Cette thèse part d'un postulat simple : « l'amélioration du niveau de vie s'accompagne de l'amélioration de l'état de santé générale d'une population » et teste sa validité dans le contexte de l'Afrique au Sud du Sahara (ASS). Si cette hypothèse se vérifie en général dans le contexte de l'ASS en ce qui concerne le niveau (plus le pays est riche, plus sa population est en bonne santé), il l'est moins en ce qui concerne les dynamiques, du moins à court et moyen terme. Notamment, les pays qui connaissent une amélioration tendancielle de bien-être matériel ne connaissent pas forcément une amélioration de la santé de leurs populations. Ceci constitue un paradoxe qui viendrait invalider notre postulat. En écartant tout effet de retard ou de rattrapage qui pourrait l'expliquer car nous travaillons sur une période de 15 ans réparties en 3 sous-périodes (1990-1995, 1995-2000 et 2000-2005), nous expliquons ce paradoxe, toutes choses égales par ailleurs, par deux canaux principaux qui peuvent interagir : - la performance du système de santé et - l'inégalité en santé. Si le premier est plus évident mais aussi plus difficile à prouver empiriquement du fait du manque de données sur des séries longues, ou du fait que ces données sont trop agrégées et éparses, le second canal est testable avec des bases de données adéquates qui, elles, sont disponibles au niveau microéconomique (ménages). Les bases de données que nous avons privilégiées sont les Enquêtes Démographiques et de Santé (EDS) du fait de leur comparabilité dans l'espace et le temps (mêmes noms de variables standardisées, même méthodologie d'enquête, mêmes modules, etc.). Ces atouts sont d'autant plus importants que les comparaisons de pauvreté et de bien-être basées sur les enquêtes de revenus ou de consommation butent sur de sérieux problèmes à savoir la comparabilité de ces enquêtes (méthodologies différentes, périodes de rappel différents, prix souvent non collectés de la même manière, etc.). Pour montrer ces effets de l'inégalité de santé sur les niveaux et les tendances de la santé des populations et la pauvreté et le bien-être, nous avons axé notre recherche autour de 3 axes principaux : 1- Comment mesurer le niveau de richesse et donc le bien-être des ménages en l'absence d'information sur la consommation et le revenu ? Les chapitres 1 et 2 de notre thèse se penchent sur cette question. Nous avons privilégié, à l'instar de plus en plus d'économistes, l'utilisation des biens des ménages et les méthodes de l'analyse factorielle et d'analyse en composantes principales pour construire un indice de richesse. Cet indice de richesse est pris comme un substitut du revenu ou de la consommation et sert donc de proxy pour la mesure du bien-être. Bien qu'il comporte quelques lacunes (notamment le fait qu'il ne concerne que les biens matériels et durables du ménage alors que la consommation ou le revenu sont des concepts plus globaux de bien-être, il ne prend pas en compte les préférences des ménages, il ne comporte aucune notion de valeur car le prix n'est pas pris en compte, de telle façon qu'une petite télévision en noir blanc vieille de vingt ans est mise au même niveau qu'un grand écran plasma flambant neuf, etc.), il n'en demeure pas moins que d'un côté, avec les EDS, il n'y a pas moyen de faire autrement en l'état actuel des choses, mais aussi et surtout parce que ces données permettent d'éviter les problèmes évoqués plus haut, notamment celui de la comparabilité des données pour faire de la comparaison spatiale et inter-temporelle des données en matière de pauvreté. Dans le premier chapitre, en nous basant sur cet indice et une ligne de pauvreté définie a priori à 60% pour la première observation dans notre échantillon (Benin, 1996), et en utilisant les données EDS et une analyse en composantes principales (ACP), nous avons pu mesurer la tendance de la pauvreté dite « matérielle » (en opposition à la pauvreté monétaire, basée sur la métrique monétaire). Cette méthode qui est privilégiée par des auteurs comme Sahn et Stifel est d'autant plus intéressante qu'elle donne non seulement les tendances de la pauvreté dans chaque pays, mais elle permet aussi une classification naturelle de ces pays par ordre de grandeur de pauvreté. Cependant, dans la mesure où les biens des ménages et la dépenses de consommation sont disponibles, l'analyste devrait estimer les deux types de pauvreté (matérielle via l'indice de richesse et monétaire via le revenu ou la consommation) car les études montrent souvent que les biens matériels et la consommation ou le revenu ne sont pas très bien corrélés, et donc le choix de l'indicateur de bien-être est crucial en termes de politiques économique et de santé. En effet, si l'indicateur sous-estime le vrai niveau de pauvreté ou d'inégalité (ou les surestime), les dépenses publiques qui en résultent peuvent être plus ou moins surévaluées, de même que les réponses apportées se révéler inadéquates. Donc dans la mesure du possible, il conviendrait de se pencher sur la question du choix de l'indicateur. Les résultats de notre méthodologie montrent que l'ASS reste la région la plus pauvre du monde en termes de possession d'actifs. La région orientale de l'ASS est la plus pauvre au monde (75%) suivie de l'Asie du Sud (64%), le Sud de l'ASS (61%), l'Afrique Centrale (57%), l'Afrique de l'Ouest (55%), l'Asie de l'Ouest (40%), l'Asie du Sud-Est (19%), l'Amérique Latine (18%), les Caraïbes (17%), l'Afrique du Nord (6%), l'Asie Centrale (2%) et l'Europe de l'Est (1%). Notre analyse nous montre que la pauvreté baisse dans l'ensemble des pays Africains au Sud du Sahara (sauf la Zambie), à l'instar des autres pays du monde dans l'échantillon. En effet, en considérant les trends, nous voyons que la moyenne de l'ASS passe de 63% de pauvreté matérielle entre 1990-1995 à 62% en 1995-2000 et 58% entre 2000 et 2005. La baisse est modeste et lente mais non négligeable et surtout, elle est en accélération sur les 2 dernières périodes. Mais elle demeure toutefois beaucoup plus marquée dans le reste du monde. Concomitamment à la baisse de la pauvreté, nous observons aussi une baisse de l'inégalité. Nous terminons ce chapitre par une réflexion sur l'effet de la transition démographique sur la croissance économique et la pauvreté en ASS et dans les autres pays en développement. En effet, la chute de la fertilité et de la mortalité couplées à un exode rural font que le nombre de famille se démultiplie du fait de la transition vers des tailles plus réduites. Ceci impose plus de contraintes (et donc peut avoir un impact négatif) sur la croissance économique et risque de sous-estimer le niveau réel de pauvreté. Il convient, une fois que la pauvreté matérielle et ses tendances ont été bien calculées avec les biens durables (et la transition économique prise si possible en compte), de tester la validité de cette méthode en la confrontant avec les résultats issus de l'analyse monétaire de la pauvreté. Les EDS ne comportant pas données d'information sur la consommation, nous nous sommes tournés vers une autre source de données. Dans le chapitre 2, nous avons testé la robustesse de notre méthode dans le cas particulier du Ghana, en utilisant les enquêtes du Questionnaire Unifié sur les Indicateurs de Base de Bienêtre (QUIBB), et en confrontant les résultats issus de la méthode ACP avec ceux issus de la méthode traditionnelle monétaire et trouvons grosso modo les mêmes résultats (10% de baisse avec la méthode monétaire traditionnelle et 7% avec notre méthode sur la période 1997- 2003). Ceci valide donc le fait que la méthode que nous proposons (à savoir, mesurer le bienêtre et la pauvreté par les biens durables des ménages) est tout aussi valide que la méthode plus traditionnelle utilisant des métriques monétaires. Une analyse fine dans le cas du Ghana montre que la baisse de la pauvreté est due à une croissance économique particulièrement pro-pauvre mais aussi à des dynamiques intra et intersectorielles (réallocation des gens des secteurs moins productifs vers ceux plus productifs) et aussi une forte migration des campagnes vers les villes. Nos simulations montrent que les migrants ruraux ont aussi bénéficié de cette croissance dans les villes où ils trouvent plus d'opportunités. 