxon " ont succédé des tensions entre bloc est et bloc ouest, puis des tensions entre pays du nord et pays du sud ; en fait il ne s'agit pas d'une succession de ces clivages, mais plutôt d'une superposition, de sorte qu'à la fin de la période étudiée, tous ces clivages se combinent, pour donner lieu à une mosaïque complexe de groupes de pression opposés les uns aux autres. Outre ces vives tensions politiques, l'Unesco souffre d'importants problèmes d'ordre institutionnel et administratif. Une de ses faiblesses constitutives majeures réside dans ses compétences limitées. En effet, elle se trouve dans une situation de forte dépendance par rapport à ses Etats membres, et de subordination dans le cadre du système de l'ONU. De plus, son mécanisme administratif s'avère complexe et peu fonctionnel. En effet, tandis que la conférence générale et le conseil exécutif se voient de plus en plus dessaisis de leurs fonctions théoriques, en revanche le rôle du directeur général tend à s'accroître ; le secrétariat, quant à lui, joue un rôle important, mais devient rapidement le théâtre de vifs conflits de pouvoir ; sa lourdeur administrative, ainsi que la centralisation croissante du pouvoir en son sein, et des rivalités persistantes entre ses différents services et entre les fonctionnaires qui les composent, l'affaiblissent. En outre les relations entre le siège et le terrain donnent souvent lieu à de graves problèmes. Des efforts sont entrepris pour mettre en place et developper des mécanismes originaux de rationalisation, notamment de planification et d'évaluation ; cependant ils s'avèrent souvent désordonnés et discontinus, et sont finalement décevants dans leurs résultats. Conséquence de ces importants problèmes de fonctionnement, le moral du personnel est durement éprouvé : le travail est souvent frustrant et les relations humaines tendues ; une contestation de la part du personnel se développe contre la direction, et se concrétise en particulier en 1970, avec la convocation d'une table ronde de l'association du personnel, qui rédige un rapport dénonçant avec lucidité tous les dysfonctionnements de l'organisation, et formulant des propositions constructives. Par ailleurs, l'Unesco a mené des actions importantes pour faire sa promotion dans l'opinion de ses Etats membres. Les résultats ont été très variables selon les Etats, selon les périodes, et selon les groupes sociaux et idéologiques. Ainsi, l'image de l'Unesco a été particulièrement positive dans le Japon de l'après-guerre, en France dans les années 1960-70, dans certains milieux américains, et dans le Tiers Monde à partir des années 1960. En revanche, elle a été généralement négative dans les milieux anglo-saxons chrétiens et nationalistes. Plusieurs des vecteurs de promotion utilisés par l'Unesco se sont révélés peu efficaces, comme de nombreuses publications et revues, inadaptées au public visé et insuffisamment distribuées ; en revanche, d'autres, comme essentiellement le Courrier de l'Unesco et les clubs Unesco, semblent avoir été efficaces. Les périodes qui ont suscité l'enthousiasme le plus vif pour l'Unesco semblent avoir été surtout les toutes premières années et les années 1960. D'une manière générale, force est de constater que l'Unesco n'a pas obtenu de la part de l'opinion une reconnaissance et une popularité aussi fortes qu'elle l'aurait souhaité. Ainsi, l'Unesco a été affectée tout au long de ses trente premières années par des problèmes structurels importants : difficulté à définir des orientations conceptuelles nettes, problèmes politiques, dysfonctionnements administratifs, faiblesse de son image publique. La seconde partie de la thèse est consacrée à l'étude des actions de l'Unesco. L'analyse du passage des conceptions aux actions, et des actions aux résultats est très intéressante. La grande diversité des thèmes d'action de l'organisation est remarquable : éducation, sciences, culture, sciences sociales, information et communication, patrimoine, environnement ; de même que le caractère interdisciplinaire de plusieurs actions. En outre, la variété de ses modalités d'action est également considérable : publications et recherches ; réunions, conférences, stages, séminaires ; missions de conseil d'experts ; action normative ; création ou soutien à des institutions ; action opérationnelle ; subvention et encouragement à des actions extérieures ; collaboration avec des ONG et des institutions privées. Cette double prolifération des thèmes et des modalités d'action témoigne de la difficulté à réaliser ses objectifs mais aussi d'une recherche constamment renouvelée et au total d'une réelle vitalité. L'Unesco s'est efforcée de mettre en place des valeurs pacifiques communes. Elle a suscité des réflexions sur la paix, sur les droits de l'homme, sur la compréhension internationale. Elle a mené une propagande en faveur d'un respect réciproque entre les différents groupes humains. Dans ce domaine, c'est l'action contre le racisme et la promotion du droit des femmes à l'éducation qui ont été le plus développées. L'organisation a également œuvré à éliminer les conditions favorisant l'éclatement et la perpétuation des conflits : elle s'est ainsi efforcée de contribuer à une rééducation des anciens nazis et des victimes de la guerre ; de développer des réflexions sur la question des colonies ; sur les transformations