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Un modèle français de jugement des pairs. Les tribunaux de commerce, 1790-1880Lemercier, Claire 19 March 2012 (has links) (PDF)
Les principaux résultats de cette recherche portent, d'une part, sur les mécanismes qui permettent l'adaptation et la reproduction, à très long terme, de ce que j'ai appelé un modèle français de jugement des pairs, d'autre part sur les relations entre droit et économie que fait apparaître l'étude des pratiques liées à ce modèle. Par " modèle français de jugement des pairs ", je désigne l'association de quatre traits : il s'agit de juridictions insérées dans le système judiciaire officiel, mais dont les juges sont élus, considérés comme pairs des parties parce qu'ils mènent le même type d'activités économiques, et dont les procédures sont simplifiées. Ces traits se retrouvent, au moins en principe, dans les tribunaux de commerce français ; ils sont considérés, à l'époque, comme un modèle possible (parmi d'autres) à l'étranger. Ils constituent aussi un modèle, en France même, pour de nouvelles institutions, notamment les conseils de prud'hommes, qui en viennent à fonctionner en système avec les tribunaux de commerce. La forte légitimité de ce modèle dans la France du 19e siècle est énigmatique à plus d'un titre, puisqu'il présente une hybridation entre des traits associés en général aux justices " publiques " ou " privées ", rationalisées ou d'Ancien régime. De plus, alors que de nos jours, nombre d'économistes affirment que la common law est intrinsèquement plus adaptée aux besoins de l'économie, l'adoption de tribunaux de pairs à la française était alors sérieusement discutée dans des régions très dynamiques économiquement comme l'Angleterre ou l'État de New York. Cette recherche souligne qu'il est pour le moins exagéré de parler, pour la période actuelle, d'une toute nouvelle " imbrication de l'économique et du judiciaire ", qui aurait remplacé une " méfiance traditionnelle du monde économique envers les juridictions ". Les situations en la matière, lorsque la révolution industrielle battait son plain, étaient radicalement différentes non seulement entre niveaux du commerce, mais aussi entre pays. Les marchands français étaient parmi ceux qui avaient le plus tôt " découvert le chemin des tribunaux ", comme ceux de New York (en tout cas les grands négociants parmi eux), mais à la différence - bien malgré eux - de ceux des grandes villes industrielles et portuaires anglaises. Mais l'essentiel n'était pas l'existence, en soi, de tribunaux à part pour le commerce, ou encore de tribunaux où des marchands étaient les juges. Ce qui fonde le modèle français de jugement des pairs, c'est, d'une part, le caractère généraliste de ces tribunaux, qui se veulent ceux de tout le " commerce ", malgré toutes les tensions qui existent en permanence entre la notion unitaire de commerce et celle plus fragmentée de " métiers ". C'est aussi, d'autre part, la notion de " fonctions gratuites ", un bénévolat de service public qui fait entrer de plain pied des pairs élus dans l'Etat, avec des conséquences tant pour la trajectoire ultérieure de ces pairs que pour l'Etat lui-même. Le modèle français de jugement des pairs, issu du monde des corporations, a dû s'adapter à leur disparition, ce qui a finalement placé les tribunaux de commerce, à leur tour, dans une position de pivot, tout en redéfinissant leur légitimité d'une manière compatible avec la nouvelle conception de l'Etat. En pratique, loin de rendre une justice toujours conciliatrice, experte et fondée en équité, comme on le pense souvent, ces tribunaux fondent leur légitimité sur l'existence en leur sein de plusieurs filières, plusieurs types de procédures bien distincts, que leurs juges considèrent comme adaptés aux différents types d'affaires dont ils ont à traiter et qui leur permettent en particulier de gérer la masse du contentieux des impayés. Quant aux justices " plus privées " que j'ai rencontrées au cours de cette recherche, notamment les instances d'arbitrage des associations de branches ou des chambres de commerce d'Angleterre et des Etats-Unis, leur création et leur maintien n'ont rien d'évident. En France, ces instances se sont même retrouvées associées aux tribunaux de commerce dans un rôle d'auxiliaires plutôt que concurrentes. Les faire vivre demande un travail institutionnel qui est resté hors de portée de la plupart de ceux qui l'ont entrepris au 19e siècle : elles ne sont pas le produit naturel de l'existence de " communautés " qui auraient intérêt à créer une " justice privée ".
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