2- Une fois établie que la pauvreté est en recul en ASS, nous avons voulu mesurer la tendance de la santé de sa population (approximée par les taux de mortalité infantile et infanto-juvénile). Nous discutons dans le chapitre 3 de trois méthodes pour estimer et comparer les taux de mortalité des enfants : - la méthode des cohortes fictives (sur laquelle l'équipe de l'EDS se base pour estimer les taux « officiels » de mortalité), - la méthode non paramétrique (Kaplan et Meier) que privilégient un certain nombre d'économistes et - la méthode paramétrique (Weibull) de plus en plus utilisée pour sa souplesse et sa robustesse. Les deux premières méthodes ont tendance à sous-estimer le vrai niveau de mortalité et de ce fait nous avons privilégié le Weibull. De plus, avec cette dernière, nous pouvons évaluer l'effet de chaque variable spécifique (comme l'éducation ou l'accès à l'eau) sur le niveau de mortalité. Une étude des déterminants de cette mortalité montre qu'outre l'effet attendu de l'éducation des mères, l'accès aux infrastructures de santé (soins médicaux et surtout prénataux durant et lors de l'accouchement) et sanitaires (accès aux toilettes et dans une moindre mesure à l'eau potable) en sont les principaux facteurs. L'effet de richesse joue peu en ASS (mais pas dans le reste du monde), une fois que nous contrôlons pour le lieu de résidence (urbain) et le niveau d'éducation. Ce résultat nous surprend quelque peu, même s'il a été trouvé dans d'autres études. Ensuite, nous avons calculé la mortalité prédite des enfants. De toutes les régions du monde, l'ASS a le niveau de mortalité le plus élevé (par exemple en moyenne 107 décès pour la mortalité infantile contre 51 pour le reste du monde, soit plus du double). Ce résultat était toutefois attendu. Par contre nous avons été quelque peu surpris en ce qui concerne les tendances. Le constat est que sur les 15 ans, la mortalité des enfants a très peu ou pas du tout baissé dans le sous-continent africain (et est même en augmentation dans certains pays, alors qu'ils enregistrent une baisse de la pauvreté matérielle sur la même période). En moyenne, considérant les enfants de moins d'un an, les taux sont passés de 95%o à 89.5%o pour remonter à 91.5%o pour les 3 périodes 1990-1195, 1995-2000 et 2000-2005. Ainsi sur 15 ans, la mortalité infantile n'a baissé que de 3 points et demie en moyenne et surtout, elle remonte sur la période 1995-2005. Un examen des taux de malnutrition des enfants confirme ces tendances. On pourrait dire que ces résultats sont plutôt encourageants et normaux si on fait une analyse d'ensemble du sous-continent. En effet pour l'ensemble de l'ASS, cette légère baisse semble en conformité avec la baisse de 5 points des taux de pauvreté matérielle (63% en 1990-1995 à 58% en 2000-2005). Mais l'ordre de grandeur est faible en termes de magnitude, et surtout si compare au reste du monde où on observe une baisse de la mortalité beaucoup plus conséquente. Mais c'est l'arbre qui cache la forêt. Une analyse plus fine par pays montre en effet une situation plus contrastée. Notre postulat de départ nous dit que sur une période suffisamment longue, une amélioration de bien-être s'accompagne d'une amélioration de la santé. Or on constate que certains pays qui connaissent une baisse de la pauvreté matérielle connaissent également une recrudescence de la mortalité des enfants. Pour une même année, ce résultat peut être normal, traduisant un simple décalage pour que l'amélioration de bien-être se traduise par un meilleur état de santé de la population. Mais à moyen terme (période de 5 ans), nous observons la même absence d'effet. Nous sommes donc face à un paradoxe qu'il nous faut comprendre et tenter d'expliquer. Une des pistes pour comprendre ces résultats est d'analyser la performance des systèmes de santé en Afrique. Les facteurs qui expliquent notamment cette performance sont : des facteurs « classiques » comme la performance économique des périodes passées, les montants et l'allocation des dépenses de santé, l'organisation des systèmes de santé, la baisse de la fourniture de services de soins de santé (vaccination, assistance à la naissance, soins prénataux, soins curatifs, ...), la malnutrition, le SIDA, les guerres, la fuite des cerveaux notamment du personnel médical, etc., à côté de facteurs plus « subtils » ou ténus car moins saisissables comme les crises financières des années 1990s qui ont plombé certaines des économies de la sous-région, la qualité des soins, la corruption et les dessous-de-table, l'instabilité de la croissance économique (même si elle est positive), etc. La seconde voie que nous examinons pour expliquer le manque de résultat en santé dans certains pays concerne l'inégalité en santé et ceci fait l'objet de notre dernier chapitre. 