Le divin peut-il être à la fois mort et vivant ? Résonnant pour nous à partir de Nietzsche et de Heidegger, cette question traverse l’œuvre, d’abord poétique mais aussi pleinement philosophique, de Friedrich Hölderlin (1770-1843). Dès la querelle du panthéisme qui anime le débat intellectuel germanique au cours des années 1780, le dieu de la métaphysique identifié avec le dieu chrétien semble perdre son effectivité. Mais le divin n’est pas seulement pour Hölderlin un contenu dogmatique ou conceptuel : il désigne avant tout le lien qui s’établit avec la nature lorsque l’homme réfléchit le sentiment que celle-ci produit en lui-même. Dès lors, même s’il semble exposé à la mort en tant que Créateur transcendant du monde, Dieu ne cesse pas de pouvoir être approché comme la source vive de toute apparition. Il ne se manifeste toutefois comme tel qu’à condition de s’effacer comme antériorité et de donner lieu aux choses singulières, en une rupture de toute union prétendument originelle. Or, dire que le principe doit nier sa propre primauté, c’est dire que l’un tend à se séparer de soi pour accéder à sa propre unité, et qu’il doit nécessairement produire une image de lui-même. En défendant cette thèse héritière d’Héraclite et du néoplatonisme, Hölderlin s’oppose aux philosophes idéalistes subjectifs, qui identifient alors le principe de toute réalité avec le Moi, et il s’expose du même coup à l’objection d’être incohérent et exalté. Mais l’effet produit par ses poèmes, par son roman et par sa tragédie fait s’évanouir tout soupçon de Schwärmerei. La poésie hölderlinienne est réellement image de Dieu. L’étude de la méditation et de la mise en œuvre progressive d’une telle effectivité exige de distinguer trois périodes dans le développement de sa pensée. Entre 1785 et 1795, Hölderlin s’efforce de parvenir, après avoir lu Kant, Schiller, Fichte et Schelling, à une compréhension à la fois non subjective et non dogmatique de l’être. Entre 1795 et 1802, en nommant le principe à la fois « beauté » à partir de Platon et « un se différenciant en lui-même » à partir d’Héraclite, il conceptualise les moyens de traduire poétiquement la profusion de la vie divine. Entre 1802 et 1843, comme si la mort de Susette Gontard, l’isolement et la folie affrontés sur le plan biographique rejoignaient, sur les plans théorique et poétique, la méditation de Pindare, de Sophocle et de la figure du Christ, Hölderlin montre la dépendance de l’infini à l’égard de la finitude. Ainsi son œuvre entière donne-t-elle à voir, en sa tension interne entre le poème et la philosophie, la vie divine harmoniquement opposée. / Can the divinity be at once dead and alive? Resonating for us since the time of Nietzsche and Heidegger, this question runs all through the works of Hölderlin, in the first place poetic, but also, in the fullest sense, philosophic. From the time of the controversy over pantheism among German intellectuals in the 1780s the identification of the god of metaphysics with the Christian god seems to have lost its effectiveness. But the divinity for Hölderlin was not only a written dogma or concept ; it denotes above all the link established with nature when man reflects the feelings it arouses in him. From then on, god, even if he seems exposed to death as the transcendent creator of the world, continues to be approachable as the deepest source of all apparitions. However, god only manifests himself in this way if he effaces himself as anteriority, and breaking all union supposedly original, makes way for singular things. Now, to say that the principle denies its own primacy is to say that the one tends to separate from itself in order to reach its own unity, and that it must necessarily produce an image of itself. In defending this proposition, Hölderlin set himself in opposition to the subjective idealist philosophers, who identified the principle of all reality with the "I", and he exposed himself at the same time to the objection that he was incoherent and fanatical. But the effect produced by his poems, novel and tragedy dispels all suspicion of Schwärmerei. Hölderlin’s poetry really is the image of god. A study of his meditation and the progressive implementation of such a level of effectiveness makes it necessary to distinguish three periods in the evolution of his thought. Between 1785 and 1795, after having read Kant, Schiller, Fichte and Schelling, Hölderlin tried to achieve an understanding both non-subjective and non-dogmatic of Being. Between 1795 and 1802 he conceptualised the means of conveying through poetry the profusion of divine life, naming the principle both "beauty", after Plato, and "one differentiating in itself", after Heraclitus. Between 1802 and 1843, as if the death of Susette Gontard, isolation and madness confronted at a biographical level had conjoined, at a theoretic and poetic level, the meditation on Pindar, Sophocles and the face of Christ, Hölderlin showed the dependence of the infinite with regard to the finite. Thus, the whole body of his work, in its internal tension between poem and philosophy, reveals divine life in harmonic opposition.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2013CLF20002 |
Date | 22 February 2013 |
Creators | Layet, Clément |
Contributors | Clermont-Ferrand 2, Cattin, Emmanuel |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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