En Mésopotamie, l’écriture fut inventée et longtemps maîtrisée par un groupe restreint d’individus au service du temple ou du palais. Après l’effondrement de la troisième dynastie d’Ur, en 2002 av. J.-C., les données archéologiques et épigraphiques témoignent d’une intensification et d’une généralisation du recours à l’écrit. Ce phénomène, connu sous le nom de « révolution de l’écrit paléo-babylonienne » (« Old Babylonian writing revolution »), se traduisit plus précisément par l’abandon du sumérien au profit de l’akkadien, la multiplication des archives privées, le remaniement du système éducatif et l’apparition de nouveaux genres de texte, du format tabulaire et de l’écriture cursive. L’enjeu de notre recherche a été d’étudier les répercussions qu’eut cette révolution culturelle spécifiquement sur la pratique épistolaire de l’époque amorrite (2002-1595 av. J.-C.). Nous avons d’abord cherché à définir la place des échanges épistolaires dans les interactions sociales des Mésopotamiens. En dressant le portrait des épistoliers et en étudiant leurs voies d’accès à la pratique épistolaire, nous avons évalué l’implantation de la communication par lettres dans la société. Écrire et lire une lettre requérait l’apprentissage d’un savoir et d’une technique. Nous avons donc cherché, parmi les exercices étudiés par les élèves pendant leur formation à l’écrit, ceux qui pouvaient leur servir à rédiger et lire des lettres, et avons étudié dans quelle mesure ces exercices les préparaient à écrire des lettres plus ou moins complexes et variées. Nous avons aussi voulu voir si les changements introduits dans le système éducatif ont bouleversé l’enseignement du genre épistolaire et s’ils ont une part dans le développement de la littéracie et de la communication par lettres. La diffusion de l’écrit bouleversa également le rapport des Mésopotamiens au texte écrit : une lecture empirique, « naïve » des lettres a permis aux chercheurs de se rendre compte que les lettres de l’époque amorrite sont plus précises et plus longues que celles des siècles antérieurs. Nous avons voulu objectiver, rationaliser cette impression en étudiant la qualité et la quantité des informations communiquées par écrit. Qu’est-ce qui, dans les lettres, a évolué ? Est-ce le degré d’implicite et d’ambiguïté ? Les lettres pouvaient-elles être comprises sans l’intervention du messager qui les transportait ? Ou est-ce le contenu, devenu plus détaillé et varié ? Ces recherches s’appuient notamment sur la pragmatique, qui offre un cadre conceptuel pour travailler sur la notion d’implicite et analyser la possibilité pour le destinataire d’une lettre d’interpréter le message dans le contexte spécifique de l’écrit. L’éclatement de l’administration centrale, en 2002 av. J.-C., fit naître de nombreux royaumes rivaux. Ces derniers n’utilisèrent pas les mêmes graphèmes ni les mêmes formes graphiques pour écrire leurs lettres, mais peu de comparaisons systématiques ont été effectuées jusqu’à présent. Nous avons étudié comment se sont constituées et ont circulé certaines conventions graphiques. La comparaison des formes graphiques nous a ensuite permis de travailler sur la standardisation des lettres et la notion d’ « orthographe ». Nous avons finalement cherché à évaluer le niveau de maîtrise du système d’écriture requis pour lire et écrire des lettres. Nos recherches apportent un éclairage nouveau sur un corpus qui n’avait jamais été exploité dans son ensemble (environ 7000 lettres) et constituent une première tentative pour analyser les répercussions de l’intensification du recours à l’écrit sur l’ensemble d’une activité, à savoir la pratique épistolaire. Au-delà des assyriologues, ces recherches s’adressent à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de l’écrit et du genre épistolaire. / In Mesopotamia, writing was invented, and for a long time mastered, by a small group of individuals working for the temple or the palace. After the collapse of the Third Dynasty of Ur, in 2002 BC, archaeological and epigraphic evidence reveals an intensification in the use of writing. This phenomenon, known as the “Old Babylonian writing revolution”, resulted more precisely in the abandonment of Sumerian for the benefit of Akkadian, in the multiplication of private archives, in the reorganisation of the educational system and in the emergence of new genres, of the tabular format and of the cursive writing. The aim of our research is to study the consequences that this cultural revolution had specifically on the epistolary practice during the Amorite period (2002-1595 BC). We first sought to define the place of epistolary exchanges in the Mesopotamian social interactions. By portraying the letter-senders and studying how they had access to the epistolary practice, we have been able to estimate the establishment of letter communication in the society. Writing and reading a letter also required a certain knowledge and technique. Among the exercises studied during the training in writing, we looked for those which could be used to write and read letters. We then examined to which extent the scribal training prepared individuals to write more or less intricate and varied letters. Finally, we looked to see if the changes introduced in the educational system altered the way the epistolary genre was taught and if these changes were involved in the development of literacy and letter communication. The diffusion of writing also changed how Mesopotamians related to written text: an empirical, “naive” reading of the letters made the researchers realize that letters from the Amorite period are more precise and longer than those written during the previous centuries. We wanted to objectify and rationalise this impression by studying the quality and quantity of the information communicated in writing. What evolved in the letters? Is it the degree of implicitness and ambiguity? Could the letters be understood without the intervention of the messenger who carried them? Or is it the content, which became more detailed and varied? This research is based in particular on pragmatics, which offers a conceptual framework for working on the notion of implicitness and analysing the possibility for the addressee of a letter to interpret the message in the specific context of writing. The fall of the central administration in 2002 BC gave rise to many rival kingdoms. These kingdoms did not use the same graphemes nor the same spellings to write their letters, but very few systematic comparisons have been made so far. We studied how some graphical norms were created and circulated. The comparison of spellings then allowed us to work on the standardisation of letters and on the notion of “orthography”. We finally sought to assess the level of mastery of the writing system required to read and write letters. Our research sheds new light on a corpus of texts that had never been studied as a whole (about 7,000 letters) and is a first attempt to analyse the impact of the intensification of the use of writing on an entire activity, namely the epistolary practice. Besides Assyriologists, our research is aimed at all those who are interested in the history of writing and the epistolary genre.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2018PSLEP041 |
Date | 20 October 2018 |
Creators | Beranger, Marine |
Contributors | Paris Sciences et Lettres, Charpin, Dominique |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
Page generated in 0.0033 seconds