Cette thèse a pour sujet les savoirs des femmes en situation de handicap physique concernant les actions préventives développées par elles en matière d'agression sexuelle. La prévention des agressions sexuelles chez ces femmes en situation de handicap physique est une préoccupation en constante évolution dans les milieux de pratique en travail social principalement féministes au Québec. La méthode de recherche documentaire utilisée a été inspirée de la méthode Cochrane. À la suite de ces lectures, 60 textes ont été retenus. Bien que la majorité des écrits provenaient des banques de données bibliographiques, les autres moyens utilisés incluant les sites Internet, les recommandations et les bibliographies des premiers textes retenus ont permis de recenser quinze autres textes. La majorité des écrits ont utilisé une méthodologie quantitative ou une méthodologie qualitative. Les autres écrits ont utilisé une méthodologie de type recension ou de type essai ou de type mixte. Plusieurs études ont employé une perspective féministe. Les textes retenus ayant des méthodologies de recherche de type recension s'accordent tous pour souligner le peu d'écrits portant sur l'expérience des femmes en situation de handicap physique en matière de prévention des agressions sexuelles. Au Canada, les résultats d'une étude statistique, menée par l'Institut Statistique Canada portant sur la prévalence des agressions sexuelles subies dans le pays démontrent que 74 agressions sexuelles ont été dénoncées quotidiennement en 2017 et la majorité des personnes ayant subi des agressions sexuelles était des femmes, soit 9 sur 10. Tout comme les femmes survivantes d'agression sexuelle, celles en situation de handicap physique sont sujettes au développement de culpabilité, à la perte de confiance en soi, au trouble de l'anxiété, à la dépression, aux traumatismes et aux actes suicidaires. De plus, une seconde recension a permis de recueillir des informations sur dix-huit initiatives professionnelles préventives. Le faible nombre d'écrits sur les initiatives professionnelles préventives et l'insuffisance d'évaluation de ces initiatives peuvent s'expliquer en raison d'un manque de financement, du manque de dénonciation, d'un manque de mise en lumière des vécus spécifiques des femmes en situation de handicap physique ainsi que d'une pénurie de connaissances en sciences sociales éprouvées pouvant guider le développement d'initiatives professionnelles préventives. Le faible nombre d'écrits recensés en matière d'initiatives préventives peut également s'expliquer par une hausse importante des demandes d'aide découlant du mouvement #Metoo. La question de recherche guidant l'analyse des écrits recensés est la suivante : Dans quelle mesure les initiatives recensées mettent en pratique des éléments qui favorisent la mobilisation des savoirs des femmes en situation de handicap physique? Constatant que la recension apporte des informations pertinentes sur la façon dont s'est concrétisée la prévention des agressions sexuelles au Canada, mais qu'un manque d'information demeure sur les savoirs de ces femmes, l'objectif de la thèse est de comprendre comment les femmes en situation de handicap physique s'organisent pour prévenir les agressions sexuelles. Le cadre théorique qui a été choisi est féministe avec une méthodologie de recherche de type qualitatif. La réalisation de cette thèse a permis d'analyser les entrevues semi-dirigées de 22 femmes en situation de handicap physique dans la province de Québec. Concernant les résultats, une minorité de femmes ont déclaré ne pas avoir subi d'agression sexuelle (n=6) et une majorité de femmes ont déclaré en avoir subi (n=16). Trois constats sont ressortis des thèmes émergeant du contenu des entrevues soit : 1) Que les expériences d'oppression dans lesquelles s'inscrivent les agressions sexuelles subies par les femmes en situation de handicap physique représente un lourd fardeau à porter pour elles, notamment en raison des actions préventives à mettre en place individuellement pour éviter de nouvelles agressions sexuelles; 2) Que malgré la multiplicité des actions préventives qu'elles ont développées, la présence de nombreux obstacles rend difficile leur succès; 3) Que les actions développées peuvent avoir des effets variés et parfois ambivalents, sur le continuum entre la revictimisation et la reprise de pouvoir sur leur vie. / This thesis delves into the knowledge of women with physical disabilities regarding the preventive actions they have developed to combat sexual assault. The prevention of sexual assault among women with physical disabilities is an ever-evolving concern in feminist social work practice in Quebec. The research method adopted for this study was inspired by the Cochrane method. After a thorough literature review, 60 relevant texts were identified. While most of the literature was sourced from bibliographic databases, additional texts were discovered through websites, recommendations, and bibliographies from the initial selected works, leading to a total of fifteen supplementary texts. The majority of these texts utilized either quantitative or qualitative methodologies, while others employed review-type, essay-type, or mixed-type methodologies. Several studies adopted a feminist perspective. The literature with review-type research methodologies collectively acknowledged the scarcity of information pertaining to the experiences of women with physical disabilities concerning the prevention of sexual assault. In Canada, Statistics Canada's statistical study on the prevalence of sexual assaults in 2017 revealed that the country witnessed 74 reported sexual assaults daily, with women accounting for 9 out of 10 victims. This reality applies not only to women who have experienced sexual assault but also to women with physical disabilities who have experienced sexual assault, who are especially vulnerable to feelings of guilt, diminished self-confidence, anxiety disorders, depression, trauma, and suicidal tendencies. Moreover, a second review highlighted eighteen preventive professional practices. However, a scarcity of literature on preventive professional practices and an inadequacy in evaluating these initiatives may be attributed to a lack of funding, underreporting, a failure to recognize the unique experiences of women with physical disabilities, and a shortage of proven social science knowledge to guide the development of preventive professional practices. Another plausible explanation for the paucity of writing on preventive practices could be attributed to a substantial increase in help requests due to the #Metoo movement. The central question guiding this study is: What extent do the identified practices put into practice elements that promote the mobilization of knowledge from women with physical disabilities? While the existing literature provides valuable insights into the implementation of sexual assault prevention in Canada, there remains a notable lack of information on the knowledge of women with physical disabilities, which this thesis aims to address. The chosen theoretical framework for this study is feminist, and the research methodology is qualitative. To gain a comprehensive understanding, this thesis analyzes semi-structured interviews conducted with 22 women with physical disabilities in the province of Quebec. The findings from these interviews are crucial for addressing the research objectives. Among the participants, a minority (n=6) reported not experiencing sexual assault, while the majority (n=16) revealed that they had encountered such incidents. From the themes that emerged during the interviews, three critical observations were identified: 1) The feeling of oppression associated with sexual assaults experienced by women with physical disabilities represents a significant burden, particularly in light of the individual preventive actions they must undertake to protect themselves from future incidents; 2) Despite their proactive efforts and the diversity of preventive actions they have developed, numerous obstacles hinder their success; 3) The preventive actions developed by these women can have varied and sometimes ambivalent effects, influencing the continuum between re-victimization and empowerment.

