De grandes enquêtes en milieu scolaire, au Québec comme ailleurs, ont documenté depuis les années 2000 la portée des violences homophobes, particulièrement à l’école secondaire, ainsi que leurs impacts négatifs sur les élèves qui en sont victimes, qu’ils s’identifient ou non comme lesbiennes, gais, bisexuel(le)s ou en questionnement (LGBQ). La diffusion des résultats de ces enquêtes, ainsi que les constats similaires d’acteurs sur le terrain, ont fait accroitre les appels à la vigilance des écoles quant aux discriminations homophobes pouvant prendre forme en leur enceinte. Plusieurs des responsabilités résultant de cette mobilisation ont échoué par défaut aux enseignants, notamment en raison de leur proximité avec leurs élèves. Cependant, malgré la panoplie de publications et de formations visant explicitement à les outiller à ce sujet, les enseignants rapportent de manière consistante manquer de formation, d’habiletés, de soutien et d’aise à l’idée d’intervenir contre l’homophobie ou de parler de diversité sexuelle en classe.
Cette thèse de doctorat vise à comprendre les pratiques d’intervention et d’enseignement que rapportent avoir les enseignants de l’école secondaire québécoise, toutes orientations sexuelles confondues, par rapport à la diversité sexuelle et à l’homophobie. Dans une perspective interdisciplinaire, nous avons interrogé la sociologie de l’éducation, les études de genre (gender studies) et les études gaies et lesbiennes, ainsi qu’emprunté aux littératures sur les pratiques enseignantes et sur l’intervention sociale. Les données colligées consistent en des entrevues semi-structurées menées auprès de 22 enseignants du secondaire, validées auprès de 243 enseignants, par le biais d’un questionnaire en ligne. Étayés dans trois articles scientifiques, les résultats de notre recherche permettent de mieux saisir la nature des pratiques enseignantes liées à la diversité sexuelle, mais également les mécanismes par lesquels elles viennent ou non à être adoptées par les enseignants.
Les témoignages des enseignants ont permis d’identifier que les enseignants sont globalement au fait des attentes dont ils font l’objet en termes d’intervention contre l’homophobie. Ceci dit, en ce qu’ils sont guidés dans leurs interventions par le concept limité d’homophobie, ils ne paraissent pas toujours à même de saisir les mécanismes parfois subtils par lesquels opèrent les discriminations sur la base de l’orientation sexuelle, mais aussi des expressions de genre atypiques. De même, si la plupart disent condamner vertement l’homophobie dont ils sont témoins, les enseignants peuvent néanmoins adopter malgré eux des pratiques contribuant à reconduire l’hétérosexisme et à alimenter les mêmes phénomènes d’infériorisation que ceux qu’ils cherchent à combattre. Sauf exception, les enseignants tendent à comprendre le genre et l’expression de genre davantage comme des déterminants de type essentialiste avec lesquels ils doivent composer que comme des normes scolaires et sociales sur lesquelles ils peuvent, comme enseignants, avoir une quelconque influence.
Les stratégies de gestion identitaire des enseignants LGB influencent les pratiques qu’ils rapportent être en mesure d’adopter. Ceux qui optent pour la divulgation, totale ou partielle, de leur homosexualité ou bisexualité peuvent autant rapporter adopter des pratiques inclusives que choisir de se tenir à distance de telles pratiques, alors que ceux qui favorisent la dissimulation rapportent plutôt éviter autant que possible ces pratiques, de manière à se garder de faire face à des situations potentiellement délicates. Également, alors que les enseignants LGB étaient presque exclusivement vus jusqu’ici comme ceux chez qui et par qui se jouaient ces injonctions à la vie privée, les enseignants hétérosexuels estiment également être appelés à se positionner par rapport à leur orientation sexuelle lorsqu’ils mettent en œuvre de telles pratiques. Nos résultats révèlent un double standard dans l’évocation de la vie privée des enseignants. En effet, la divulgation d’une orientation hétérosexuelle, considérée comme normale, est vue comme conciliable avec la neutralité attendue des enseignants, alors qu’une révélation similaire par un enseignant LGB est comprise comme un geste politique qui n’a pas sa place dans une salle de
classe, puisqu’elle se fait au prix du bris d’une présomption d’hétérosexualité.
