La thèse vise à comprendre comment une diversité de définitions d'une maladie émergente et complexe, la Borréliose de Lyme, se construisent aujourd'hui dans un grand nombre de lieux. Ces définitions sont parfois concurrentes, parfois étrangères l'une à l'autre ; parfois médiatisées, parfois confinées dans des espaces discrets. Pour comprendre cette diversité, je mobilise le concept de pratique développé par Stengers (2006). J'ai accédé aux processus de connaissance mis en œuvre par les praticiens à travers les deux versants qui définissent une pratique : les obligations, qui renvoient à leur manière spécifique d'interroger l'objet ou l'être dont ils cherchent à apprendre quelque chose ; les exigences qui opèrent des exclusions et tracent des frontières entre pratiques. Cette grille d'analyse s'applique à des groupes de taille variable, professionnels ou non, mandatés ou pas par le politique, de même qu'aux vivants non-humains. La première partie situe la maladie de Lyme dans le champ des maladies et définit sa spécificité en regard des « maladies environnementales » qui ont pour cause les pollutions industrielles. En tant que maladie infectieuse ayant pour vecteur une tique et pour réservoir la faune sauvage, la maladie de Lyme présente davantage les traits d'une « maladie écologique » qui renouvelle l'attribution des responsabilités, les modes de gestion, la nature des entités incriminées ainsi que l'identité des praticiens impliqués. À partir de ce constat, j'ai fait l'hypothèse d'une « écologisation des problèmes sanitaires » : les problématiques environnementales s'immiscent dans d'autres secteurs. J'ai interrogé cette écologisation thématique à la lumière de « l'écologisation des pratiques » que Stengers définit comme un mode de relation entre pratiques qui remplace les exclusions par des coordinations pour produire des savoirs nouveaux, dynamiques et irréductibles à chaque pratique. La deuxième partie expose les pratiques de quatre groupes de praticiens : les malades chroniques qui échangent sur Internet, les infectiologues, les ticologues et les écologues généticiens des populations. L'analyse révèle l'existence de deux espaces de discussions marqués par des relations distinctes : dans le premier, médical, diagnostic et curatif, les définitions de la maladie s'opposent tandis qu'elles se chevauchent dans le second, environnemental, épidémiologique et préventif. Ces deux espaces entretiennent peu de relations entre eux. La troisième partie s'intéresse aux interractions entre praticiens. À travers un groupe de travail, un lieu, un concept et des techniques diagnostiques, j'interroge la rencontre effective entre pratiques environnementales et médicales. L'essentiel des collaborations entre acteurs environnementaux et médicaux portent sur la prévention de la maladie. Les savoirs écologiques, comme ceux des malades, ont pourtant un potentiel pour une autre élaboration du diagnostic de ces maladies. Cette analyse montre que des frictions apparaissent lorsque des praticiens interrogent un même vivant sur des modes différents. À l'inverse, une sympathie se manifeste entre praticiens dès lors qu'ils interrogent sur le même mode des vivants différents. Plus qu'une écologisation du sanitaire, la thèse met en évidence un processus de « sanitarisation de l'écologie ». En effet, ce sont les praticiens rattachés à l'écologie qui s'immiscent dans la thématique des « maladies infectieuses émergentes ». Les savoirs qu'ils produisent tendent à dépeindre un ensemble de maladies variables dans le corps et le milieu, qui rappelle la définition par les malades, sans que ces groupes de praticiens disposent à ce jour d'espace de rencontre. / This thesis aims to understand how a range of definitions of a complex and emerging disease, the Lyme disease, are currently being constructed in many places. These definitions sometimes compete and sometimes develop separately ; they are sometimes widely disseminated and sometimes circumscribed in discrete places. To understand this diversity, I use the concept of « practice » as developed by Stengers (2006). A practice is defined by two sides : obligations, which refer to the specific way in which practitioners relate to the object or being they seek to learn something about ; demands, which generate exclusions and draw boudaries between practices. This framework applies to groups of different sizes and natures, and to non-humans beings. The first part of the thesis situates the Lyme disease among other diseases and clarifies its differences with the « environmental diseases » caused by industrial pollutions. As an infectious disease transmitted by a tick and with a wildlife reservoir, the Lyme disease rather presents the features of an « ecological disease » that renews the attribution of responsibilities, management modes, the nature of entities that are incriminated and identity of practitioners involved. This statement led me to the hypothesis of an « ecologization of health problems » : environmental issues are introduced in other domains. I examined this thematic ecologization through the « ecologization of practices », which Stengers defines as a mode of relation between practices where exclusions are replaced by coordinations in order to produce new, dynamic and transversal knowledge. The second part presents the practices of four groups of practitioners : persons with chronic Lyme disease who exchange on the Internet, infectious disease specialists, tick specialists and specialists of population genetics. The analysis shows the existence of two discussion spaces characterized by distinct relationships : in the first one, which is medical, diagnosis and cure-oriented, definitions of the disease oppose one another while they overlap in the second space, which is environmental, epidemiological and prevention-oriented. There are few relations between these two spaces. The third part focuses on the interactions between practitioners. Through a work group, a place, a concept and diagnosis techniques, I scrutinize how environmental and medical practices actually encounter one another. Most collaborations between environmental and medical practitioners concern the prevention of the disease. Yet, the ecological knowledge of the sick persons has a potential for another elaboration of the diagnosis of these diseases. The analysis shows that frictions appear when practitioners relate differently to a same being. On the contrary, there is sympathy between practitioners who relate similarly to different beings. Rather than an « ecologization of the health sector », this thesis shows a process of « sanitarization of ecology ». Indeed, the practitioners related to ecology are those who become involved in the emerging infectious diseases issues. The knowledge they produce suggests a set of diseases that vary across space and bodies. This reminds how the sick persons define their disease. However, these groups of practitioners do not have (so far) a place to meet and exchange.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2013GRENH012 |
Date | 07 October 2013 |
Creators | Massart, Clemence |
Contributors | Grenoble, Université de Liège, Mauz, Isabelle, Mormont, Marc |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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