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« Être chrétien, ce n'est pas une religion, c'est une manière de vivre » : religion et incorporation chez les Népalo-bhoutanais convertis au pentecôtisme de Saint-Jérôme (Québec)Boucher, Guillaume 08 1900 (has links)
Au Bhoutan, au Népal et au Québec, les religions minoritaires font l’objet de nombreux soupçons dans la population, par lesquels des acteurs de la scène publique et politique justifient leur encadrement, voire leur exclusion de l’espace national. Ces soupçons ne vont que s’amplifiant si la religion en question est étroitement associée à un groupe ethnique minoritaire. Ces craintes autour de la perception d’une élision ethnicité-religion perturbatrice de l’ordre social majoritaire reposent davantage sur des mythes nationaux construits autour de, et en réaction à certaines religions que sur une véritable contestation inhérente aux regroupements religieux. La contribution de la religion, particulièrement en contexte migratoire et minoritaire, à la participation pleine et active dans la nouvelle société-hôte a été amplement démontrée. La religion aide à faire sens des expériences migratoires, fournissant un ancrage notoire aux nouveaux arrivants dans leur milieu. Le groupe religieux fournit quant à lui aide matérielle, psychologique et social aux nouveaux arrivants.
Cette étude, menée en région de Montréal, auprès de deux congrégations rassemblant des réfugiés Népalo-bhoutanais convertis au christianisme, fait la lumière sur le rôle de la religion en tant qu’espace de négociation entre les normes imposées – religieuses comme séculières – aux croyants et la subjectivité de leur expérience religieuse. En suivant le parcours migratoire forcé des Népalo-bhoutanais membres de ces congrégations, j’explore l’impact des impératifs d’intégration des localités, les environnements sociaux et matériels, géographiquement et historiquement situés, sur les négociations permises par la religion. Je fais voir que les tensions et les conflits qui peuvent émerger de ces négociations n’impliquent pas la fin de la cohésion sociale. Plutôt, ces négociations informent un vivre-ensemble caractérisé par une certaine convivialité.
J’étudie deux manifestations de ces négociations et de leur impact sur le vivre-ensemble. La conversion au christianisme est la première de ces négociations. Performée en milieu hindou, elle fait voir comment la religion répond à un besoin de recomposition de soi à la suite d’expériences de souffrance, de perte de sens et d’exclusion. En dépit du défi qu’elle lance à l’ordre social hindou et du lot de conséquences qu’elle entraîne, la conversion permet de se projeter dans une identité dignifiée et un nouveau groupe de pairs. Performée en contexte québécois, la conversion est le point de départ d’une renégociation de sa lecture passée de la religion. Elle est l’occasion de réaliser un soi idéalisé, sans crainte de représailles sociales. Dans les deux contextes, la conversion constitue une négociation entre les impératifs d’intégration de la localité et les aspirations que le croyant porte.
Le choix du groupe religieux, de la congrégation, est également le fruit de négociations. Les Népalo-bhoutanais chrétiens se rassemblaient initialement au sein d’une même congrégation multiethnique, l’Église Originelle. La majorité d’entre eux ont depuis quitté et fondé leur propre congrégation, Naya Mandali. Malgré le spectre ethnico-religieux qui plane sur cette décision en vertu de certains référents ethniques autour desquels s’est fondée Naya Mandali, ceux-ci n’expliquent pas à eux seuls le schisme. Le choix de langue, de style de célébration, et la division suivant les appartenances de jati recoupent effectivement des facteurs de divisions proprement sociologiques, tels qu’une transition de figure d’autorité, des styles de gouvernance préférés et des pressions d’acteurs extérieurs au groupe religieux. Des revendications proprement religieuses sont aussi évoquées, en dépit des référents ethniques. Ainsi, le choix du népali se veut davantage un outil facilitant la compréhension et la diffusion du message religieux. La langue vernaculaire de la localité ne s’en trouve pas pour autant évacuée de la présentation des cultes. La congrégation fait bel et bien de la visite de francophones une préoccupation. Ces visiteurs devraient pouvoir suivre minimalement le culte. L’objectif derrière la fondation de Naya Mandali est de s’actualiser en tant que chrétien bien plus qu’en tant que Népalo-bhoutanais.