Nos résultats suggèrent qu’il existe de fortes prescriptions normatives relatives à la mise en genre et à la mise en orientation sexuelle à l’école. Les enseignants s’inscrivent malgré eux dans cet environnement hétéronormatif. Ils peuvent être amenés à y jouer un rôle important, que ce soit en contribuant à la reconduction de ces normes (par exemple, en taisant les informations relatives à la diversité sexuelle) ou en les contestant (par exemple, en expliquant que certains stéréotypes accolés à l’homosexualité relèvent d’aprioris non fondés). Les discours des enseignants suggèrent également qu’ils sont traversés par ces normes. Ils peuvent en effet choisir de se conformer aux attentes normatives dont ils font l’objet (par exemple, en affirmant leur hétérosexualité), ou encore d’y résister (par exemple, en divulguant leur homosexualité à leurs élèves, ou en évitant de conforter les attentes dont ils font l’objet) au risque d’être conséquemment pénalisés. Bien entendu, cette influence des normes de genre diffère d’un enseignant à l’autre, mais semble jouer autant sur les enseignants hétérosexuels que LGB.
Les enseignants qui choisissent de contester, explicitement ou implicitement, certaines de ces normes dominantes rapportent chercher des appuis formels à leurs démarches. Dans ce contexte, une telle quête de légitimation (par exemple, la référence aux règlements contre l’homophobie, la mobilisation des similitudes entre l’homophobie et le racisme, ou encore le rapprochement de ces enseignements avec les apprentissages prescrits pour leur matière) est à comprendre comme un outillage à la contestation normative. La formation professionnelle des enseignants sur l’homophobie et sur la diversité sexuelle constitue un autre de ces outils.
Alors que les enseignants québécois continuent d’être identifiés comme des acteurs clés dans la création et le maintien d’environnements scolaires non-discriminatoires et inclusifs aux réalités de la diversité sexuelle, il est impératif de les appuyer en multipliant les signes formels tangibles sur lesquelles leurs initiatives peuvent prendre appui (politiques explicites, curriculum scolaire inclusif de ces sujets, etc.). Nos résultats plaident en faveur d’une formation enseignante sur la diversité sexuelle, qui ferait partie du tronc commun de la formation initiale des maîtres. Chez les enseignants en exercice, il nous apparait préférable de miser sur une accessibilité accrue des formations et des outils disponibles.
En réponse toutefois aux limites que pose à long terme une approche cumulative des formations spécifiques portant sur différents types d’oppressions (l’homophobie, le racisme, le sexisme, etc.), nous argumentons en faveur d’un modèle d’éducation anti-oppressive au sein duquel les élèves seraient invités à considérer, non seulement la multiplicité et le caractère situé des divers types d’oppressions, mais également les mécanismes d’attribution de privilège, de constitution de la normalité et de la marginalité, et de présentation de ces arbitraires culturels comme des ordres naturels. / In Québec and elsewhere, school climate surveys have documented since 2000 the prevalence of homophobic violence, especially in high schools, and its negative impacts of its victims— whether or not they identify as lesbian, gay, bisexual or questioning (LGBQ). The dissemination of subsequent data, as well as similar observations made by various actors on the field, have resulted in calls for schools to be vigilant towards homophobic discriminations that could take place onto their premises. Many of these responsibilities have fallen onto the shoulders of teachers, partly because of their close proximity to students. However, despite the sheer number of sexual diversity awareness-building training sessions and publications available to them, teachers consistently report lacking the training, the abilities, the support, and the comfort needed to intervene against homophobia or to refer to sexual diversity in class.
