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Du transfert de connaissances à une résistance épistémique en santé mondiale

Fillol, Amandine 02 1900 (has links)
Problématique : Alors que l’on connaît depuis plusieurs décennies les conséquences dramatiques des injustices sociales sur la santé, il existe un profond problème d’application des connaissances pour informer les pratiques et/ou les politiques. Au-delà d’un manque de prise en compte des connaissances pour l’action, il semblerait que la difficulté à lutter contre les inégalités soit plutôt liée à l’enracinement des systèmes de production et d’utilisation des connaissances dans des structures injustes. Approche théorique et cadre conceptuel : Cette thèse s’inscrit dans la quatrième vague de recherche sur le transfert de connaissances qui consiste à mieux comprendre les caractéristiques sociales des connaissances. En d’autres mots, il s’agit d’intégrer une approche d’épistémologie sociale dans la recherche sur le transfert de connaissances. Nous nous intéressons spécifiquement au concept d’oppression épistémique qui consiste en la répétition dans la durée de trois degrés d’exclusions épistémiques. L’exclusion de troisième degré représente un mode de vie épistémique qui est dirigé par des groupes sociaux dominants, qui ne permet pas de prendre en compte d’autres systèmes de pensée et de connaissances que les leurs. L’exclusion de second degré est le fait, pour des individus déjà opprimés socialement, de devoir utiliser des ressources qui ne sont pas les leurs, pour pouvoir participer à la construction de nouvelles ressources communes dans ce système. L’exclusion de premier degré concerne l’impossibilité, pour des individus, d’être considéré comme des « connaisseur·ses » du fait de préjugés à leur encontre. Cette thèse vise à analyser comment les pratiques quotidiennes et le contexte de la santé mondiale favorisent une oppression épistémique. Méthodologie : Nous étudions trois phénomènes correspondant aux trois degrés d’exclusion épistémique, en suivant une échelle d’analyse à trois niveaux (macroscopique, mésoscopique, microscopique) qui rappellent les trois branches de l’épistémologie sociale (système, groupe, individus). Pour cela, nous étudions en premier lieu la construction d’une ressource épistémique commune en santé mondiale à un niveau macroscopique : la couverture santé universelle (CSU) grâce à une revue critique des écrits. En deuxième lieu, nous étudions l’appropriation de cette ressource épistémique à un niveau mésoscopique, et la manière dont un groupe de scientifiques prend ou non en compte des voix dissidentes, en promouvant une définition différente de la CSU. Pour cela, nous réalisons une étude de cas d’un programme de recherches interventionnelles sur la CSU. En troisième lieu, nous étudions le rôle de la source des connaissances sur leur perception grâce à une expérimentation en santé mondiale. Résultats : À travers l’avènement de la CSU, nous observons la présence d’un pouvoir productif qui, tout en donnant l’impression d’une approche ancrée dans les droits humains et inclusive, favorise une conception marchande de la santé, menée par un « centre » de la santé mondiale. Nous avons également observé que l’appropriation de la CSU dans un programme de recherches interventionnelles n’a pas permis de créer une définition dissidente de la CSU. Plusieurs alliances épistémiques, c’est-à-dire des affiliations entre membres partageant la même orientation des études pour analyser la CSU sont apparues : une alliance santé publique, une alliance économique, une alliance anthropologique et une alliance critique. Cette dernière, qui proposait une réflexion globale sur la déconstruction et la gouvernance de la CSU, a été manquée, du fait d’inégalités concomitantes. Enfin, nous avons pu voir à un niveau microscopique que le « messager » peut être plus important que le « message » et participer à invisibiliser ou diminuer certaines voix dans la gouvernance globale en santé. Discussion et valeur ajoutée de la thèse : Les trois degrés d’exclusion épistémiques peuvent s’entrevoir de façon complémentaire. Du fait de la proximité des mondes scientifique et politique, et de la volonté de produire des connaissances pour l’action en santé mondiale, l’avènement de la CSU peut influencer la manière dont les scientifiques s’approprient ce concept. Cela peut limiter les possibilités de diversité épistémique et favoriser l’exclusion de certaines voix. À l’inverse, le sentiment d’exclusion peut conduire à se limiter dans sa contribution intellectuelle. Partant du postulat dont chacun·e de nous peut participer à changer les structures qui créent les injustices, en résistant à l’oppression épistémique, nous proposons un continuum d’actions pour lutter contre les inégalités dans la gouvernance globale en santé. / Background: The dramatic consequences of social injustice on health have been known for several decades, but social injustice also has an impact on knowledge translation. Rather than relating to a lack of knowledge uptake for action, the difficulty in addressing inequalities connects to knowledge production and use systems rooted in unjust structures. Theoretical approach and conceptual framework: This thesis aims to better understand the social characteristics of knowledge, and explores the integration of a social epistemology approach into knowledge translation research. We specifically focus on epistemic oppression, which consists of the repetition over time of three types of mutually reinforced epistemic exclusion. One type applies to an epistemic way of life led by dominant social groups, who prevent new systems of thought and knowledge, different from their own, to surface. A second type relates to socially oppressed individuals who must use resources they do not own to contribute to the construction of new common resources within the dominant system. The last type of epistemic exclusion consists of the impossibility of individuals being recognized as "knowers" because of prejudices that make them appear illegitimate. This thesis aims to analyze how everyday practices and the global health context foster epistemic oppression. Methodology: We study three processes, each related to a type of epistemic exclusion and following a three-level scale of analysis (macroscopic, mesoscopic and microscopic), which also covers the three branches of social epistemology (system, group and individual). First, we focus on the construction of an epistemic resource in global health at a macroscopic level, namely, universal health coverage (UHC), through a critical review of the literature. Secondly, we study the appropriation of this epistemic resource at a mesoscopic level, and how a group allows or does not allow dissenting voices, thus promoting a different definition of UHC. To this end, we conduct a case study of an interventional research program on UHC. Finally, we elaborate on the role of knowledge sources on the perception of knowledge through an experiment in global health. Results: The case of UHC demonstrates the existence of a productive power that, while giving the impression of an inclusive human approach, favours a market-based conception of health led by a global health "centre". We also observed that the appropriation of UHC in an interventional research program did not create a dissident; unorthodox definition of UHC. Several epistemic alliances (i.e. affiliations between members sharing the same orientation of studies to analyse UHC), emerged: a public health alliance, an economic alliance, an anthropological alliance, and a critical alliance. The latter, which suggested a global reflection on the deconstruction and governance of the UHC, did not occur because of concomitant inequalities. Finally, at a microscopic level, we showed that the "messenger" can be more important than the "message" when disseminating knowledge. Discussion and research value: The three types of epistemic exclusion can be read complementarily. Due to the proximity of the scientific and political worlds, and the desire to produce knowledge for action in global health, the social construction of UHC may influence how scientists appropriate this concept. It may limit the possibilities of epistemic diversity, and thus promoting the exclusion of some voices and points of view. A feeling of exclusion can, in turn, lead to self-limitation. Based on the premise that everyone can contribute to changing the structures that create injustice by resisting epistemic oppression, we propose a continuum of actions to address inequalities in global health governance.

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