Cette thèse propose une lecture juridique, politique et sociale de l’application de la loi anti-blasphème de 1965 dans le plus grand pays musulman du monde, l’Indonésie. Plusieurs controverses sont apparues ces dernières années concernant la nature de la loi sur le blasphème dans la vie religieuse de la société démocratique indonésienne ; cette loi correspond-elle à la prévention des abus en matière de religion et/ou de blasphème, comme il est mentionné explicitement dans son titre, ou bien concernerait-elle plutôt la restriction de la liberté de religion et d’expression en matière religieuse ? En avril 2010, après le procès contrôlant la constitutionnalité de cette loi, une décision de la Cour constitutionnelle indonésienne a établi que la loi examinée ne correspondait pas à cette seconde lecture. Si cette loi a bien pour objectif de restreindre la liberté de religion ou d’expression en matière religieuse, selon la Cour, cela ne signifie pas que cette forme de restriction est inconstitutionnelle dès lors que la Constitution de 1945 en vigueur s’accompagne d’une restriction légale au respect ou à la sauvegarde des valeurs religieuses en particulier, à côté de la moralité, de la sécurité et de l’ordre public. Toutefois, les débats et les tensions au sein de la société concernant l’application de cette loi perdurent sans relâche. Les défenseurs des droits de l’homme maintiennent que l’existence d’une telle loi anti-blasphème est contraire à l’esprit de la démocratie. En revanche, les défenseurs de la censure religieuse s’obstinent à affirmer que cette loi est nécessaire pour éviter les conflits religieux. À travers une analyse de son contenu juridique et de sa mise en application, nous considérons que la loi anti-blasphème de 1965 a visé en premier lieu à entraver le déploiement des courants de croyance spirituelle locale ou des courants mystiques javanais qui, dans une certaine mesure, sont considérés par les musulmans en particulier comme une menace pour les religions existantes et pour la désintégration du pays. Dans un second temps, nous verrons que l’existence de ladite loi est davantage destinée à restreindre le nombre des religions reconnues par l’État d’une part, et à réprimer les courants religieux « dissidents » ou « hétérodoxes » d’autre part. Si les actes jugés comme blasphématoires, parmi lesquels figure la diffusion d’interprétation religieuse « déviantes » de l’orthodoxie, sont des infractions sanctionnées, ce n’est pas la loi anti-blasphème de 1965 qui sert de référence, mais l’article 156a du Code pénal qui trouve son origine dans ladite loi. Ainsi, la loi anti-blasphème de 1965 est plutôt utilisée pour restreindre la liberté de religion et de conviction au sens large, alors que l’article 156a du Code pénal est chargé de limiter la liberté d’expression en matière religieuse. En Indonésie comme ailleurs, le renforcement de l’application de la loi anti-blasphème va de pair avec l’émergence des groupes religieux radicaux qui veulent voir triompher leur conception totalitaire d’une liberté d’expression bridée par le respect de la foi religieuse. Ces derniers utilisent de cette loi non seulement à des fins religieuses, mais également à des fins politiques, notamment celle déstabiliser un régime « laïque » ou bien d’étendre leur influence. L’objectif de cette thèse est non seulement d’analyser la nature de la loi anti-blasphème de 1965, mais aussi de proposer une perspective alternative pour aborder les conflits juridiques en Indonésie concernant les deux droits fondamentaux, à savoir le droit à la liberté de religion et le droit d’expression. La thèse vise alors la prévention des conflits juridiques en la matière et ainsi qu’à trouver un équilibre entre les libertés concernées. / This thesis proposes a legal, political and social reading of the application of the blasphemy law in the largest Muslim country in the world, Indonesia. Several controversies have emerged in recent years regarding the nature of the blasphemy law in the religious life of the Indonesian democratic society. For instance, disagreement remains with regards to the intent of this law, i.e., whether it really aims at preventing misuse of religion and/or acts of blasphemy, as explicitly mentioned in its title, or whether it intends to restrict the freedom of religion and religious expression. In April 2010, after the examination of the constitutionality of this law, the Indonesian Constitutional Court ruled out the second possibility. The court further argues that even if the law has an unintended effect of restricting the freedom of religion or religious expression, it is not against the constitution since the 1945 Constitution is accompanied by a legal restriction to respect or preserve religious values in particular, as well as morality, security and public order. However, the debates and tensions within society regarding the implementation of this law continue unabated. On the one hand, human rights defenders persist in saying that the existing anti-blasphemy law is contrary to the spirit of democracy. On the other, defenders of religious censorship persist in resisting that this law is necessary to avoid religious conflicts. Through an analysis of legal content and its implementation, I argue that the blasphemy law of 1965 initially aims to hinder the development of the local spiritual belief stream or Javanese mystical groups, which to some extent are considered by Muslims in particular as a threat to existing religions and a source of disintegration of the country. Further, I maintain that the existence of the above-mentioned law has the tendency to restrict the number of religions officially acknowledged by the State and to repress “dissident” or “heterodox” religious movements. If acts considered blasphemous, including the "deviant" religious interpretation of orthodoxy, are punishable offenses, it is not the anti-blasphemy law of 1965 that serves as a reference, but the article 156a of the Penal Code, which has its origin in that blasphemy law does. As a consequence, the blasphemy law of the 1965 is rather used to restrict the freedom of religion and belief in the broad sense, while article 156a of the Penal Code is applied to limit the freedom of religious expression. In Indonesia, as elsewhere, the strengthening of the application of the blasphemy law goes hand in hand with the emergence of radical religious groups intend to promote their totalitarian concept of freedom of expression restrained by respect for the religious faith. The latter make use of this law not only for religious reasons, but also for political reasons, including destabilizing a secular regime or extending their influence. The thesis does not only aim to analyze the nature of the blasphemy law of 1965, but also to propose an alternative perspective in understanding and solving the problem of the legal conflicts in Indonesia pertaining to the two fundamental rights, namely the right to freedom of religion and expression. The thesis also seeks to find a balance between two freedoms and to propose preventive measures that can be adopted in the aforementioned legal conflicts.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2019SACLS151 |
Date | 17 June 2019 |
Creators | Mursalin, Ayub |
Contributors | Université Paris-Saclay (ComUE), Basdevant-Gaudemet, Brigitte, Madinier, Rémy |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text, Image, StillImage |
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