Cette thèse traite du rapport entre les finances publiques et la politique en Égypte durant la période de 1981-2003. Elle analyse comment le régime autoritaire de Hosni Moubarak s'est adapté à la crise financière de l'État et comment cette crise a affecté, d'une part, les rapports entre l'État et la société et, d'autre part, les différentes institutions de l'État. Les recherches en économie politique sur l'Égypte s'accordent sur le fait que la reproduction de l'autoritarisme dans ce pays est principalement due au contrôle étatique des ressources économiques. La nature rentière de l'État égyptien, c'est-à-dire sa dépendance vis-à-vis des ressources abondantes non fiscales comme les recettes du pétrole ou l'aide étrangère, ont permis au régime d'acheter la passivité politique de la population tout en maintenant un faible taux d'imposition fiscale sur les acteurs économiques. Pourtant, alors que les ressources de la rente rétrécissent, et que la crise financière ne cesse de prendre de l'ampleur, le régime égyptien reste un modèle de stabilité dans la région. La thèse s'appuie sur les théories classiques et récentes traitant du rapport entre les finances publiques et la politique pour enrichir la théorie simpliste de l'État rentier selon laquelle l'origine des revenus de l'État détermine sa nature politique. Ainsi selon cette théorie, l'État rentier est forcément autoritaire et la disparition de la rente ouvre la voie à la démocratisation. L'approche adoptée dans cette thèse est influencée par le néo-institutionnalisme historique et « la nouvelle économie politique » qui met l'accent sur les institutions étatiques dans l'étude de la transformation des politiques publiques et dans les changements politiques. L'étude montre comment la crise budgétaire a transformé la distribution des ressources au sein de l'État. Cette transformation est abordée sur trois axes : entre les différents ministères, entre les autorités centrales et locales et entre les différentes régions. Les années 1990 ont vu la baisse des ressources de quelques institutions dont le ministère de la Défense, de l'Approvisionnement. D'autres ministères ont vu croître leurs ressources, notamment l'Intérieur, la Culture, l'Éducation et les Affaires religieuses. J'analyse les changements dans la distribution des ressources en termes de réponse aux défis politiques imposés au régime égyptien dans les années 1990. Durant la même période, le niveau central de l'État a vu croître sa part des ressources publiques au détriment du niveau local, mais au prix de la contraction des fonctions que ce niveau local doit jouer et d'une liberté accrue donnée aux unités locales pour mobiliser les ressources auprès de la population. Durant les années 1990, le régime décida d'augmenter la part de la Haute Égypte (le Sud) dans les ressources publiques pour y combattre la montée en puissance du mouvement islamiste armé. Pourtant, en raison des « biais institutionnels » (concept formulé par l'école du néo-institutionnalisme historique), la distribution des ressources n'a pas été corrigée, le centralisme subsiste et le Sud resta marginalisé. Cette thèse défend l'idée que l'État égyptien est entré dans un processus de « normalisation » dans lequel les recettes fiscales normales doivent substituer aux recettes rentières exceptionnelles. Le dilemme du régime est alors d'augmenter le fardeau fiscal sur la société sans produire de résistance politique. L'étude contredit la maxime « no taxation without representation » (pas d'impôt sans représentation) et montre comment, la situation en Égypte aujourd'hui doit être plutôt qualifié de « more taxation and less representation » (plus d'impôts et moins de représentation). Le rôle joué par l'appareil judiciaire dans l'allègement des crises politiques du régime de Moubarak est proposé pour expliquer ce paradoxe. Ce rôle a affaibli toute politisation et agrégation des résistances face à l'impôt. La Justice a effectivement supprimé plusieurs impôts du fait de leur nature non constitutionnelle. Les données quantitatives avancées révèlent une implication croissante de la Justice dans la résolution des conflits entre l'État et la société dans ce domaine. Un fait qui a produit une « juridisation » des conflits. L'étude suggère que la reproduction du régime autoritaire malgré la chute structurelle de ses revenus rentiers tient à la stratégie de la survie du régime, basée sur « la stagnation institutionnelle » et « l'adaptation fragmentée ». Cette stratégie a été efficace dans la neutralisation des revendications économiques et sociales. Le régime a insisté à maintenir la configuration institutionnelle et constitutionnelle de l'État intacte et, dans le même temps, il s'est adapté à sa crise budgétaire par des aménagements institutionnels informels et fragmentés. La politique égyptienne est en train de changer, mais ce changement est lent, fragmenté et difficilement visible. Le cas égyptien est celui du succès d'un régime et l'échec d'un État. Le régime a réussi puisqu'il est parvenu à se reproduire, mais l'État a échoué puisque il n'est pas en mesure de faciliter le développement capitaliste dans ce pays. Cette thèse essaie de montrer comment le succès du régime a produit l'échec de l'État en Égypte. L'utilisation conjointe dans cette étude des concepts de l'État et du régime avait pour objectif d'inclure dans l'analyse, à la fois, d'une part les structures objectives et les stratégies des acteurs, et d'autre part les contraintes d'un système et la liberté relative des acteurs.
Identifer | oai:union.ndltd.org:CCSD/oai:tel.archives-ouvertes.fr:tel-00417309 |
Date | 16 July 2004 |
Creators | Soliman, Samer |
Publisher | Institut d'études politiques de paris - Sciences Po |
Source Sets | CCSD theses-EN-ligne, France |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | PhD thesis |
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