Cette thèse porte sur un art martial, l’aikibudo, « fondé » au début des années 1980 par le Français Alain Floquet. Âgé de presque 80 ans, celui-ci tente, depuis quelques années, de transmettre progressivement la responsabilité technique de son école. Cette transmission intensifie des tensions entre les successeurs potentiels – ceux que nous avons appelés les maîtres. Ainsi, l’organisation de la discipline doit-elle se moderniser ou garder un caractère « traditionnel » ? Avec une forme technique plus éthérée ou plus réaliste ? Et quelle devrait-elle la place de chacun dans la future organisation ? De leur point de vue, les maîtres considèrent le plus souvent ces tensions comme des luttes d’ego ou encore des luttes de pouvoir. Il semble pourtant qu’elles ne relèvent pas que de la seule rationalité instrumentale. Telle est l’hypothèse générale de cette recherche. Pour mener à bien cette recherche, deux cadres théoriques jusqu’ici peu articulés ont été croisés : la sociologie pragmatique de Boltanski et Thévenot (1991) qui permet d’appréhender les arrière-plans axiologiques de ces tensions ; le programme dispositionnaliste proposé par Lahire (2012) qui s’attache aux dispositions des individus observés et aux contextes (macro et micro sociaux) dans lesquels ils agissent. L’enquête menée repose sur un volet qualitatif (observation participante, entretiens semi-directifs) et un volet quantitatif (analyse sociodémographique des pratiquants et questionnaire en ligne). Elle conduit à deux résultats principaux. Il en ressort d’abord que derrière l’apparente unité du discours des maîtres sur l’aikibudo, on peut distinguer trois modes d’engagement dans la discipline : l’engagement militaire, l’engagement artistique et l’engagement sportif. Chacun de ces modes d’engagement se traduit par des forme spécifiques de pratique, un attachement plus ou moins fort à la tradition, et un type de rapport de l’individu au groupe. De la sorte, on met en évidence la dimension morale des tensions dont l’enjeu est une reconfiguration et une redéfinition de la discipline au moment où le fondateur délègue progressivement la direction de son école. Par ailleurs, l’aikibudo n’est pas, pour ceux qui s’y engagent fortement, qu’un espace trivial de loisir. Il constitue le lieu central et symbolique d’une quête soi d’autant plus dense que l’individu a subi, préalablement, des expériences douloureuses, des formes d’humiliation ou de violence. Ainsi, les tensions apparaissent sous un autre jour. Leur virulence s’explique par le sens que les individus trouvent dans leur engagement dans l’aikibudo : une parabole de leur lutte pour la verticalité entendue comme un redressement et une élévation de soi. L’accès au statut de maître marque la reconnaissance de cette lutte que les haut-gradés mènent depuis plusieurs décennies. Mettre en doute leur qualité ou leur compétence de maître, c’est comme affecter ce qui fonde l’identité qu’ils ont pu construire, dans et au-delà de l’espace clos du dojo / This PhD thesis deals with a martial art – aikibudo – "founded" in the early 1980’s by the Frenchman Alain Floquet. Today, he is indeed 80 years old and has been passing on the technical charge of his "school" for a few years. But some tensions have grown between his successors – called "the masters" – who disagree on the future of aikibudo: should it become a traditional or a modern school? With an artistic or a realistic form? And what should the place of each one be in the future organization of the group? From their own point of view, the masters consider these tensions are caused by warring egos or power struggles. The general hypothesis of this work consists in showing that these tensions are not due to instrumental rationality alone. It is based on the crossing of two theoretical frameworks, namely the pragmatic sociology of Boltanski and Thevenot (1991) which enables to understand the axiological backgrounds of these tensions and the dispositionalist program of Lahire (2012) which focuses on the dispositions of some observed individuals and on the macro and micro-social contexts in which they interact. The study contains a qualitative part (participant observation and semi-leading interviews) and a quantitative one (practitioners’ sociodemographic analysis and an online questionnaire). There are two main results. Firstly, behind the visible unity of the Masters’ speeches on aikibudo, we can notice three types of commitment: a military commitment, an artistic commitment and an individualist (or athletic) commitment. Each of them implies specific practices, more or less powerful links to traditions and different forms of attachment of the individual to the group. This way, the moral dimension of the tensions becomes obvious. Their major issue is the redefinition and reconfiguration of the martial art as its founder is little by little delegating the running of his school. Secondly, aikibudo is not only a trivial space of leisure for those who are strongly engaged in it. It is also a central and symbolic quest of one’s self, all the more important that the individual has previously lived painful, humiliating or even violent experiences. Thus the tensions appear in a different way. Their virulence can be explained by the sense the individuals give to their commitment to aikibudo: a parable of their struggle for verticality in the sense of a recovery, an elevation of their selves. Accessing the rank of Master is like a gratitude for those at the top who have been struggling for decades. Doubting their skills as Masters affects the identity they have been building inside and outside the confined space of the dojo
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2019LYSE1218 |
Date | 14 November 2019 |
Creators | Gobbé, Christophe |
Contributors | Lyon, Soulé, Bastien, Epron, Aurélie |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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