Le curieux et tragique destin de Marcel Schwob, provoqué par l'essoufflement prématuré de sa carrière littéraire et sa lente agonie d'une maladie énigmatique, a contribué à la propagation de diverses spéculations entourant sa fin abrupte. Alors que pour les uns, l'artiste aurait cherché dans la littérature un moyen de fuir l'âpreté du réel, pour d'autres, l'érudition de l'auteur aurait ruiné son élan créateur. D'un côté comme de l'autre, une relation antinomique semblait opposer la littérature à la réalité et à la science. À la marginalisation de son art, Schwob devait cependant répondre par le genre de l'essai. Au moment d'une crise disqualifiant le discours littéraire et le rejetant hors des sphères de la science, l'Université redéfinissant sa mission sous la IIIe République de manière à faire une plus grande place au positivisme au détriment des humanités traditionnelles, Marcel Schwob se donne en effet pour mission de rétablir la valeur de la littérature. En revendiquant leur différence d'avec les sciences sociales tout en refusant de s'isoler dans une préciosité esthétique, les essais de Spicilège rappellent les incertitudes et les ambiguïtés à la source de tout discours de vérité en renouant avec les opacités langagières que le positivisme voulait abolir. Ce mémoire s'attache, dans un premier temps, à identifier la situation à laquelle répond l'essai schwobien. Dans un contexte de rationalisation de la pensée, la défense de la littérature ne peut, pour Schwob, que passer par la littérature elle-même. Marginalisée, elle donne à rêver de ses marges. La dimension narrative de l'essai vise un rapport particulier à la sphère des connaissances où l'établissement des vérités empiriques se trouve doublé et subverti par un discours donnant accès à une réalité légendaire. Plus précisément, Schwob propose un art de la mémoire se développant dans un sentiment d'empathie à l'égard des figures négligées de l'histoire. Dans ce qui constitue le deuxième chapitre de ce mémoire, le rapport complexe que Spicilège entretient avec la matière du passé est analysé à la lumière des sociologies de la mémoire de Halbwachs et Assmann. La littérature s'assigne ici une tâche colossale visant à assurer la mémoire des humbles, des figures de second rang, ou de lieux perdus, grugés par le travail du temps. Mais conscient de l'ampleur démesurée d'un tel projet, Schwob agit avec le discernement d'un collectionneur, sélectionnant ses objets de manière à pouvoir y lire ou loger une histoire qui les déborde. Schwob fabrique des images marquantes où l'opération de savoir présente aussi la possibilité d'un enchantement. Le troisième chapitre propose une réflexion sur la performativité du récit dans l'essai schwobien. L'essai défamiliarise, il déplace le regard, suggère de multiples perspectives sur l'histoire et le présent. Reconnaissant dans la mise en récit de la vie une fabrique du regard débouchant sur une manière de sentir, une manière de représenter, une manière de s'identifier, la narrativité de l'essai donne naissance à des postures éthiques et fournit des repères permettant de s'orienter dans les sphères éthique et politique. Elle pose le point de départ à partir de quoi une action devient possible. Ainsi, loin de réduire la littérature à l'art pour l'art, l'essai tel que le pratique Schwob constitue un art de la mémoire profondément engagé dans son temps. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Marcel Schwob, Spicilège, Essai littéraire, Mémoire, Savoir, Défamiliarisation.
Identifer | oai:union.ndltd.org:LACETR/oai:collectionscanada.gc.ca:QMUQ.2756 |
Date | January 2010 |
Creators | Leduc, Simon |
Source Sets | Library and Archives Canada ETDs Repository / Centre d'archives des thèses électroniques de Bibliothèque et Archives Canada |
Detected Language | French |
Type | Mémoire accepté, NonPeerReviewed |
Format | application/pdf |
Relation | http://www.archipel.uqam.ca/2756/ |
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