La distinction de l’ami et de l’ennemi comme facteur déterminant du politique – théorie de Carl Schmitt – a été développée par son élève, traducteur et introducteur Julien Freund, qui précisa « l’essence du politique » par deux autres facteurs : les distinctions du commandant et du commandé, du public et du privé. Le moment de fondation ou de refondation du politique (le kairos grec) est la « situation exceptionnelle » dont la qualification est l’œuvre du souverain. Freund apporte à cette conception schmitienne deux éléments objectifs : la guerre civile et la guerre étrangère faisant de la crise politique la mise en danger de mort de la collectivité, soit la conjugaison du péril intérieur et de l’insécurité extérieure. Correspondent seules à cette définition la Grande Révolution et la Révolution nationale. Le retour en France de l’ennemi (non de la guerre) est la « reprise » (Kierkegaard : la chose du passé surgissant telle qu’en elle-même l’a changée la nouvelle situation) du conflit à la fois étranger et civil de 1954-1962, conflit qui amena la réforme de la loi fondamentale (référendum d’octobre 1958), la décision de la situation exceptionnelle (application de l’article 16, permettant l’incarnation du commandement pour la première fois depuis 1944) et l’installation du régime (référendum d’octobre 1962). L’assimilation de l’Epuration à la « Terreur jacobine » occulte la remise en vigueur des lois révolutionnaires par l’État français, des lois de la Restauration par le pouvoir gaullo-communiste. Tandis que les auteurs contre-révolutionnaires avaient décrit dans la Révolution une œuvre providentielle de régénération nationale, les théories politiques subversives d’illustres « révolutionnaires » et leur mise en pratique (par leurs eux-mêmes) contredisent l’action et le bilan du jacobinisme illibéral : patriotisme de Brissot, fédéralisme de Cloots, communisme de Babeuf. Une dialectique révolutionnaire-conservatrice (réaliste) rencontre donc en miroir une dialectique réactionnaire-progressiste, impolitique en ce sens que son but est le dépassement, l’anéantissement ou l’implosion d’une collectivité politique donnée, la Nation. Robespierre, sous cet angle, incarna donc la tendance conservatrice de la Révolution. La victoire inaugurale de l’oligarchie par un coup de force parlementaire (Thermidor) passe par la délégation du pouvoir souverain, de la députation vers l’armée (stratocratie). Au bout d’une génération, la monarchie de Juillet consacre l’alliance structurelle de l’Ordre et du Mouvement. C’est le coup d’État de 1851 qui ressuscite le suffrage universel ; puis le second Empire reviendra sur l’héritage libéral de 1789 au temporel (abolition des corporations, interdiction des coalitions) comme au spirituel (constitution civile du clergé) en dotant l’Église et en autorisant les syndicats (1864). S’institutionnalise après la guerre étrangère (franco-prussienne) puis civile (Commune) un « nouvel Ancien régime » (Pierre Leroux) dont la gauche constituera l’aile active ; la droite, l’aile passive. En 1939, le gouvernement décidant de la guerre contre l’avis du Parlement, ce qui restait de République est renversé de fait ; le congrès réuni à Vichy, par son vote du 10 juillet 1940, reconquiert paradoxalement la souveraineté en la déléguant. L’histoire du régime de Vichy doit donc être revue à cette lumière, comme celle du gaullisme (dissidence de la Tradition) et de la résistance communiste (dissidence de la Révolution) ; ces deux dernières forces, réunies à partir de 1941, reconstitueront le mouvement réactionnaire-progressiste. Les mémoires de la Révolution française et de la Révolution nationale sont battues en brèche sous les coups d’un libéralisme toujours plus hégémonique, altérant le Peuple, la Constitution, le politique lui-même. Le régime libéral renvoie dos à dos jacobinisme et maurrassisme dans le même enfer mémoriel. / The distinction of the friend and the enemy as the determining factor of politics – a theory of Carl Schmidt – has been developped by his pupil, translator and introducer Julien Freund who indicated besides two other factors of the "essence of politics" : the distinction of the commanding one and the commanded one and that of the public sphere and the private sphere. The act of fundation or refundation of politics (the greek kairos) is the ‘exceptional situation’ and its qualification is the sovereign’s task. Freund adds to this Schmittian approach two objective elements : civil war and foreign war changing the political crisis into the danger of death for the collectivity, that is the combination of the internal threat with that from abroad. The only events in the History of France that do correspond to this definition are the Great Revolution and the National Revolution. The enemy coming back in France (and not war coming back) is the ‘resumption’ (Kierkegaard : the thing from the past appearing as the situation changed it in itself) of the internal and external conflict of 1954-1962, a conflict that led to the reform of the fundamental law (referundum of October 1958), the decision to decree the exceptional situation (application of section 16 of the Constitution enabling the incarnation of the command for the first time since 1944) and the installation of the regime (referendum of October 1962). The assimilation of the épuration légale (French : “legal purge”) to the "Jacobin Terror" hides the reinstatement of revolutionary laws by the French State and that of the laws of the Bourbon Restoration by the Gaullo-communist power. While counterrevolutionary authors had described in the Revolution a providential work of national regeneration, the subversive political theories of illustrious "Revolutionaries" and their application (by themselves) contradict the action and the results of illiberal Jacobinism: Brissot’s patriotism, Cloots’ federalism, Babeuf’s communism. A revolutionary-conservative (realist) dialectic thus meets in mirror a reactionary-progressive dialectic which can only be impolitic in the sense that its goal is the overcoming, the annihilation or the implosion of a given political community, the Nation. Robespierre, from this angle, thus embodied the conservative tendency of the Revolution. The inaugural victory of the oligarchy by a parliamentary coup (Thermidor) involves the delegation of the sovereign power from deputyship to the army (stratocracy). At the end of a generation, the July monarchy consecrates the structural alliance of the Order and the Movement. It was the coup d'etat of 1851 that revived universal suffrage; the Second Empire was then to reconsider the liberal heritage of 1789 in the temporal field (abolition of fund, prohibition of coalitions) as well as in the spiritual field (civil constitution of the clergy) by endowing the Church and authorizing labor unions (1864). After the foreign (Franco-Prussian) and then civil (Commune) wars, a "new Ancien Regime" (Pierre Leroux) was institutionalised, with the left as active wing and the right as the passive wing. In 1939, as the government declared war against the opinion of Parliament, what remained of the Republic was overthrown de facto; the congress at Vichy, by its vote of July 10, 1940, paradoxically reconquered sovereignty by delegating it. The history of the Vichy regime must therefore be reviewed in this light, like that of Gaullism (dissent of Tradition) and communist resistance (dissent of the Revolution); these last two forces, united from 1941, would reconstitute the reactionary-progressive movement. The memories of the French Revolution and the National Revolution are undermined by the blows of an ever more hegemonic liberalism altering the People, the Constitution, politics itself. The liberal regime refers back to back Jacobinism and Maurrassism in the same memorial hell.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2019NORMR049 |
Date | 13 June 2019 |
Creators | Le Joncour, Tristan |
Contributors | Normandie, Biard, Michel |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | English |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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