Les sociétés occidentales ont subi de profondes transformations depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et le champ de la santé n'y fait pas exception alors que ces sociétés doivent désormais répondre à des problématiques, aspirations et exigences auxquelles elles n'avaient jusqu'alors jamais été confrontées (Ewald, 1986; Guest, 1993, Bairoch, 1997; Ornran, 2005; Judt, 2007). Ce contexte d'après-guerre a fortement contribué à l'émergence du terme médicalisation dans la littérature sociologique à la fin des années 1960. Deux objectifs ont guidé notre démarche de recherche : clarifier, d'une part, les multiples significations mobilisées par le terme médicalisation et les transformations qu'elles ont subies, et saisir, d'autre part les différents cadres sociologiques qui investissent le champ sémantique de ce terme depuis son émergence dans le vocabulaire sociologique il y a maintenant quarante ans. Pour ce faire, nous avons analysé 96 ouvrages à caractère sociologique (livres, articles, éditoriaux, etc.) dont le propos était consacré en totalité ou en majeure partie à la compréhension des significations associées au terme médicalisation. Les ouvrages retenus ont tous été publiés entre 1968 et 2009 et devaient avoir été rédigés en français ou en anglais. L'exploration du champ sémantique du terme médicalisation nous a permis de constater, dans un premier temps, sa grande complexité et polysémie alors que le terme médicalisation fait à la fois ou alternativement référence à un processus et à un phénomène social tout autant qu'à un concept sociologique. Aussi, nous avons remarqué la prédominance d'une perspective critique largement véhiculée par plusieurs sociologues, notamment de la première génération, alors que plusieurs d'entres eux ont dépeint la médicalisation comme le résultat d'une colonisation constante de la profession médicale sur l'ensemble de la population vers laquelle elle oriente ses interventions (Zola, 1972; Illich, 1975; Conrad et Schneider, 1980; Gori et Del Volgo, 2004; Sanni Yaya, 2009). Inspirés par des approches constructiviste, marxiste et foucaldienne, nombreux sont les auteurs qui ont interprété la médicalisation à la lumière des processus sociaux et normatifs, et des mécanismes de contrôle social. Mettant l'accent sur le caractère contraignant, voire totalitaire, de la médecine, ces approches ont dénoncé la reconfiguration pathologique des réalités individuelles et collectives qui s'opérationnalise à travers notamment la création de maladies, l'expansion du champ de compétence de la médecine, la pathologisation généralisée de la vie et l'utopisation de la santé (Fox, 1977; Colucci, 2006; Szarsz, 2007). Si de nombreux sociologues défendent encore aujourd'hui une position fortement critique de la médicalisation, notre analyse nous a permis de constater la diversification des approches proposées. Des changements contextuels majeurs, tels que la démocratisation des informations relatives à la santé, les innovations biotechnologiques et le développement d'un complexe pharmaco-industriel, ont contribué à repositionner les forces mobilisées dans la médicalisation du social (Conrad, 2007). Par ailleurs, on assiste à l'apparition d'une nouvelle figure sur l'échiquier de la médicalisation, soit celle du patient. Partenaires dans les décisions thérapeutiques qui les concernent et consommateurs de produits et de services de santé, les patients exercent une grande influence sur ce qui peut ou doit être médicalisé, d'autant plus qu'ils sont mieux informés que jamais sur les plus récentes découvertes scientifiques, les diagnostics possibles et les traitements disponibles (Panese et Barras, 2009). Sans nier la présence d'imposants dispositifs de pouvoir, de structures et de normes sociales, nous avons pu constater que plusieurs auteurs ont envisagé la médicalisation entres autres à travers l'étude de l'action, des interactions sociales et des stratégies, faisant par le fait même appel à des référents théoriques inspirés de l'approche interactionniste, de l'individualisme méthodologique et des propositions de Giddens et Beek notamment (Riessman, 1983; Nye, 2003; Ballard et Elston, 2005; Furedi, 2006). À 1' issu de cet exercice de clarification du champ sémantique et de repérage des racines intellectuelles du terme médicalisation, nous avons dégagé trois phases de développement de ce terme, c'est-à-dire des phases d'émergence, de croissance et de reconfiguration. Par ailleurs, cette dernière phase nous a amenés, à l'instar de plusieurs auteurs, à souhaiter penser autrement le terme médicalisation (Fassin, 1998; Panese et Barras, 2009). Les travaux de Danilo Martuccelli (2005) sur les consistances du social et le caractère ontologiquement élastique de la vie sociale nous semble avoir la souplesse nécessaire pour jeter un éclairage contemporain sur les significations, mécanismes et enjeux de la médicalisation, entrevue à la fois comme un processus, un phénomène social et un concept sociologique. La mise en perspective de la complexité notamment des mécanismes de la médicalisation et de la diversité des acteurs impliqués devrait être mise à profit pour empêcher la cristallisation de cette expression et son utilisation doublement idéologique (apologique et apologétique), et révéler les dynamiques d'assujettissement et de subjectivation auxquelles elle contribue nécessairement.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : médicalisation, santé, pathologisation, utopisation de la santé, action, structures sociales
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.5243 |
Date | 10 1900 |
Creators | Nader, Mélissa |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse acceptée, NonPeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://www.archipel.uqam.ca/5243/ |
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