Chacune des congrégations issues du schisme traduit une façon de faire Église distincte. Plutôt qu’une menace à la cohésion de la société-hôte, la fondation de Naya Mandali est une manifestation des formes insoupçonnées d’incorporation permises par la religion. Fruit d’une des négociations entre les impératifs d’intégration inculqués par les sociétés-hôtes et les aspirations des croyants, la congrégation népalo-bhoutanaise a dû créer des contacts avec des chrétiens d’autres églises de la localité. Ainsi, ils ont tissé des liens avec des non-migrants qu’ils n’auraient autrement pas rencontrés. Par le biais de la religion, les schismatiques ont réalisé, de manière quelque peu subversive, différents impératifs d’intégration des localités traversées : l’autonomisation, la prise en charge et l’accomplissement de soi. / In Bhutan, in Nepal as in Quebec, minority religions are subjected to a number of suspicions justifying their regulations, if not their exclusion from national space. Those suspicions only increase if the religion in question is also closely associated with an ethnic minority group. Those fears concerned with a perceived ethnicity-religion elision disruptive of the majoritarian social order have more to do with national myths built around, and in reaction to, certain religions more than with any genuine contestation inherent to religious groupings. Religion’s contribution to, particularly in a migratory and minoritarian context, a full and active participation in a new host society has been amply demonstrated. Religion helps make sense of migratory experiences, contributing to a notable anchoring of newcomers to their surroundings. The religious group, for its part, contributes a material, psychological and social help to newcomers.
This study, conducted alongside two congregations gathering Nepalo-bhutanese converts to christianity in a Montreal region, sheds light on religion’s role as a space of negociation between imposed norms – religious as well as secular – to believers and the subjectivity of their religious experience. By following the trajectory of the forced migration of the members of both congregations, I explore the impact of the integration imperatives of localities, the geographycally and historically situated social and material environnements, on the negociations enabled by religion. I show that tensions and conflicts which can arise from those negociations do not entail an end to social cohesion. Rather, they inform a vivre-ensemble caracterised by a certain conviviality.
Two manifestations of these negociations and their impact on the vivre-ensemble are studied. Conversion to christianity is the first of them. Performed in a hindu context, it shows how religion answers a need for a recomposition of the self following experiences of suffering, loss of meaning and exclusion. Despite the challenge it levels at the hindu social order and of the consequences it carries, conversion enables to project oneself in a dignified identity and a new peer group. Performed in the Quebec context, conversion is the starting point of a renegociation with one’s past reading of religion. It is the occasion to realise an idealised self, without fear of social reprisal. In both contexts, conversion constitutes a negociation between the locality’s integration imperatives and the believer’s yearnings.
The choice of the religious grouping, the congregation, is also the result of negociations. The Nepalo-bhutanese christians initially gathered in the same multiethnic congregation, l’Église Originelle. The majority of them have since left and created their own congregation, Naya Mandali. Despite the « ethnico-religious » spectre looming over their decision, the ethnic referents around which Naya Mandali was built cannot by themselves explain the division. Linguistic choice, celebrations’ style and Jati divisions intersect effectively with properly sociological divisive factors, such as a transition in authority figures, prefered leadership styles and pressure from figures external to the religious grouping. Properly religious claims are also made, despite ethnic referents. Thus, the choice of Nepali speaks more to the tools it represents in enabling a better understanding and transmission of the religious message. The locality’s vernacular language is not necessarily evacuated from the cult’s presentation for it, the congregation making the possibility of francophone visitors one of their preoccupation. The actualization of the self as a better christian is much more the objectif behind the creation of Naya Mandali than the actualization of a nepalese self.
The two congregations that emerged from the schism translate a distinct way of doing Church. Instead of a meance to the host society,s cohesion, the creation of Naya Mandali is a manifestation of the unexpected modes of incorporation enabled by religion. The results of negociations between integration imperatives instilled by the host societies and the believers’ yearnings, the Nepalo-bhutanese congregation had to create contacts with the localities’ other christians. Thus, they established contacts with non-migrants who would have not met them otherwise. Through religion’s medium, the schismatics have fulfilled, in a somewhat subversive way, the integration imperatives of the localities they navigated across: autonomisation, responsabilisation and self-fulfilment.
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