This doctoral thesis aims at understanding the pedagogical and intervention practices relative to homophobia and sexual diversity that Québec high school teachers of different sexual orientations report putting forth. Borrowing from sociology of education, gender studies, as well as gay and lesbian studies, we adopted an interdisciplinary lens that also incorporated literature on teaching practices and social intervention. Semi-structured interviews were conducted with 22 high school teachers, and these findings were validated through an online questionnaire filled out by 243 teachers. Results detailed in three scientific papers allow a better understanding of teaching practices relating to sexual diversity, but also of the various mechanisms through which they come to be adopted or not by teachers.
Teachers seem globally aware of the expectations that surround them in terms of intervening against homophobia. However, since their interventions appear to be guided by the limiting concept of homophobia, they can be unaware of the subtle mechanisms through which discriminations based on sexual orientation, but also atypical gender expressions, can operate. Furthermore, although most teachers claim condemning homophobia, they can nevertheless implement practices that can perpetuate heterosexism and feed into the very symbolic violence they try to put an end to. Aside from rare cases, teachers appear to understand gender and gender expression as essentialist and determinant factors they must learn to work with, rather than social norms they can come to influence as teachers.
Identity management strategies advocated by LGB teachers influence the practices they report being capable of, or at ease of, implementing. Teachers opting for total or partial disclosure of their LGB identity can either choose to adopt inclusive practices or to keep at a safe distance from such initiatives. Those who choose to hide their sexual orientation can also consider that implementing practices that are inclusive of sexual diversity is not a viable option for them. Although LGB teachers have long been seen as the ones constrained by these injunctions regarding private life, heterosexual teachers declare having to explicitly state their sexual orientation when they undertake such practices. Our results suggest that teachers are held to different standards with regards to their personal lives. While heterosexual teachers do not hesitate to refer to their heterosexual status, perceived as normal sexual, LGB teachers must assess the most discreet allusion to their home life, in as much as the neutrality supposedly threatened by openly homosexual teachers constitutes a normative and heterosexist status quo.
There appears to be strong normative prescriptions relative to gender and sexual orientation in schools. Teachers operate in this heteronormative environment and can come to play an important role in the propagation (for ex., by silencing informations regarding sexual diversity) or the contestation of these norms (for ex., by explaining to students that some of their opinions on LGB people are informed by stereotypes and therefore not empirically valid). The discourses of teachers suggest they themselves are influenced by these norms. They can decide to conform to the normative expectations that target them as teachers (for ex., by asserting their heterosexuality) or choose to resist to them (for ex., by coming out as non-heterosexuals to their students, or by avoiding to explicitly reinforce the expectations that target them) at the risk of being consequently penalized. This influence of gender norms varies from one teacher to another, but seems to be at play for both heterosexual and LGB teachers.
The teachers who choose to contest, either explicitly or implicitly, some of these norms report looking for formal signs supporting their initiatives. In this context, their quest of legitimization (whether it is referring to policies against homophobia, calling to mind the similarities between homophobia and racism, or mobilizing the subject in relation to the contents that are prescribed by school authorities) should be understood as a quest for tools to support their normative contestation. Teacher training on homophobia and sexual diversity is another of these tools.
As Québec teachers continue to be identified as key actors in the creation and preservation of school environment that are non-discriminatory and inclusive to sexual diversity, it is imperative that they be able to lean on tangible formal signs supporting their actions (ie. explicit policies against homophobia and heterosexism, curriculum that is inclusive of these topics). Our results call for mandatory training sessions on homophobia and sexual diversity for pre-service teachers. In-service teachers would benefit from an improved accessibility of available tools and training rather than mandatory training sessions.
Considering the long-term limits that are inherent to a cumulative approach to teaching training – suggesting teachers ought to receive specific trainings on each type of oppression (homophobia, racism, sexism, etc.), we argue for an model based on anti-oppressive education. In this model, students would be taught to consider that knowledge is always situated and that various types of oppressions can operate at once. They would also learn about the social mechanisms through which various groups come to be privileged, normalised or marginalised.
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/11405 |
Date | 08 1900 |
Creators | Richard, Gabrielle |
Contributors | McAll, Christopher |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Thèse ou Mémoire numérique / Electronic Thesis or Dissertation |
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