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Comment raconter des histoires lithiques dans les labours de La Martre (Québec, Canada)

Kolhatkar, Manek 06 1900 (has links)
Ce doctorat lie les vestiges lithiques fragmentés et dispersés par des décennies de labours des terrasses marines constituant le site de La Martre (Gaspésie, Québec, Canada), pour y dégager certaines limites d’intelligibilité et de perceptibilité, et en tracer de nouvelles. Les labours forment un palimpseste archéologique spécifique : ils ont créé un effet de décontextualisation des pratiques lithiques contenues dans les bords de chaque biface et éclat lorsque les contextes de déposition permettant de rapprocher certains vestiges et d’en éloigner d’autres, et permettant d’exercer un contrôle chronologique sur ces vestiges ont été perturbés. Les seuls repères chronologiques disponibles sont (i.) un plancher d’habitabilité suivant la déglaciation du versant nord de la Gaspésie ; (ii.) l’exondation de terrasses marines dues au retrait de la mer de Goldthwait ; (iii.) des pointes de projectile dites « Plano » ayant permis d’affilier dans des travaux antérieurs une partie de La Martre au « Paléoindien récent » (entre 11 600 à 8000 cal BP dans le Nord-est américain). Conséquemment, les repères chronologiques de La Martre flottent dans une marée lithique mouvante formée de bifaces et d’éclats dans les labours sans le contrôle permis par les contours que des contextes de déposition mieux préservés permettraient. Ce contrôle préalable est indispensable pour pouvoir délimiter les échelles justifiant l’utilisation de certaines théories et méthodes d’analyse. Il est considéré que ces problèmes contextuels ne justifient aucunement l’exclusion des labours d’une narration archéologique, à condition d’opérer un renversement de nos pratiques. Les labours permettent d’exacerber des problèmes théoriques, épistémologiques et méthodologiques, constitutifs de toute pratique archéologique et que des contextes non labourés rendent invisibles. Ces problèmes peuvent être ramenés à celui provoqué par la bifurcation du réel, un geste qui, en séparant l’esprit de la matière, sépare un réel en deux et maintient l’un attaché à ce qui en est déjà connu et en bloque le développement et la transformation. Les labours marquent une première étape d’émancipation de ce réel bifurqué en nous forçant à renverser notre rapport à lui pour partir d’un réel mouvant et dispersé dans lequel une conscience perçoit et pense. Raconter des histoires lithiques dans les labours de La Martre, c’est donc prolonger ce renversement initié par ces labours en suivant ses mouvements constitutifs : ceux d’une conscience, de la taille de la pierre, des labours et de nos descriptions. C’est développer de nouvelles histoires qu’un ancrage dans un réel bifurqué inhibe. Il est proposé ici que ce renversement soit prolongé par un mouvement descriptif par lequel quinze surfaces de dispersion sont progressivement tracées : (i.) des terrasses labourées, les stations 15 et 16 de La Martre ; (ii.) des supports transformés ; (iii.) des chaînes opératoires ; (iv.) un échantillon de 447 supports transformés ; (v.) un continuum de réduction ; (vi) l’intégrité d’un support ; (vii.) les compétences ; (viii.) la matière première ; (ix.) les objectifs de taille ; (x.) les groupes techniques ; (xi.) des flux lithiques ; (xii.) une combinatoire de compétences ; (xiii.) des évolutions possibles ; (xiv.) des lieux ; (xv.) des séquences de production. Ces surfaces permettent de diversifier la taille de la pierre plutôt que de l’épurer ; de changer les conditions dans lesquelles des outils méthodologiques tels que la chaîne opératoire ou les stades d’une séquence de réduction peuvent être utilisés ; de repartir de mouvements et de rapports constitutifs de La Martre plutôt que de groupes ou d’individus préalablement définis ; de différencier les terrasses marines pour circonscrire un lieu, 16-ouest, structuré par des dynamiques socioculturelles d’apprentissage et de distinction dont émergent diverses séquences de production capturant des compétences et des objectifs divers ; de reconnecter La Martre au paysage du Nord- est paléoindien pour en diversifier les histoires lithiques et archéologiques ; de travailler dans un entre-deux : entre deux lieux, entre deux paysages, entre deux formes émergeant de nos histoires sans que ces histoires ne s’y arrêtent. Raconter des histoires lithiques dans les labours de La Martre, c’est donc effectuer un quadruple travail narratif qui ailleurs n’aurait pas eu besoin d’être fait : (i.) explorer les façons dont les tailleurs et tailleuses de La Martre s’engageaient avec leur paysage en taillant la pierre ; (ii.) analyser les conditions permettant de raconter ces histoires anthropologiques ; (iii.) créer de nouvelles conditions permettant de raconter de nouvelles histoires ; et (iv.) raconter ces histoires lithiques. / This thesis binds various lithic remains fragmented and scattered by decades of plowing at La Martre (Gaspé Peninsula, Quebec, Canada). Plowing creates a specific type of archaeological palimpsest. It erases units allowing for: the comparison of lithic practices contained within each biface and flake that make up a context; the chronological control of said units; and using various methods and theories according to an archaeological unit’s appropriate scale. A maximum chronological boundary following the deglaciation of the northern Gaspé Peninsula, the exposure of La Martre’s higher terraces by the receding sea, and the production of Plano projectile points (dated to between 11 600 and 9000 cal BP in northeastern America) provide archaeologists with some chronological control that floats within La Martre’s hundreds of thousands of lithic remains. Yet, it is argued that plowing cannot preclude archaeologists from telling lithic and other stories, provided that some practices and habits are changed. Indeed, plowing points to theoretical, epistemological and methodological problems that elsewhere may have remained invisible. These problems pertain to the bifurcation of reality inhibiting its development by laying down a ready- made and unchanging reality prior to any engagement with it. Plowing requires for this specific engagement with reality to be turned upside down, starting from a moving and dispersed reality that a consciousness perceives and thinks with. Telling lithic stories at La Martre requires that this turn be extended by following its movements: that of a conscience, of knapping and of plowing; thus telling new stories that a bifurcated relationship to reality had inhibited. It is suggested here that this turn be extended using description along fifteen dispersion surfaces: (i.) two plowed terraces, stations 15 and 16; (ii.) shaped blanks; (iii.) chaînes opératoires; (iv.) a sample of 447 shaped blanks; (v.) a reduction continuum; (vi.) shaped blank integrity; (vii.) skill; (viii.) raw material; (ix.) knapping objectives; (x.) technical groups; (xi.) lithic fluxes; (xii.) skill combinatorics; (xiii.) possible evolutions; (xiv.) places; (xv.) production sequences. Such surfaces allow for several things: first, for knapping diversification rather than refining; second, for changing the condition of use of the chaîne opératoire or the reduction sequence; third, for starting from movement and relationships rather than defined groups or individuals; fourth, for differentiating La Martre’s plowed terraces; fifth, for delimiting a place, 16-West, structured by the sociocultural dynamics of learning and distinction; sixth, for growing several production sequences; seventh, for reconnecting La Martre to the northeastern Paleoindian landscape and multiplying its lithic and archaeological stories; and eighth, for working within the “in between” places, landscapes and shapes that grow from such stories. Thus, telling lithic stories within La Martre’s plowed fields is a fourfold narrative: (i.) exploring how past people engaged with their landscape through knapping; (ii.) deconstructing conditions allowing for such an exploration; (iii.) creating new conditions allowing for new stories to be told; and (iv.) telling these new stories.

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