En 1967, dans la revue Diogène, Roger Caillois écrivit un article sur le prestige et les problèmes du rêve. Il écrivit que, par le passé, dans un monde qui lui accordait un crédit démesuré, il y avait une correspondance entre le rêve et le sentiment quotidien que tout, même les choses les plus intimes, peut être éprouvé en commun. Mais l’intuition que plusieurs rêves se vérifient ou se contrôlent mutuellement était une manière de civiliser le rêve. Inversement, aujourd’hui, dans un monde où il n’est plus une source de pouvoir politique, où il ne constitue plus un témoignage authentique, considéré comme un phénomène étanche, rétif à tout partage, dont le rêveur seul peut se souvenir, le rêve porte cette nostalgie communautaire. La même année, Roger Bastide réfléchit à ce que serait une sociologie du rêve, une étude du rêve comme phénomène social. Il pensait que la sociologie ne s’intéressait qu’à l’homme éveillé, comme si l’homme endormi était un homme mort. Il se demandait si la sociologie pouvait ignorer cet homme couché et rêvant. Cette thèse se propose de penser le quotidien à partir de l’intuition de Roger Caillois, qui cherche moins à penser l’homme couché et rêvant que l’homme debout, dans son quotidien, son travail, sa famille, son rapport aux objets de tous les jours, empreinte à ce tiers de sa vie où il dort. Il ne s’agit cependant pas de faire l’interprétation de rêves, ou d’en tirer les contenus latents. Leur contenu n’est pas le terrain de cette thèse. Chaque fois, la visée est de savoir comment le rêve est-il vécu en tant que mythe, c’est-à-dire dans quelle mesure l’attention que le rêveur a prêtée à la structure étrange du rêve, ou à son contenu, a influencé sa relation à la communauté ; comment le phénomène du rêve est-il utilisé comme clef de lecture pour donner du sens à la quotidienneté de l’homme au sein de la société. En un mot : comment le rêve se déverse et contamine le réel. La magie et la métaphore seraient deux expressions de la manière dont le rêve se répand dans la vie quotidienne. La magie, comme lecture sociale des phénomènes dans lesquels la cause est sans relation apparente à la conséquence, cependant que les phénomènes étudiés ont une efficace propre : cette relation sans cause et qui pourtant rassemble deux termes distincts du paysage est l’un des fondements essentiels de la pensée symbolique. La métaphore, enfin, qui est l’expression littéraire et linguistique où deux symboles que rien de connecte cohabitent néanmoins harmonieusement, une stratégie de discours par laquelle le langage se dépouille de sa fonction de description directe pour accéder au niveau mythique. Cela est une proposition : alimenter une sociologie de l’homme éveillé, comme voulait l’appeler Bastide, qui ne rechigne pas à voir que « les états crépusculaires » et « la moitié obscure et sombre de l’homme prolongent le social », une sociologie qui ne peine pas à accepter que nombre des moteurs qui président aux comportement des sociétés humaines trouvent leur source dans les mêmes logiques saltatoires, ou acausales, en toutes les manières dénuées du lignage et des filiations déterministes, que l’on retrouve dans le rêve, dans la magie et dans la métaphore. Une sociologie qui s’autorise à penser que le lien social visible, quotidien, structurant des civilisations, puisse être atteint par une transformation profonde de la manière dont nous envisageons le lien en général. Une sociologie qui se propose de questionner l’inconséquence de l’invisible. / In 1967, in the review Diogène, Roger Caillois wrote an article on the prestige and the problems of dreams. He wrote that, in the past, in a world where dreams had excessive credit, there was a connection between the act of dreaming and the everyday feeling that all things, even intimate ones, could be experienced collectively. Yet, quite ironically, the intuition that dreams could cross-verify, or control one another, acted as a way to civilise them. Conversely, nowadays, in a world where they are no longer source of political power, where they can’t be taken as authentic testimonies, where they are considered impervious phenomena, reticent to be shared, dreams carry a sort of community nostalgia. On the same year, Roger Bastide gave a thought about what a sociology of dreams would be. A study of dreams as social phenomena. He thought that sociology had only interest for the awaken Man, as if the Man asleep were a dead man. He wondered how sociology could ignore this lying, dreaming man. The present thesis offers a framework to think the everyday life through this intuition of Roger Caillois. Consider Men in society not as occasional lying, dreaming bodies. But look at the structures of work, family, and the realm of objects throughout the ways this third of our life we spend sleeping affect them. The interpretation of dreams is not the subject of this thesis, nor is the “latent contents” they might hold. Our purpose is to find out how dreams are experienced and lived as myths. That is to wonder: to which extend the attention given by the dreamer to the weird structure of his dreams, or to its content, have positively influenced his relationship to the community. How does the phenomenon of dreaming can be used as a key to read and make sense out of the everyday life of Men in society. In a word: how dreams overflow and contaminate reality. Magic and the metaphors could be two expressions of this contamination. Magic as a social interpretation of phenomena in which causes remain in seemingly decorrelation with their consequences, whereas the studied phenomena have an effectiveness of their own. This relationship without determinism which yet connect two distinct terms is an essential core of symbolical thinking. The metaphor, finally, the literary and linguistic expression where two symbols that nothing links, nevertheless cohabit harmoniously. A strategy of discourse through which language strips of of its descriptive function, to reach a mythical aspect. This would be the thesis: contribute to a sociology of the awaken Man, as Bastide wanted to call it. A human science which wouldn’t turn its back to the fact that “twilight states of mind” and “an obscure, sombre, half of Man extends the social life”. A sociology that wouldn’t disregard the many drivers of humain societies relying on saltatory logics, indirect causality, and all the human ways escaping determinism, all of which could be found in dreams magic and the metaphor. A sociology which would consider that the invisible, everyday link that structures civilisations, could benefit from an inquiry on the very way we think of the social link in general. A sociology which would question the inconsequence of what is not visible.
Identifer | oai:union.ndltd.org:theses.fr/2014PA05H034 |
Date | 25 June 2014 |
Creators | Dandrieux, Michaël V. |
Contributors | Paris 5, Maffesoli, Michel |
Source Sets | Dépôt national des thèses électroniques françaises |
Language | French |
Detected Language | French |
Type | Electronic Thesis or Dissertation, Text |
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