technologiques, économiques, et sociales ; sur le désarmement ; et enfin sur les tensions diverses qui émanent de la civilisation. Le résultat de ces efforts apparaît en fait difficile à saisir de manière tangible. Cette action en vue de la paix s'avérant malaisée et ses résultats diffus, l'Unesco s'est par ailleurs consacrée activement à mener une politique culturelle universaliste, ce qui constitue d'ailleurs une façon indirecte de s'efforcer de favoriser la paix. Cependant, cela a soulevé des questions importantes : l'Unesco devait-elle créer elle-même une nouvelle culture, et l'inculquer à l'humanité ? Ou bien plutôt diffuser dans le monde entier la culture occidentale moderne ? La question n'a pas été tranchée. La première hypothèse a entraîné un tollé de la part de plusieurs milieux et notamment des milieux nationalistes américains. La seconde a connu plus de succès. Cependant, au fil des années, le multiculturalisme s'est imposé et l'idée de la nécessité de préserver les identités culturelles a battu en brèche la conception universaliste. Pourtant, l'Unesco a toujours maintenu son idéal universaliste et a tout au long de la période poursuivi ses efforts pour rapprocher les courants de pensée. Elle s'est efforcée de donner aux savants et aux intellectuels la possibilité de coopérer ; de répertorier les produits de la culture et de faciliter leur circulation ; d'influer sur les politiques scientifiques et culturelles menées par les Etats ; de rapprocher Orient et Occident ; de diffuser largement dans les masses la science, la culture, et surtout l'éducation. Elle a mis à contribution pour cela des moyens modernes et novateurs (radio, télévision, machines à enseigner...). Elle a aussi promu le droit à l'information, et sa libre circulation, notions controversées. Elle a enfin ardemment préservé et promu le patrimoine. Cependant, ses efforts de diffusion de la culture se sont heurtés à des hésitations et à des incertitudes portant sur sa nature. En effet, en diffusant " la " culture, considéré comme un objet bien défini, l'Unesco ne risquait-t-elle pas de pétrifier une activité qui aurait pour essence d'être mouvante, en perpétuel renouvellement, en perpétuelle création ? Ne risquait-t-elle pas aussi d'étouffer les cultures particulières ? C'est une question qui n'a cessé de se poser, de susciter des controverses et qui, faute d'être résolue, a amené l'Unesco à changer l'orientation de ses actions en leur donnant un caractère moins intellectuel et davantage matériel. L'Unesco a donc connu une nette évolution vers l'action matérielle, technique, concrète. La localisation géographique de son action s'est élargie progressivement vers le Tiers Monde. Ses projets se sont infléchis vers l'objectif de développement économique. Elle a utilisé divers moyens pour y contribuer, et notamment elle s'est efforcée de recourir à cet effet aux particularités culturelles des peuples du Tiers Monde, avec l'effort de " développement endogène ". Dans ce cadre, elle s'est penchée sur la question de l'accroissement démographique et de l'alimentation. Elle s'est efforcée de mettre l'éducation au service du développement économique, avec notamment les concepts d'éducation de base, de développement communautaire, d'alphabétisation fonctionnelle. Elle a aussi tenté d'utiliser à cette fin l'information, les communications, la science et la technologie. Son action dans le domaine matériel s'est inscrite non seulement dans le cadre du développement économique, mais aussi dans celui de la défense de l'environnement. Ainsi, elle a fait des efforts croissants pour protéger la nature contre les atteintes de l'homme, et l'homme contre les rigueurs et les caprices de la nature, ainsi que pour mettre à profit les ressources naturelles en vue du développement. Enfin, l'analyse des actions de l'Unesco a amené à réfléchir à la possibilité d'en faire une évaluation. Les évaluations réalisées par l'Unesco ont souvent été peu approfondies et peu critiques ; lorsqu'elles l'ont été, elles n'ont pas été prises en compte par la direction et ont souvent au contraire été censurées. L'Unesco s'est généralement montrée réticente à admettre des bilans francs et critiques de ses résultats. En fait, il semble que, plutôt qu'à une évaluation, on puisse au terme de ce travail se livrer à une gradation des différentes actions de l'Unesco selon plusieurs critères : elles ont été à un plus ou moins grand degré handicapées par des problèmes administratifs et logistiques ; plus ou moins cohérentes ; marquées par une collaboration plus ou moins importante des Etats membres concernés ; par une adhésion plus ou moins importante de la part des populations concernées ; elles se sont tantôt inscrites dans la continuité d'autres actions entamées avant sa naissance, tantôt révélées très novatrices ; elles ont été plus ou moins progressistes ; plus ou moins réalistes ; plus ou moins durables. En fait elles sont tellement diverses qu'il apparaît presque impossible de prononcer un jugement global sous peine de déformer la réalité, qui est si complexe.

Identiferoai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00848712
Date04 April 2006
CreatorsMaurel, Chloé
PublisherUniversité Panthéon-Sorbonne - Paris I
Source SetsCCSD theses-EN-ligne, France
Languagefra
Detected LanguageFrench
TypePhD thesis

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