Les films des cinéastes américains Joel et Ethan Coen et Quentin Tarantino ont su marquer leur temps. Soutenus tant par la critique que par le public, manifestant une façon de faire du cinéma aussi originale qu'inédite, ces films sont également les représentants les plus cohérents d'une tendance signifiante traversant le cinéma des années 1990. Suivie par plusieurs autres cinéastes, cette tendance structurante, laquelle envisage le cinéma dans son historicité, que je nomme post-maniériste, vise à faire revivre avec dynamisme et singularité le genre du film noir. Les genres sont en effet un outil indispensable pour quiconque tente de comprendre Ie cinéma amélicain. Tous les films de cette cinématographie portent en eux la marque de ces catégories portées à un point de perfection par le système hollywoodien classique. Or, une fois ce système anéanti, que faire des genres, et en particulier du film noir, une des catégories les plus remarquables du système par la richesse et l'ambiguïté de ses thèmes et l'esthétisme raffiné de son style? Si certains ont choisi la voie de l'académisme en se contentant d'en perpétuer la tradition de façon mécanique, d'autres, comme les frères Coen et Quentin Tarantino, en ont proposé un renouvellement en y injectant une proposition d'auteur. Il faut ici noter que malgré sa noirceur pessimiste, le film noir est le genre qui a le mieux survécu au déclin des grands studios. Les films de mon corpus, Blood Simple, Fargo, The Big Lebowski, Barton Fink, Miller's Crossing et The Man Who Wasn't There des frères Coen et Reservoir Dogs, Pulp Fiction et Jackie Brown de Quentin Tarantino, en sont de vivifiantes illustrations. Ces films me semblent devoir être rapprochés en raison de leur modélisation similaire du film noir et de leur attitude commune face à ce genre de référence caractérisant le post-maniérisme. Bien qu'illustrées par d'autres, les caractéristiques de cette tendance sont portées à leur point d'observation le plus complet chez ces cinéastes. Le déformant autant qu'ils le reforment, ces films s'inscrivent en réalité au coeur même du genre pour le retravailler de l'intérieur, en mettant en tension le style du film noir et leur style propre et révélent leur réelle volonté de le faire revivre par la vitalité de leurs propositions contemporaines. Marqués par une singularité artistique commune, ces films se caractérisent alors par une distanciation ludique particulière imprimée à la forme générique classique et par l'emprunt à d'autres genres populaires. Or, ces distanciations ne visent pas à épuiser les possibilités génériques du noir, mais au contraire à permettre un voyage à l'intérieur du genre, ce dernier devenant un espace singulier de réflexion sur l'Amérique, le cinéma et l'art. Le cinéma de ces auteurs est en effet signifiant en premier lieu par l'exploitation d'une mémoire des lieux, des thèmes, des personnages et de la narration inhérente au genre film noir. Je propose alors cette autre hypothèse: le cinéma noir classique, en puisant dans le répertoire stylistique torturé et angoissant de l'expressionnisme allemand, se caractérisait également par une attitude maniériste induite par une réaction des cinéastes noirs à l'épuisement du cinéma policier hollywoodien. Le maniérisme est, en réalité, un concept hérité de l'histoire de l'art, qui désigne une école picturale du XVIe siècle, arrivée juste après la Renaissance et hantée par la question: comment créer après la perfection? Or, en réactivant la mémoire du film noir, les films des frères Coen et de Quentin Tarantino en réactivent également la mémoire maniériste. Pourtant, leurs
films dépassent ce premier maniérisme en proposant un renouvellement stylistique plus distancié, plus amusé, du contenu et de la forme, engendrant une esthétique et un propos originaux inédits. Articulé autour des enseignements théoriques de la sémiologie générative, je propose de comprendre ces détournements comme caractérisant un nouvel état du genre que je nomme post-maniériste. Impliquant un nouveau rapport à la nature des images et une relation singulière à l'histoire du cinéma, ce nouvel état est également la manifestation d'une réaction des cinéastes à une crise artistique frappant le cinéma dans les années 1990. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Cinéma américain contemporain, Film noir, Maniérisme, Stylisation, Évolution générique.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.1558 |
Date | January 2008 |
Creators | Faradji, Helen |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse acceptée, PeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://www.archipel.uqam.ca/1558/ |
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