La question des implications sociales et environnementales des activités économiques et de leur gestion ou gouvernance traverse aujourd’hui largement le champ académique des sciences de gestion. Pour autant, le potentiel transformateur de cette RSE continue largement de poser question. Les auteurs nourrissant une analyse critique de cette dernière arguent que, plus qu’une transformation ou qu’une démocratisation des espaces de régulation de problématiques sociales et environnementales devenues transnationales, la RSE serait à resituer dans une analyse des rapports de force à l’œuvre. A défaut d’inclure les différents intérêts en présence, la RSE prendrait finalement la forme d’un pouvoir discursif offrant au contraire le maintien et la perpétuation de pratiques et asymétries de pouvoir inchangées, et marginalisant les opposants ou témoins susceptibles de contrevenir à cette continuité. Inscrit dans le courant des perspectives critiques en management, ce travail doctoral s’est donné pour projet de venir comprendre et mettre au jour les rouages et procédés permettant l'édification d’une puissance industrielle à même de fermer les issues en sa défaveur et d’assurer les conditions de sa propre perpétuation. Ce travail accorde en particulier une place centrale aux implications et aux marges de l’histoire, offrant de considérer les moyens dévolus à la mise en impuissance des contestations et tentatives de remise en cause de cet ordre dominant, et dans le conteste de politiques de RSE. Quelles modalités, mécanismes ou boîtes noires viennent sous-tendre le processus de légitimation des entreprises vis-à-vis des externalités sociales et environnementales qu’elles produisent ? Quelles techniques ou technologies du pouvoir viennent-elles mobiliser pour se constituer en macro-acteurs légitimes ? Comment permettent-elles leur maintien et leur renouvellement en dépit des conflits, des contestations et des dénonciations venant les remettre en cause ? Pour permettre l’analyse de ces différents points, une étude exploratoire fut réalisée et prolongée de l’étude du cas Weda Bay Nickel, projet minier développé par la multinationale française Eramet dans une lointaine Indonésie. Inscrite dans une posture constructiviste pragmatique, la démarche qualitative adoptée cherchait à comprendre et à déconstruire ce projet minier, présenté comme exemplaire en matière de RSE et pourtant largement contesté, par la recension systématique des documents produits et publiés à son sujet, la réalisation d’interviews auprès de diverses parties prenantes (N=41), ainsi qu’une ethnographie de trois semaines principalement effectuée dans la baie de Weda, et plus largement dans la province indonésienne des Moluques du Nord, constituant le théâtre de son implantation.Inscrit dans la tradition des postures analytiques descriptives et narratives, ce travail doctoral propose une mise en récit processuelle du cas offrant de caractériser le contexte de fabrication d’une puissance WBN et de mettre au jour sa transformation d’hypothèse spéculative en projet de développement ne pouvant plus qu’advenir, produit des contingences de l’histoire, de la nécessité de retour sur investissement auto-générée et d’un réseau d’intérêts bien compris. Par ailleurs, la mise en impuissance des contestations, révoltes et mobilisations s’étant faites jour à son encontre sera également étudiée, de sorte qu’elle se voit reconnaître sa place de produit des échecs successifs subis par une contestation bien réelle et active. Aussi, plus qu’un pendant inéluctable de la puissance, l’impuissance collective des acteurs s’étant opposés au projet minier WBN se présentera comme un construit, le produit d’une fabrique où les pouvoirs de cadrage et de contrainte des partisans de la mine apparaissent finalement moins empreints d’une quête de légitimation, qu’apparentés à un processus d’écrasement vécu comme indiscutable et irréversible par les parties prenantes sans pouvoir. / The academic field of organization studies has paid, in the past several years, a growing attention to the social and environmental impacts of economic activities, to their management as well as their governance. The idea of a corporate social responsibility (CSR) came to materialize and embody the commitment of corporations against unsustainable activities, even if the voluntary or constrained character of this phenomenon remains a matter of debate. Additionally, the prospects of CSR in terms of concrete transformations leading to more sustainable and democratic practices are still questioned. Critical scholars of CSR have, more recently, tackled these issues by pointing to the need for bringing power struggles back in the study of CSR. Although CSR principles aim at managing a multiplicity of stakeholders, critical scholars have highlighted that CSR practices took shape as a discursive power designed for maintaining and enforcing existing practices and power asymmetries, thanks to a marginalization of protestors and those trying to threaten their continuity.This doctoral project is precisely drawing upon such critical perspectives on CSR in order to understand comprehensively the political mechanisms according to which a corporate power manages to rise so as to counter potential protests and secure its own perpetuation. More particularly, this project devotes a significant attention to the implications of such corporate power on powerless stakeholders, highlighting the specific means implemented to manufacture powerlessness, starting from the following research questions: what are the modalities, mechanisms and black boxes upon which the legitimation process of corporations’ social and environmental impacts relies? What are the techniques and technologies of power designed and implemented by corporations in order to do so? How do they manage to maintain and renew their power in the face of struggles, contests and denunciations trying to challenge it?The design of this doctoral project relied on two different stages: an exploratory study of a multiplicity of CSR discourses articulated within and around a political CSR arena of the mining industry ; an in-depth case study of Weda Bay Nickel, i.e. a mining project undertaken by a French multinational corporation, Eramet, in far-off Indonesia. The methodological background of the doctoral project draws upon pragmatic constructivism and qualitative methods in order to comprehend and deconstruct the paradox according to which the Weda Bay Nickel case is at the same time praised for its exemplariness and fiercely contested. Data collection consisted in a systematic inventory of published data, interviews with a multiplicity of stakeholders (N = 41), as well as a period of three weeks ethnography in the Indonesia North Maluku region, where the mining deposit is located. Data analysis was conducted following a descriptive narrative approach, allowing for the production of a narrative which starts from the context of manufacture of corporate powerfulness, from a mere object of geological then financial speculation to a project of development that must be achieved, thanks to historical contingencies, return-on-investment self-fulfilling imperatives, as well as the forging of a coalition of interests. The narrative continues to portray the manufacture of powerlessness of protesters, rebellions and social movements, highlighting that the failure to contest corporate power cannot be associated to a powerlessness per se. Accordingly, the manufacture of powerlessness is shown to be of a socially constructed nature, relying on the implementation of framing and coercive forms of power by the corporation and its allies. Framing and coercion being the cornerstones of a policy that seems to go far beyond a search for legitimation. Instead, they can be subsumed into the idea of a domination process, experienced as non-disputable and non-reversible by the powerless stakeholders.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2019MONTD002 |
Date | 12 February 2019 |
Creators | Roussey, Clara |
Contributors | Montpellier, Palpacuer, Florence |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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