L'ADN est reconnu depuis longtemps comme une des molécules fondamentales des organismes vivants. Support de l'information génétique, la molécule d'ADN possède aussi des propriétés qui en font un matériel de choix pour construire à l'échelle nanométrique. Deux simples brins d'ADN complémentaires et antiparallèles (c.à.d. de directivité opposée) peuvent, par exemple, s'hybrider s'ils se rencontrent en solution, c'est à dire s'associer l'un à l'autre. La cohésion de la molécule " double-brin " ainsi formée est maintenue par une série de liaisons faibles entre les bases complémentaires de chaque brin. Cette réaction d'hybridation de l'ADN est réversible : un double-brin stable à basse température retrouvera l'état simple-brin à plus haute température. Notre capacité à lire (séquencer) et écrire (synthétiser) l'ADN est à l'origine de l'émergence du domaine des nanotechnologies ADN. Cette capacité à prévoir quantitativement les interactions (cinétiques et thermodynamiques) entre deux partenaires moléculaires quels qu'ils soient est propre à l'ADN : on peut facilement synthétiser deux molécules de même taille et nature, de manière à ce qu'elles interagissent - ou non - selon la séquence qui leur est propre. Il existe aussi toute une batterie d'enzymes capables de catalyser différentes réactions au sein d'un brin d'ADN ou entre deux brins d'ADN, par exemple : une polymérase catalyse la synthèse d'un brin d'ADN à partir de son complémentaire ; une nickase coupe un seul des deux brins d'une molécule double-brin à un emplacement spécifique ; une exonucléase hydrolyse un brin d'ADN en fragments plus courts, tandis qu'une ligase lie deux brins courts en un brin unique, plus long. En utilisant ces simples réactions (hybridation, polymérisation, coupe spécifique et hydrolyse), il est possible de construire des réactions qui associent des brins d'ADN " input " à des brins d'ADN " output " selon le modèle " input -> input + output ". Si l'output est de la même nature que l'input, il peut servir d'input à une autre réaction. On définit alors qu'à chaque réaction est associé un " module " : par exemple, le module AtoB encode la réaction A -> A + B. Lorsque A s'hybride à AtoB, il est allongé par une polymérase suivant la séquence du module AtoB, formant ainsi un brin constitué de la séquence de A suivie de la séquence de B. Ce produit est alors coupé entre A et B par une nickase : A et B peuvent alors se détacher du module AtoB. Montagne et al. (MSB, 2011) ont démontré qu'en associant trois modules encodant les trois types de réaction " activation " (A -> A+ B), " autocatalyse " (A -> 2A) et " inhibition " (B -> inhibiteur de A), complétées d'une exonucléase hydrolysant inputs et outputs (mais pas les modules), il est possible d'obtenir un oscillateur qui fonctionne dans un tube à essai, mais qui est entièrement constitué de matériel biologique : l'oligator. Dans cette thèse, nous commençons par vérifier que les trois modules de l'oligator (activation, autocatalyse et inhibition) peuvent être réarrangés de manière arbitraire, afin de créer différents circuits de réactions dynamiques. Nous appellerons cette collection de réactions catalysées par trois enzymes (polymérase, nickase et exonucléase) la boite à outils ADN. La construction et le contrôle de circuits complexes nécessitent de pouvoir observer les modules désirés de manière spécifique et en temps réel. A cette fin, nous mettons au point une nouvelle technique de fluorescence utilisant une interaction - souvent négligée - entre les bases d'ADN et un fluorophore qui y est attaché : celui-ci émet une fluorescence dont l'intensité dépend de l'état (simple ou double brin) et de la séquence à proximité du fluorophore. Cette méthode, nommée N-quenching (pour nucleobase-quenching), a fait l'objet d'une publication dans Nucleic Acids Research. A l'origine, les oscillations de l'oligator étaient observées au moyen d'un agent intercalant de l'ADN dont la fluorescence dépend de la quantité totale d'ADN présente en solution. En utilisant N-quenching, il est possible d'observer de manière spécifique les différents composants de l'oligator, et d'en apprécier les oscillations déphasées : il suffit d'attacher un fluorophore à un module afin d'observer la présence ou l'absence de l'input associé. Ces outils en main, nous abordons l'assemblage de circuits de réactions plus complexes, en nous intéressant plus particulièrement à la bistabilité. Le phénomène de bistabilité est extrêmement courant au sein des systèmes de régulation de l'expression génétique, ainsi que dans divers systèmes chimiques. Une fois déterminées les caractéristiques requises pour obtenir un système bistable avec notre boîte à outils, nous construisons un circuit dont les deux états de stabilité correspondent à deux modules autocatalytiques qui s'inhibent mutuellement par le biais de deux modules d'inhibition. N-quenching s'avère être un outil indispensable pour discerner sans ambiguïté les deux états stables du bistable. Nous avons ensuite montré qu'il est possible de donner de nouvelles fonctions au bistable en le connec- tant à d'autres modules ou sous-circuits : c'est ainsi que nous avons assemblé un circuit " mémoire " pouvant être mis à jour au moyen de deux " inputs " externes, puis une mémoire flip-flop capable de switcher entre ses deux états stables au moyen d'un unique input externe. Les résultats de ce travail ont été publiés dans Proceedings of the National Academy of Sciences. Les connections entre différents modules de nos circuits de réactions sont basées sur un système d'adressage chimique: c'est la reconnaissance entre deux brins d'ADN qui structure le réseau et nous travaillons donc dans l'espace des séquences. Il est aussi envisageable d'utiliser l'espace réel, c'est à dire de passer d'un système en zéro dimension à un système - par exemple - en deux dimensions ou chaque molécule possède désormais des coordonnées spatiales (en plus d'une adresse chimique). On s'intéresse alors à l'évolution spatiale de nos réactions. Nous avons mis au point un dispositif fluidique permettant d'enfermer hermétiquement nos circuits de réactions sous la forme d'une fine couche de liquide de la forme désirée. Le système est alors observé au moyen d'un microscope pour résoudre les composantes spatiales: nous y installons un oscillateur biochimique et montrons qu'en contrôlant réaction et diffusion, il est possible d'observer l'émergence de motifs spatio-temporels complexes. De par la nature du matériel les constituant (ADN et enzymes), nos systèmes se situent à l'interface directe entre le vivant et le non-vivant. Notre boîte à outils s'inspire (quoique de manière très sché- matique) de la régulation de l'expression génétique : elle forme par conséquent une sorte de modèle expérimental permettant l'étude des relations entre la structure du circuit d'une part et sa fonction, d'autre part, telles qu'elles pourraient être au sein du vivant. Ces circuits pourraient aussi être utilisés pour diriger des nanorobots ADN in situ, supprimant ainsi le besoin de stimulus externe commandant leurs mouvements. D'autres applications potentielles incluent le transfert de ces systèmes in vivo, à des fins thérapeutiques par exemple (médicament intelligent). Cela reste cependant un défi, dont la première étape sera d'améliorer la robustesse de ces circuits afin qu'ils puissent fonctionner dans des milieux plus hostiles qu'un tube à essai.
Identifer | oai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00856610 |
Date | 28 November 2012 |
Creators | Padirac, Adrien |
Publisher | Université Claude Bernard - Lyon I |
Source Sets | CCSD theses-EN-ligne, France |
Language | English |
Detected Language | French |
Type | PhD thesis |
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