Return to search

L'Argumentation dans les débats politiques télévisés. Négociations identitaires et co-construction d'un monde commun. D'une logique informationnelle à une sociolinguistique de l'action.

Le débat politique télévisé, qui semble rester un élément attendu du discours politique, a paradoxalement mauvaise presse : actualisé sur le mode agonistique, il est stigmatisé autant pour ses lourdeurs formelles que pour son caractère inauthentique et mensonger.<br /> En s'appuyant sur un corpus constitué des quatre débats présidentiels (1974 à 1995) ainsi que de débats issus de l'émission 100 Minutes pour convaincre, ce travail vise à mettre à jour les enjeux et les conséquences de cette lecture du débat politique télévisé. Par une recherche fondée sur une méthodologie résolument socio-pragmatique et transdisciplinaire (depuis les travaux en ethnographie de la communication jusqu'aux science studies), il s'agit donc ici – sans nier la dynamique conflictuelle – d'adopter une autre perspective : considérer que l'affrontement n'est qu'un fait de surface et qu'il s'agit davantage d'un processus de co-construction du sens et de co-construction d'une réalité. Les débattants n'interagissent pas seulement l'un sur l'autre mais aussi l'un pour l'autre. Ils ont besoin l'un de l'autre pour s'affronter et faire exister la polémique, synonyme de pratique démocratique. Il y a donc une forme de coopération dans le discours conflictuel lui-même. Et cette dimension contractuelle des interactions n'est pas sans rapport non plus avec le caractère médiatique, télévisuel, des débats.<br /> L'homme politique, ainsi assimilé à un comédien, doit donc consentir à s'aligner sur l'image que sa propagande répand. L'essentiel, pour les débattants, consiste ainsi à endosser des rôles conversationnels et à dire qui ils sont. La dynamique interlocutoire s'articule en fait autour de négociations identitaires qui fonctionnent comme des situations argumentatives.<br /><br /> Les théories modernes de l'argumentation – d'inspiration largement néo-platonicienne – s'ancrent dans une sorte d'anthropologie du convaincre : argumenter serait chercher à convaincre les interlocuteurs, directs ou indirects.<br /> C'est pourquoi – constatant que les hommes politiques visent davantage à séduire, à se conformer à l'image de ce qu'il sont censés être plutôt qu'à convaincre – les critiques « traditionnelles », savantes et communes, formulées à l'encontre de ces derniers sont aisément comparables à celles essuyées hier par les sophistes ; à tel point que la parole politique est assimilée à une sorte de nouvelle sophistique : celle-ci serait inauthentique, trompeuse, mensongère, etc. On assisterait au triomphe de la doxa sur le logos, de la séduction sur l'argumentation rationnelle. Cela témoigne du fait que l'ancien débat qui oppose Platon aux sophistes est toujours d'actualité et combien il a consacré notre rapport, en occident, du langage au politique.<br /> Afin de re-questionner la dichotomie platonicienne (logos/doxa) – qui émerge historiquement comme un trait visant à déconsidérer le discours des sophistes – on revisite l'allégorie de la Caverne de Platon qui construit, dans un même mouvement, une certaine idée de la Science (rationnelle, neutre, objective) et un monde social et politique en proie au chaos.<br /> Il s'agit de dé-construire l'ancienne opposition du logos et de la doxa et mettre en lumière qu'il n'y a pas qu'un seul monde (déjà là), mais des mondes à « négocier » par l'interaction langagière. Et que c'est donc la parole politique, qui construit le « réel », le monde dans lequel on dit vouloir vivre. L'effet de vérité ne résulte donc plus de l'adéquation entre le réel et le représenté (théorie du signe et logique informationnelle) mais de la co-incidence entre deux discours, deux identités socio-langagières, qui donnent forme au monde, le crée (même rétrospectivement). Les mots, les discours, les débats n'ont donc de signification, que dans un enlacement mutuel aux contextes et au monde. Rompant avec la linguistique structurale interne, et dans la perspective d'une sociolinguistique de l'action, on envisage ainsi le langage comme acte politique : l'instrument de l'invention/négociation du monde. Il sert, non plus seulement à communiquer ou à transmettre de l'information, mais à concrétiser un monde en devenir – et non un monde déjà là.

Identiferoai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:halshs-00003942
Date30 June 2004
CreatorsFortin, Gwenole
PublisherUniversité Rennes 2
Source SetsCCSD theses-EN-ligne, France
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
TypePhD thesis

Page generated in 0.0026 seconds