3- Expliquer l'absence de lien entre santé et pauvreté dans certains pays de l'ASS : l'effet de l'inégalité en santé. Dans le chapitre 4, nous émettons l'hypothèse que le fort niveau d'inégalité dans l'accès aux services de santé et d'assainissement couplé à la faible performance du système de santé (avec en toile de fond l'impact du Sida) peuvent servir à expliquer en partie notre paradoxe. Nous considérons deux types de services : - soins de santé (vaccination, assistance médicale à la naissance et traitement médical de la diarrhée) et - hygiène et assainissement (accès à l'eau potable et à l'électricité, accès aux toilettes propres). Le choix de ces services est motivé par le fait que le modèle Weibull dans le chapitre 3 nous montre que toutes choses égales par ailleurs, ils sont cruciaux pour la survie des enfants, en particulier en Afrique. Les niveaux d'accès montrent une baisse tendancielle des taux pour les services de santé (surtout pour la vaccination) et une légère augmentation de l'accès à l'électricité et dans une moindre mesure à l'eau potable. L'accès aux toilettes propres demeure un luxe réservé à une petite fraction de la population. Pour les calculs d'inégalité, nous considérons deux indicateurs: - l'indice de concentration (pour mesurer le niveau moyen d'inégalité) - et l'élasticité-revenu du Gini (inégalité « à la marge » quand le revenu d'un individu ou d'un groupe augmente d'un point de pourcentage). Globalement, les pays d'ASS ont un niveau d'inégalité beaucoup plus élevé comme on s'y attendait par rapport au reste du monde. Pour les tendances, nous remarquons que l'inégalité marginale s'accroît pour les services d'assainissement (eau, toilette et électricité), mais qu'elle diminue pour les soins de santé. En ce qui concerne l'inégalité moyenne, elle indique une disproportion dans l'accès des classes riches par rapport à celles pauvres. Même si les groupes pauvres « rattrapent » ceux riches dans la provision de certains services, cela se fait de façon trop lente. De fait, le haut niveau d'inégalité couplé à une recrudescence de cette inégalité à la marge pour certains services tendent à annihiler les effets positifs de la croissance économique et de la réduction de la pauvreté et maintiendraient la mortalité, la malnutrition et la morbidité des enfants en Afrique à des niveaux relativement élevés et plus particulièrement concentrées dans les groupes les plus pauvres. Tout ceci appelle à des politiques économiques, sociales et sanitaires pour renverser fortement les tendances de la mortalité des enfants. En particulier, nos résultats suggèrent qu'il faudrait que les pays Africains puissent entre autres : - accroître les services de soins de santé, notamment les soins préventifs comme les services essentiels à la santé de l'enfant dès sa naissance (vaccination, services prénataux et assistance à la naissance), les soins curatifs et les campagnes de sensibilisation. - renverser la tendance baissière dans la provision des services sanitaires (eau, électricité, environnement et assainissement, prise en charge des déchets, etc.). - améliorer la nutrition et l'environnement immédiat de ces enfants et les comportements des ménages (espacement des naissances, éducation des mères en matière de santé, etc.). - plus généralement comme le montrent d'autres études, il faudrait aussi améliorer la performance globale de leur système de santé en empêchant la fuite des cerveaux, en allouant un budget suffisant à la santé, en organisant mieux les différents organes, de même que les ciblages des politiques de santé, en empêchant la corruption, en améliorant la qualité (accueil, propreté des centres de soins, etc.), en équipant les centres en médicaments, vaccins, moyens de transport et de communication, etc. Intégrer si possible les systèmes plus traditionnels de soins (comme les matrones et les guérisseurs) et le secteur privé, de même qu'une meilleure organisation du système pharmaceutique. Ces politiques constituent un tout et doivent être mise en oeuvre rapidement, ou renforcées le cas échéant. A cette seule condition les pays Africains pourraient espérer rattraper leur retard dans les Objectifs du Millénaire.
Identifer | oai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00356118 |
Date | 16 January 2009 |
Creators | Diallo, Amadou Bassirou |
Publisher | Université d'Auvergne - Clermont-Ferrand I |
Source Sets | CCSD theses-EN-ligne, France |
Language | English |
Detected Language | French |
Type | PhD thesis |
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