Cette thèse porte sur l’évolution des pratiques d’intervention dans les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence au Québec, depuis leur développement au milieu des années 1970. Plus spécifiquement, elle trace un portrait de 40 ans de pratiques au sein de ces ressources, mettant en lumière les transformations qu’elles ont connues au fil des années. Guidée par une posture épistémologique critique et féministe et s’appuyant sur une méthodologie qualitative, l’étude guidant la présente thèse fut menée auprès d’un échantillon composé de 48 participantes, dont 8 pionnières, 7 vétérantes et 33 intervenantes. Elle est également alimentée par 53 documents produits par le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale et par la Fédération des maisons d’hébergement pour femmes. Un cadre conceptuel ayant émergé de manière inductive du corpus de données a orienté l’analyse des résultats, articulés autour de six valeurs : la sécurité, la dignité, l’autodétermination, l’égalité, la solidarité et la justice sociale. Dans l’ensemble, cette recherche démontre qu’initialement, les maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale au Québec qui s’appuient sur une lecture féministe du phénomène ont été mises sur pied dans l’objectif ultime de disparaître avec l’élimination de la violence faite aux femmes. Dans cette optique, ces ressources étaient conceptualisées comme des lieux de changement social; les pratiques, fortement axées sur le collectif, ciblaient l’ensemble de la société (Lacombe, 1990). D’une solution temporaire à une fin en soi (Murray, 1988), les maisons d’hébergement se sont progressivement structurées à l’interne dans la manière de travailler avec les femmes et avec les enfants, un phénomène mis en lien avec la professionnalisation. Les résultats laissent également entrevoir que les six valeurs servant de cadre conceptuel à la présente étude ont traversé l’histoire des maisons d’hébergement et influencent encore profondément les pratiques d’intervention, telles que conceptualisées par les pionnières et les vétérantes au cours des années 1970. Or, certains éléments laissent entrevoir des glissements en lien avec l’analyse sous-jacente à ces valeurs. Plus précisément, le regard porté sur la situation des femmes vivant différentes problématiques outre la violence conjugale (santé mentale, toxicomanie, agressivité) varie davantage d’une participante à l’autre et le manque de repères théoriques semble complexifier leur travail avec les femmes considérées « difficiles ». Plus encore, le retour en force du discours médical, une préoccupation pour la place des hommes, ainsi que la conceptualisation des femmes dans leur rôle de mère dans une « vision déficitaire » (Peled & Dekel, 2010) font émerger d’importants questionnements sur l’équilibre et l’influence du féminisme en maison d’hébergement. / This dissertation focuses on the evolution of intervention practices in domestic violence shelters in the province of Québec, since their development in the mid-1970’s. More specifically, it provides an overview of 40 years of practices in these refuges, highlighting the transformations that have occurred over the years. Drawing upon a critical and feminist epistemological viewpoint and relying on a qualitative methodology, the study guiding this thesis was conducted with a total sample of 48 participants, including 8 pioneers, 7 veterans and 33 domestic violence shelter workers. Moreover, 53 documents issued by the Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale and by the Fédération des maisons d’hébergement pour femmes have also supported the current research. The conceptual framework through which the intervention practices were analyzed emerged inductively from the data and is organized around six values: security, dignity, self-determination, equality, solidarity, and social justice. Overall, domestic violence shelters in the province of Québec which drew upon a feminist perspective of the phenomenon were developed with the ultimate goal of dissolving when violence against women was eliminated. Accordingly, these resources were conceptualized as mean of social change; collectively-oriented practices were thus targeting society as a whole (Lacombe, 1990). From a “means to and end” to “an end in itself” (Murray, 1988), domestic violence shelters have been gradually structured internally with regards to the way they work with women and children, a phenomenon which can be linked to the professionalization of services. The results also suggest that the six values on which the conceptual framework of the study was built have remained deeply entrenched in the history of domestic violence shelters and are still influencing the intervention practices, as conceptualized by the pioneers and veterans during the 1970’s. However, some of the data provided in the current research suggests some shifts in existing practices are occurring. More specifically, the challenge of understanding the situation of women affected by different issues (mental health, substance abuse, aggression) through a feminist lens and the lack of theoretical references seems to further complicate the participants’ work with women who are deemed “difficult”. Moreover, the resurgence of a medical discourse, the willingness of some to involve men in shelters and the conceptualization of women in their role as mothers through a “deficit perspective” (Peled & Dekel, 2010) raises important questions about the continuing strength and influence of feminism on workers.