À l’avant-garde de l’innovation scientifique actuelle, la recherche en nanotechnologies s’inscrit dans une promesse de conquête d’une nouvelle dimension : le Nanomonde. Défini par un critère de dimensionnalité incluant l’ensemble des objets entre 1 et 100 nanomètres et par l’application des lois de la physique quantique à l’analyse des phénomènes, ce nouveau territoire de la
connaissance sert de vitrine sociale aux promesses de transformation radicale de notre
compréhension de la réalité, à travers notamment la production d’objets « nanos »
aux propriétés révolutionnaires, comme les nanotubes de carbone par exemple. Mais
quelle est exactement la nature de cette dimension ? Comment est-elle définie, et qui,
une fois les discours et les pratiques analysés, la contrôle et l’étudie ? À travers un terrain de recherche dans deux laboratoires de nanotechnologies et une série
d’entretiens avec des chercheurs, j’ai analysé l’importance de l’instrumentation
technique comme élément de structuration du Nanomonde, à la fois dans la pratique
et dans les discours. À cet égard, le concept de pensée technique permet de rendre
compte de la nature des aprioris à l’oeuvre dans le travail de recherche en
nanotechnologies.
En parcourant les différents travaux effectués en sciences humaines et
sciences sociales sur les nanotechnologies, la place de l’instrumentation, si elle est
évoquée comme un élément d’accessibilité pour rejoindre le Nanomonde, n’est que
rarement considérée dans une perspective problématique. À travers l’analyse du
discours réflexif des acteurs de la recherche sur leurs pratiques, il apparaît que l’instrumentation, bien plus que d’être un simple élément matériel du laboratoire,
structure les relations inter-personnelles. Elle créée en effet un réseau d’interdépendance cognitive dans lequel chaque chercheur se situe en fonction de son
expertise instrumentale, structurant les relations au sein des groupes de recherche. Ce partage cognitif, d’une façon d’établir des relations sociales, apparaît également
comme un élément de détermination de la nature même des recherches et de la
dimension particulière qu’est le Nanomonde.
L’instrumentation est donc naturalisée comme une composante allant de soi de la « vie de laboratoire ». Pourtant, l’analyse des tentatives de contrôle du contexte
de recherche et une discussion autour de l’efficacité du système technique déployé
via l’instrumentation en nanotechnologies, souligne l’aspect auto-référentiel que
prend le travail d’exploration du Nanomonde. Cet aspect de fermeture sur le système
technique de l’instrumentation est mis en parallèle avec la façon dont les discours sur
les nanotechnologies – à la fois internes et externes à la sphère scientifique –
présentent les objets du Nanomonde et les recherches sur ces mêmes objets à travers
leur aspect performatif qui ressortira particulièrement.
En insistant sur les performances des produits de la recherche, les chercheurs
et les promoteurs des nanotechnologies font du Nanomonde un espace de connaissance marchande, répondant à la logique propre au marché des idées néolibérales. Cependant, bien loin de correspondre à un enrichissement des expertises, ce modèle de marchandisation entraîne un appauvrissement de celles-ci, et une difficulté pour former les futurs chercheurs « nanos » de demain, chacun essayant de répondre à l’impératif technique de la performativité dans son discours et dans ses choix de recherches. L’analyse menée ici insiste donc sur l’idée que c’est selon un mode de pensée technique que le Nanomonde est exploré, conquis, et, finalement, exploité. / In the vanguard of the current scientific innovation, the research in nanotechnologies joins in a promise of conquest of a new dimension: the Nanoworld. Defined by a dimensionality criterion including all the objects between 1 and 100 nanometers and by the application of the laws of the quantum physics in the analysis of phenomenon, this new territory of knowledge is used as a social showcase for the promises of radical processing of our understanding of the reality, through in particular the production of "nano" objects displaying revolutionary properties, such as carbon nanotubes. But what exactly is the nature of this dimension? How is it defined, and who, once the speeches and practices have been analyzed, eventually controls it? Through a grounded research in two nanotechnologies laboratories and a series of interviews with researchers, I have analyzed the importance of technical instrumentation as a structuring element of the Nanoworld, both in practice and speeches. Furthermore, the concept of technical thought allows to report the nature of aprioris within the research work in nanotechnologies.
By going through the various works made by humanities on nanotechnologies, the square of the instrumentation, if evocated as an element of accessibility to join the
Nanoworld, is only rarely considered in a problematic perspective. Through the
analysis of the reflexive speech of the research practitionners, it seems that the
instrumentation, much more than being a simple material element of the laboratory,
structures the interpersonal relations. It creates a network of cognitive interdependence where every researcher is situated according to his instrumental
expertise. It structures the relations within the researchers’ group. This cognitive
sharing is a way to establish social relationships, while being an element of
determination of the nature of the researches on the Nanoworld.
The instrumentation is thus naturalized as a granted component of "laboratory
life". Yet, the analysis of the attempts of control of the research context and a
discussion around the efficiency of the technical system of the instrumentation in
nanotechnologies, the auto-reference aspect which takes the work of exploration of
the Nanoworld becomes highlighted. This aspect of closure on the technical system
of the instrumentation is parallel with the way the speeches on the nanotechnologies -
both internal and external to the scientific sphere - present the objects of the
Nanoworld and the researchs on these objects through their performative aspect.
By insisting on the performances of the products of their research, scientists
and developers of the nanotechnologies turn the Nanoworld into a dimension of
merchandised knowledge, in the same logic as neoliberal market ideas. However, far
from corresponding to an enrichment of the expertises, this model of merchandisation
entails their impoverishment. Furthermore, a difficulty to train the "nanos" researchers of the future arised in the past few years. This double standard is obvious as a consequence of the technical imperative of the speech performativity and the choice of individual researchs. Thus, the analysis I conducted here insists on the idea that it is according to the technical way of thinking that the Nanoworld is investigated, conquered, and, finally, exploited. / Réalisé en cotutelle avec l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMU.1866/9881 |
Date | 09 1900 |
Creators | Richard, Sébastien |
Contributors | Lafontaine, Céline, Gras, Alain |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Thèse ou Mémoire numérique / Electronic Thesis or Dissertation |
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