Discours autour des frontières, histoires des cicatrices

Ce travail analyse la représentation de la frontière dans les discours littéraires du Canada français et de l'Amérique latine à l'époque de la mondialisation. La frontière est étudiée fondamentalement sous deux aspects: en tant qu'expression du rapport binaire inclusion/exclusion et du point de vue de la fragmentation et de la "contamination" culturelle provoquées par la mondialisation, condition qui produit un effacement partiel des frontières géopolitiques et la coexistence de différentes cultures.
On démontre que le binarisme soutenant le concept de frontière est un mécanisme fondateur de violences qui s'actualise au niveau individuel. La frontière, qu'elle délimite un territoire ou une communauté humaine, inclut le Même tout en excluant l'Altérite. Cette inclusion/exclusion produit discrimination, souffrance et, éventuellement, violence et mort, ce qui est esthétisé dans les oeuvres littéraires analysées. La frontière en ce sens est une trace, c'est pourquoi elle est cicatrice: elle est la trace de la blessure occasionnée par sa dynamique de violence.
On étudie les origines et l'évolution historique de la frontière ainsi que les mécanismes qui l'ont perpétuée à travers les époques sous différentes approches théoriques, linguistique, anthropologique, historique et socioculturelle. Ces approches permettent d'examiner quels sont les dispositifs déclencheurs de violence representés dans les oeuvres littéraires. De ce fait, on montre aussi que la constitution de la frontière culturelle est de nature identitaire (communautaire, nationale, religieuse, ethnique, culturelle) et qu'elle se réalise à travers la langue, ce qui confirme que les frontières humaines et territoriales existent parce qu'elles "habitent" les individus.
Cette construction produit un Nous à qui on attribue des caractéristiques presque parentales: des milliers, voire des millions de personnes sont le Même. Cette personne collective habite un espace qui peut être, soit un territoire (c'est le cas des États-Nations), soit une région imaginée, affective, morale ou spirituelle (c'est le cas des groupes religieux, ethniques ou des Nations). Cet espace est protégé par l'érection des frontières qui séparent clairement le Nous de l'Autre, celui qui est à l'extérieur de la frontière, l'étranger, le différent.
La défense ou l'expansion de cet espace binaire provoque des changements dans les frontières, donc des blessures et éventuellement des cicatrices. C'est ce que prouve l'oeuvre de Carlos Fuentes en mettant en évidence que l'expansion territoriale des États-Unis vers le Sud a provoqué la perte du territoire des Mexicains. De la même manière, dans le cas des frontières humaines, l'intolérance de certains groupes a provoqué des génocides. Ce sont les cas présentés par Marcos Aguinis et par Régine Robin et qui concernent la persécution et l'extermination du peuple juif et par Maryse Condé et Edouard Glissant concernant la traite et l'esclavage. D'autres effets de frontière sont moins mortels mais toujours excluants, comme le prouvent les oeuvres de Gabrielle Roy ou de Monique Proulx, en mettant en scène la discrimination exercée vis-a-vis de certaines races et des personnes souffrant d'un handicap physique. Ainsi, on démontre que les frontières, territoriales ou humaines, sont toujours identitaires et toujours potentiellement violentes parce que leur défense ou leur expansion se fonde sur le concept binaire du jeu à somme nulle.
Or, étant donné que la frontière est une construction consolidée concrètement par les croyances de chaque individu, elle peut aussi être déconstruite. C'est ce que montrent la condition postmoderne et la mondialisation. La fracturation de la rigidité identitaire des individus en déplacement et la "contamination" culturelle provoquée par le mouvement des biens et des personnes crée un "tiers espace", au sens de Homi Bhabha, espace qui laisse espérer que les humains pourront construire des cultures non-excluantes, comme l'illustrent les oeuvres des écrivains dits "migrants" comme Sergio Kokis. En ce sens, certains discours littéraires analysés révèlent qu'il est possible de comprendre que les frontières, on les porte en soi. On peut espérer ainsi qu'un jour, les blessures provoquées par la violence des frontières, devenues cicatrices, ne seront que la trace d'une culture excluante, organisée sur la pensée binaire et dépassée grâce au déplacement, aux relations rhizomatiques et à l'ouverture.

Identiferoai:union.ndltd.org:uottawa.ca/oai:ruor.uottawa.ca:10393/29429
Date January 2007
CreatorsArentsen, Maria Fernanda
PublisherUniversity of Ottawa (Canada)
Source SetsUniversité d’Ottawa
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
TypeThesis
Format393 p.

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