Cette thèse se propose de relire l’œuvre de J. D. Salinger à la lumière de l'usage que fait l'écrivain des motifs du détour et du suspens, tous deux caractérisés par un fonctionnement ambivalent. L'écriture de Salinger, fondamentalement introspective, prend par bien des aspects des allures de quête, à la fois identitaire et littéraire. L'exploration de l'identité qu'elle met en scène implique notamment un détour par l'altérité, auteur et personnages revêtant un certain nombre de masques, au risque parfois de refuser de s'en défaire ensuite. L'auteur se devine également derrière ses pratiques d'écriture, dont la dimension obsessionnelle révèle un profond désir de maîtrise de son travail, qui l'amène parfois à se perdre dans ses textes et s'apparente finalement davantage à une attitude de fuite qu'à la recherche d'un idéal littéraire. Dans l’œuvre salingerienne, le détour participe d'une réflexion sur les concepts de norme et de déviance, ainsi que sur le thème de l'errance. D'abord perçu comme néfaste, il apparaît à terme comme un moyen privilégié d'accéder à des révélations insoupçonnées. L’éloge de l'écart que l'on observe sur le plan thématique trouve un écho dans l'utilisation par les personnages-narrateurs de stratégies narratives louant les mérites du détour. La digression, le fragment, le renvoi aux marges du texte ainsi que l'intertextualité – autant d'outils interrogeant la distinction généralement établie entre le centre et la périphérie, entre l'accessoire et l'essentiel – révèlent toute leur efficacité lorsqu'ils sont employés pour aborder des sujets qui échappent aux cadres traditionnels. Le décentrement du texte passe également dans certains cas par un recours à la métatextualité qui permet notamment à l'écrivain de prolonger et de mettre en scène la réflexion qu'il mène sur son écriture. Les encarts métatextuels, parce qu'ils viennent interrompre temporairement la narration, peuvent aussi être considérés comme des manifestations du suspens dans le texte, suspens d'abord employé par Salinger pour interroger les notions de progression et de stase. Son œuvre présente simultanément une réflexion sur la résistance au passage du temps et la notion d'entre-deux, l'auteur affectionnant particulièrement la représentation de périodes liminales, à la fois lieux du mouvement et lieux hors du temps. Par ailleurs, l'écrivain s'attache par diverses stratégies narratives déployées dans ses textes à suspendre l’interprétation du sens, qui se révèle mouvant, différé, voire tout simplement retenu, lorsqu'il ne s'abîme pas dans l'absurde ou le non-sens. Ce faisant, Salinger interroge la validité de toute interprétation, plaidant pour une approche plus intuitive de l'art, et s'efforce du même geste de repousser indéfiniment l'achèvement de son œuvre, trahissant par là l'urgence éprouvée de mettre à distance l'angoisse mortifère qui l'obsède. / The aim of this PhD research is to try to shed new light on J. D. Salinger's work by focusing on the writer's use of two inherently ambivalent motifs, namely detour and suspension. Salinger's writing, partly because of its introspective nature, often takes on the appearance of a quest, both personal and artistic. It stages the author's exploration of his own identity, which implies exploring otherness through the use of masks worn by both characters and writer, who sometimes refuse to later put them down. The study of Salinger's writing practices shows an obsessional dimension indicative of his powerful desire to control every aspect of his work, sometimes leading him to fully immerse himself in the world of fiction – an attitude in the end more evocative of evasion than of a search for literary perfection. In Salinger's work, the representation of detours is the starting point of a reflection on the concepts of norm and deviance, as well as on the theme of wandering. While it first appears as harmful, the detour motif eventually shows its potential for the revelation of unsuspected truths. Deviation is thus presented in a positive light, and its effectiveness as a writing strategy is repeatedly praised. Such stylistic devices as digression, fragmentation, or intertextuality are called upon to question the classical distinction between center and margins, between what is essential and what is incidental. Those devices are most effective when it comes to dealing with topics unfit for traditional approaches. The author’s will to decenter the text also involves the use of metatextuality, which serves the writer's exploration of his own writing and its staging for the reader's benefit. Metatextual passages, as they temporarily bring the narration to a halt, may also be seen as manifestations of suspension. In his work, Salinger first uses suspension to question the notions of progress and stasis. His texts invite the reader to engage in a reflection on the characters' resistance to the passing of time as well as the notion of in-betweenness. Indeed, the author has specialized in the depiction of those liminal periods in the lives of individuals, which are characterized by change and an out-of-time quality. Moreover, the writer makes use of different stylistic devices to suspend the reader’s access to the meaning of his stories. In most of them meaning remains unstable and unsure, whether elucidation is deferred or simply refused to the reader, who is also confronted to manifestations of the absurd or even utter nonsense. Salinger thus challenges the value of interpretation, pleading for a more intuitive approach to art, and makes sure he indefinitely postpones the completion of his own work, in the same way that his characters develop strategies to postpone their confrontation with death.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2018NORMR085 |
Date | 15 November 2018 |
Creators | Berland, Agathe |
Contributors | Normandie, Tissut, Anne-Laure |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | English |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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