L’intérêt marqué porté actuellement aux recherches NBIC (nano-bio-info-cognitivo technologies) visant l’optimisation des capacités humaines augure d’un profond bouleversement dans nos représentations du corps humain et du rapport humain-machine. Tour à tour, des travaux issus des domaines du génie génétique, de la pharmacologie, des biotechnologies ou des nanotechnologies nous promettent un corps moins sujet à la maladie, mieux « adapté » et surtout plus malléable. Cette construction en laboratoire d’un corps amélioré fait amplement écho aux préoccupations contemporaines concernant la santé parfaite, le processus de vieillissement, l’inaptitude, l’apparence, la performance, etc. En vue d’analyser les transformations qu’induisent ces recherches sur les représentations du corps, nous avons construit un modèle théorique appuyé, d’une part, sur des travaux en sociologie du corps et, d’autre part, sur des travaux en épistémologie des sciences. Puis, en scrutant différents textes de vulgarisation scientifique produits par des chercheurs transhumanistes – militant ouvertement en faveur d’une optimisation radicale des capacités humaines par le biais des technosciences –, il a été observé que les représentations du corps s’organisent autour de trois principaux noyaux. Le corps humain est présenté, dans ce discours, comme étant à la fois informationnel, technologiquement perfectible et obsolète.
Cette représentation tripartite du corps permet aux transhumanistes d’ériger leur modèle d’action (i.e. amélioration des capacités physiques, intellectuelles, sensitives, émotionnelles, etc.) à titre de nécessité anthropologique. À leurs yeux, l’amélioration des conditions humaines doit passer par une mutation contrôlée de la biologie (i.e. une hybridation avec la machine) du fait que le corps serait « inadapté » au monde contemporain. Ainsi, les promesses NBIC, une fois récupérées par les chercheurs transhumanistes, se voient exacerbées et prennent une tonalité péremptoire. Ceci contribue vivement à la promotion du posthumain ou du cyborg, soit d’un individu transformé dans l’optique d’être plus robuste et intelligent, de moduler sa sensitivité et ses états émotifs et de vivre plus longtemps, voire indéfiniment. Enfin, situé à mi-chemin entre la science et la science-fiction, ce projet est qualifié de techno-prophétie en ce qu’il produit d’innombrables prévisions basées sur les avancées technoscientifiques actuelles et potentielles.
Afin d’accroître l’acceptabilité sociale de leur modèle d’action, les transhumanistes ne font pas uniquement appel à la (potentielle) faisabilité technique; ils s’appuient également sur des valeurs socialement partagées, telles que l’autodétermination, la perfectibilité humaine, l’égalité, la liberté ou la dignité. Néanmoins, la lecture qu’ils en font est parfois surprenante et rompt très souvent avec les conceptions issues de la modernité. À leur avis, le perfectionnement humain doit s’opérer par le biais des technosciences (non des institutions sociales), sur le corps même des individus (non sur l’environnement) et en vertu de leur « droit » à l’autodétermination compris comme un droit individuel d’optimiser ses capacités. De même, les technosciences doivent, disent-ils, être démocratisées afin d’en garantir l’accessibilité, de réduire les inégalités biologiques et de permettre à chacun de renforcer son sentiment d’identité et d’accomplissement. L’analyse du discours transhumaniste nous a donc permis d’observer leurs représentations du corps de même que la résonance culturelle du projet qu’ils proposent. / The current interest in NBIC research (nano-bio-info-cognitivo technologies), which are intended to optimize human capacities, points to deep-seated change in both our representation of the human body and the human-machine relationship. Again and again, the work coming out of genetic engineering, pharmacology, the biotechnologies and the nanotechnologies promises a human body that is less subject to illness, better “adapted” and, especially, more malleable. This in-laboratory construction of an improved body echoes contemporary concern about perfect health, the ageing process, inaptitude, appearance, performance, etc. To analyze the transformations this research causes in the representation of the body, we built a theoretical framework supported by studies both in the sociology of the body and in the epistemology of the sciences. Then, examining different popularized scientific documents written by transhumanist researchers—who openly advocate a radical optimization of human capacities via the technosciences—we observed that representations of the body pivot around three main axes. The human body is presented in this discourse as being informational, technologically perfectible and obsolete.
This threefold representation of the body suggests that transhumanists’ plan of action (i.e. improving humans’ physical, intellectual, sensorial, emotional, etc., capacities) is an anthropological necessity. In their view, the improvement of human conditions means a controlled biological mutation (i.e., hybridization with the machine) because the body is “unadapted” to the contemporary reality. Thus, once adopted by transhumanist researchers, the possibilities of NBIC are taken to their extreme and given a peremptory tone. This actively contributes to promoting the posthuman, also called the cyborg—an individual transformed to be more robust and intelligent, to modulate its sensitivity and emotional states, and live longer, even indefinitely. Situated half-way between science and science fiction, this project is said to be “techno-prophesy” as it generates countless previsions based on current and potential technoscientific advances.
To make their action plan more socially acceptable, transhumanists not only rely on its (potential) technical feasibility, but on socially shared values, such as self-determination, human perfectibility, equality, liberty and dignity. Nevertheless, their interpretation is sometimes surprising and very frequently breaks with notions that have grown out of modernity. In their opinion, human perfection must occur through the technosciences (and not via social institutions) directly on individuals’ bodies (and not on their surroundings) and according to their “right” to self-determination, which is seen as an individual’s right to optimize his or her capacities. Similarly, they maintain that the technosciences must be made democratic to guarantee accessibility, reduce biological inequalities and allow all humans to reinforce their identity and sense of accomplishment. This analysis of transhumanists’ discourse has thus allowed us to observe their representation of the body as well as the cultural resonance of the project they put forth.
Identifer | oai:union.ndltd.org:umontreal.ca/oai:papyrus.bib.umontreal.ca:1866/2824 |
Date | 11 1900 |
Creators | Robitaille, Michèle |
Contributors | Lafontaine, Céline |
Source Sets | Université de Montréal |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Thèse ou Mémoire numérique / Electronic Thesis or Dissertation |
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