Les diverses recherches de la sociologie du corps ont montré la manière dont chaque société institue des façons particulières de concevoir et de percevoir le corps. Cette thèse s'appuiera quant à elle sur la possibilité de considérer le corps humain comme une allégorie du corps social, c'est-à-dire le fait de pouvoir envisager que les idées qui ont cours sur le corps reflètent celles qui ont cours dans la société en général. Les différentes façons de concevoir et de percevoir le corps révèlent les divers processus de naturalisation et de résistance que les sujets tissent avec la réalité sociale. Ces attributs de la monstration du corps dessinent la manière dont les pratiques sociales constituent, reproduisent et transforment la réalité sociale. Située au cœur des transformations de la réalité sociale contemporaine, cette étude vise à démontrer de quelle manière ces transformations engendrent une véritable métamorphose de la réalité corporelle. Nous regarderons notamment les différentes manières par lesquelles la naturalisation du néocapitalisme suscite une mutation de la réalité sociale et de la réalité corporelle. L'enjeu de cette thèse est double. Elle vise à construire un cadre théorique permettant d'analyser le corps dans sa complexité. Au regard d'une typologie de la sociologie du corps, cette approche consiste à faire une synthèse critique de ces différentes approches tout en s'inspirant de certaines théories, dont celles de Slavoj Zizek et de Michel Freitag. Nous aborderons la réalité corporelle en termes de phénoménalité afin d'énoncer son caractère irréductible. Plus spécifiquement, nous dégagerons quatre modalités formelles sur lesquelles va se construire une phénoménalité de la réalité corporelle : l'univers physique, les phénoménalités vivante(s), psychique(s) et sociohistorique(s). Nous remarquerons que les dominances phénoménales de la réalité corporelle instituent une représentation sociétale du corps. Cette institutionnalisation implique une coexistence contradictoire quant aux différentes conceptions (définitions, délimitations, interrelations) de chacune des modalités constitutives de la phénoménalité de la réalité corporelle, faisant en sorte que son unité et sa cohérence restent provisoires. Sous le regard de notre cadre théorique, nous avons analysé une sélection des inscriptions matérielles de certaines pratiques typiques de la société occidentale contemporaine afin de dégager les tendances dominantes quant aux définitions, aux délimitations ainsi qu'aux interrelations des modalités constitutives (physique, vivante, psychique, sociohistorique) de la phénoménalité de la réalité corporelle. Malgré la dominance de certaines tendances, il est essentiel de comprendre que nous estimons que cette dynamique amalgame un certain nombre de tensions, de critiques, de résistances au sein des activités sociales elles-mêmes. Ces pratiques ont été considérées comme typiques en raison de l'importance que connaissent ces dernières dans l'espace public de la société occidentale contemporaine avec la médicalisation du social, l'omniprésence de la culture psy et de la culture de masse. Nos analyses porteront sur certains matériaux de la cinématographie de David Cronenberg, sur certains manuels de psychologie populaire et scientifiques, avec les inscriptions littéraires des biotechnosciences (630 000 articles provenant principalement de Medline). Les principaux résultats de nos analyses empiriques exemplifient une difficulté générale de comprendre la complexité phénoménale de la réalité corporelle, ce qui favorise une naturalisation du néocapitalisme. Les biotechnosciences matérialisent ainsi un éloge du « corps-matière-vivante » et, en même temps, une négation générale de la réalité corporelle en raison de la simplification de sa complexité à cette modélisation. D'une manière similaire, les manuels de psychologie populaire valorisent un état de pure psyché dans lequel l'ensemble de la phénoménalité de la réalité corporelle est conditionné. D'un côté comme de l'autre, la représentation du corps devient le moteur de sa simplification vers l'unidimensionnalité et de la naturalisation du néocapitalisme. Cette simplification de la phénoménalité de la réalité corporelle à une essence favorise l'encadrement institutionnel des rites corporels dans les pratiques quotidiennes. Devant l'inquestionnable, l'insaisissable, l'insondable de son rapport au monde, le sujet contemporain obtient alors une réponse unidimensionnelle favorisant ainsi la performativité et la matérialisation de cette essence « naturelle ». La filmographie de David Cronenberg illustre la densité phénoménale de la réalité corporelle et sa résistance existentielle à ce processus de dématérialisation. La virtualité de cette dématérialisation implique la précarité de ce procès de naturalisation. La résistance s'inscrit dans la part inaliénable et incontrôlable de la corporéité, dans sa dimension pathique, les pratiques de l'existence, la temporalité, l'histoire de la subjectivité, les positions normatives que peut prendre le sujet, etc. Sous ce rapport, la représentation sociétale du corps vacille entre la dématérialisation, qui correspond au procès de naturalisation du néocapitalisme, et la surmatérialisation phénoménale, qui devient le facteur de résistance le plus important.
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MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : théorie générale du symbolique, sociologie du corps, biotechnosciences, cinéma, psychologie populaire, David Cronenberg
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.3756 |
Date | 05 1900 |
Creators | St-Jean, Mathieu |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Thèse acceptée, NonPeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://www.archipel.uqam.ca/3756/ |
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