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Parler d’épidémies : la normativité discursive de l’altérisation dans les récits de la tuberculose, d’H1N1, d’Ebola et du Zika

Les éclosions de maladies étant souvent perçues comme le produit de choix et d’erreurs des humains, la construction de l’altérité est une tendance récurrente lors d’épidémies. Cette thèse doctorale a analysé deux types de figures d’altérité qui émergent: les héros et les coupables. Des recherches antérieures montrent qu’un individu ou un groupe n’est pas uniquement héroïsé ou accusé pour ses actions lors d’une épidémie; il est aussi situé dans un récit plus large qui rappelle des actes (répréhensibles ou admirés) qu’il aurait antérieurement commis. Par conséquent, les figures du coupable et du héros deviennent des vecteurs culturels dans lesquels sont canalisés des préjugés, craintes et espoirs qui peuvent ne pas être directement ou uniquement liés à la situation présente. Cette production d’Autres permet alors de réaffirmer et de reproduire des normes, mœurs, peurs et biais politiques qui caractérisent un contexte social.
Inspirée par le concept de « jeux de vérité » de Foucault, nous postulons que les discours par lesquels on construit des Autres sont socialement ancrés, c’est-à-dire modelés par les valeurs et normes contemporaines. Ainsi, les deux questions principales posées sont: 1) Quelles normes sociales servent de point d’appui aux discours d’altérisation ? et 2) Quelles relations de pouvoir sont renforcées par ces discours? Pour y répondre, nous avons effectué une quadruple étude de cas en analysant des discours pancanadiens produits lors de quatre épidémies : tuberculose, H1N1, Ebola et Zika. Nous avons privilégié une approche d’ethnographie discursive, en analysant les discours produits dans de diverses sphères sociales: des médias traditionnels, des forums sur Internet, des films et des communiqués d’autorités sanitaires.
Dans les quatre études de cas, les principales figures infériorisées sont celles qui se rattachent aux communautés du Sud global touchées par la maladie. Cependant, au-delà de la recension des figures d’altérité, nous avons étudié les modalités discursives qui les construisent, avec un focus sur les procédés d’altérisation qui sont socialement contestés dans les discours analysés et ceux qui y sont plus acceptés et normatifs. Nos résultats montrent que l’altérisation s’opère par six axes qui servent d’arguments pour justifier l’altérité d’autrui: l’appartenance nationale, les qualités essentielles, l’oppression, l’aptitude, la docilité et la raison. Notre thèse montre plus précisément que l’altérisation d’un Autre racisé est subtile, c’est-à-dire qu’elle ne s’exprime pas par des propos explicitement racistes, ces-derniers étant critiqués et censurés dans l’espace public.
Notre thèse illustre deux tendances d’altérisation qui sont plus acceptables. Premièrement, nous montrons que la discrimination s’articule aussi par l’héroïsation. On remarque notamment une surhéroïsation de figures occidentales. On constate aussi une héroïsation d’un citoyen du Sud global qui délaisse ses « pratiques culturelles » pour s’intégrer dans une épistémologie biomédicale occidentale, un tel discours discréditant simultanément les pratiques et savoirs traditionnels. Deuxièmement, les résultats montrent que l’altérisation de ceux qui ne font pas partie de la norme raciale, ethnique et culturelle pancanadienne s’opère par une description de leurs « mauvais » comportements, leurs « mauvaises » croyances, leur « ignorance », leur « irrationalité » et leur « peur ». Ainsi, la figure du déraisonnable se superpose à celle de l’étranger et de l’Autre racisé. Cette forme d’altérisation justifiée par des propos qui affirment la mauvaise raison d’autrui se caractérise par trois arguments qui forment ensemble la normativité de l’altérité : l’ignorance, la désinformation et la peur. Cette altérisation est symptomatique d’un contexte social de crainte de la post-vérité, où circulent déjà des discours qui trahissent la peur d’une diffusion généralisée de l’ignorance, et où apparait une figure particulière, que nous nommons l’érudit sine jure. Somme toute, notre thèse met en lumière des enjeux cyclique qui ré-émergent lors d’éclosions de maladie et elle analyse les nouvelles formes que prennent les figures d’exclusion sociale, qui sont plus subtiles parce qu’adaptées aux discours, normes et craintes contemporaines.

Identiferoai:union.ndltd.org:uottawa.ca/oai:ruor.uottawa.ca:10393/42996
Date07 December 2021
CreatorsRoy, Mélissa
ContributorsMoreau, Nicolas, Atlani-Duault, Laetitia
PublisherUniversité d'Ottawa / University of Ottawa
Source SetsUniversité d’Ottawa
LanguageFrench
Detected LanguageFrench
TypeThesis
Formatapplication/pdf

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